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même celui qu'il croit coupable. Dans ces circonstances, un arrêt qui lui ordonnerait des poursuites pourrait produire de très mauvais effets. Les fonctions des parlements n'étaient point bornées à rendre la justice; ils se mêlaient aussi d'administration et de législation. Encore n'ordonnaient-ils point au procureur général de poursuivre un membre faisait la dénonciation, laquelle était prise pour acte du ministère public. Il y aura toujours quelque danger à mettre en conflit la cour et le procureur général. Cet officier doit être laissé en entier sous la main du gouvernement et n'être stimulé que par lui. » L'empereur, ébranlé sans doute par cette nouvelle objection, répondit : « que le gouvernement d'un grand État ne pouvant voir lui-même ce qui se passe sur tous les points du vaste territoire qu'il régit, il paraissait nécessaire de donner à des autorités locales le pouvoir de stimuler la partie publique lorsqu'elle sommeille; mais, pour remplir cet objet, il n'était pas besoin d'un acte direct de la part des cours impériales. On pourrait opérer ainsi : le membre de la cour impériale qui croirait qu'un délit demeure impuni remettrait sa dénonciation au président; celui-ci la communiquerait au procureur général qui déduirait les motifs qui l'empêchent de poursuivre. La dénonciation et les motifs seraient envoyés au grand juge; dès lors le gouvernement serait saisi et pourrait stimuler le procureur général s'il était négligent, l'encourager s'il était

faible. Cet amendement, appuyé par M. Treilhard, fut adopté par le conseil (1). A la séance suivante (du 29 brumaire an 13), M. Bigot de Préameneu en présentait la rédaction dans les termes suivants : « Dans le cas où l'une des sections de la cour impériale fera au premier président une dénonciation tendante à la poursuite d'un crime, celui-ci réunira les sections. Le procureur général impérial sera entendu sur cette dénonciation et il sera du tout dressé procès-verbal qui sera envoyé au grand juge ministre de la justice. Si la dénonciation n'est faite qu'individuellement par un ou plusieurs membres de la cour, le premier président ne réunira les sections que dans le cas où il le jugera convenable. Il pourra seul et d'office les réunir pour le même objet (2). »

Cependant le projet de loi portant réunion des deux justices, ayant soulevé à cette époque des difficultés inattendues, fut ajourné, et cette disposition, qui en faisait partie, fut abandonnée (3). Elle ne reparut même plus dans le projet, lorsque la discussion en fut reprise trois ans plus tard, à la séance du 23 janvier 1808 (4); l'empereur luimême parut avoir complètement perdu de vue la concession qu'il avait faite, car il soutint de nouveau sa pensée originaire: «Les tribunaux, disait

(1) Locré, tom. XXIV, p. 494.

(2) Ibid., p. 498 et 506.

(3) Ibid., p. 518.

(4) Ibid., p. 582.

il, seront sans considération tant qu'ils ne cumuleront pas la justice criminelle avec la justice civile. L'avantage de cette réunion sera de donner aux corps judiciaires une force égale à celle des autres corps et de les mettre en état de défendre l'ordre public et la liberté civile contre l'administration, contre le militaire, contre les hommes puissants. L'empereur est obligé de surveiller et de réprimer directement les abus d'autorité et les prévarications; de défendre lui-même les citoyens contre l'administration et contre tout ce qui a quelque puissance dans l'empire. Cette étrange situation ne peut changer que par l'établissement de grands corps qui aient assez de force pour exercer des poursuites contre quiconque s'écarte de son devoir... Sa Majesté n'entend pas donner une police aux corps judiciaires; mais elle veut que si la propriété ou la sûreté ont été violées, ils puissent les venger; qu'ils agissent sous la surveillance du souverain, du grand juge, du conseil d'État, mais qu'ils agissent librement et qu'ils soient une autorité protectrice (1).» Dans une autre séance (du 20 février 1808), l'empereur ajoutait encore: Le système actuel est bien coordonné; mais il pèche en ce que la justice reçoit son impulsion du gouvernement. Pour faire disparaître ces inconvénients on propose d'établir des corps nombreux et puissants qui administrent tout à la fois la justice civile et la justice criminelle, et qui se (1) Locré, tom. XXIV, , p. 595 et 596.

mettent en mouvement d'eux-mêmes. Si l'on adopte ce système, les cours impériales doivent devenir le centre de tout et rien ne doit échapper à leur action (1). »

Cette idée fut définitivement formulée dans l'art. 11 de la loi du 20 avril 1810, ainsi conçu : « La cour impériale pourra, toutes les chambres assemblées, entendre les dénonciations qui lui seraient faites par un de ses membres de crimes et de délits; elle pourra mander le procureur général pour lui enjoindre de poursuivre à raison de ces faits, ou pour entendre le compte que le procureur général lui rendra des poursuites qui seraient commencées. » M. Treilhard, en exposant les motifs de cette loi, disait : « Si les cours impériales rendent plénièrement la justice civile, elles deviennent aussi le centre d'instruction de toutes les affaires criminelles. C'est là que sera méditée et résolue la grande question s'il y a lieu de prononcer la mise en accusation... Elles jouiront encore d'un pouvoir plus étendu : elles auront le droit de se faire rendre compte, par les procureurs généraux, de l'état des affaires criminelles qui s'instruisent, même d'activer et d'ordonner des poursuites sur des faits qui leur paraîtraient intéresser l'ordre public; attribution bien consolante pour le pauvre et pour le faible, et qui doit avertir l'homme puissant que le crédit, la fortune et tous les avantages dont il se prévaut ne le sauveront (1) Locré, tom. XXIV, p. 674,

pas des poursuites et des peines qu'il aurait pu mériter. >> Le rapporteur du Corps législatif ajoutait : « Vous apprécierez cette sollicitude du législateur qui ne veut laisser aucun crime impuni, et qui fait surveiller, par la cour impériale tout entière, celui à qui la loi a confié la surveillance générale. »

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Voilà donc la cour impériale formellement investie : 1o du droit de surveillance sur l'exercice de l'action publique; 2° du droit, non de l'exercer directement elle-même, mais de provoquer cet exercice par les mains du ministère public. C'est le rétablissement, avec d'autres conditions, de l'ancien pouvoir judiciaire : les juges peuvent ordonner des poursuites et se saisir eux-mêmes. Les officiers du ministère public, qui seuls exercent l'action publique, n'en sont donc pas les maîtres; ils doivent subir l'impulsion des corps judiciaires à qui le dépôt en est confié.

Ce n'est pas tout encore. Lorsqu'il fut décidé par le conseil d'État que le jury d'accusation serait supprimé et que le pouvoir de prononcer les mises en accusation serait conféré à la cour impériale, une grave question s'éleva : c'est de savoir si la section criminelle de cette cour ne serait saisie des affaires que par le ministère public, ou si elle pourrait, dans certains cas qu'elle apprécierait, se saisir elle-même et d'office. La section, chargée de la ré'daction du projet, avait proposé, à la suite de plusieurs observations jetées dans les délibérations

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