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mettent en mouvement, mais ne l'exercent pas; le ministère public seul réunit ces deux attributions: il la met en mouvement et l'exerce. Ce droit d'exercer l'action publique est son privilége exclusif : tantôt il obéit à une injonction, tantôt il obtempère à une requête, tantôt enfin il agit de son propre mouvement; mais seul, dans tous les cas, il requiert la peine, il dirige l'action. Ses réquisitions n'enchaînent pas les juges, mais elles leur ouvrent la voie dans laquelle ils peuvent se mouvoir; elles ne commandent pas le jugement, mais elles constituent l'action sur laquelle le jugement

statue.

Telle est, sur les éléments de l'action publique, sur ses caractères et le mode de son exercice, la théorie de notre Code. Il reste à démontrer que cette théorie, qui résume en grande partie les principes de notre ancienne jurisprudence, est en harmonie avec les règles générales du droit.

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Toutes les législations dont nous avons successivement exposé les formes, pour arriver à découvrir les véritables caractères de l'action publique, se résument dans quelques principes qui sont devenus inhérents à la matière même et qui en constituent la véritable théorie.

Au premier âge de toutes les sociétés, dans la Grèce, à Rome, dans les coutumes germaniques,

l'action publique se confond avec l'action de la partie lésée; ces deux actions n'en forment qu'une que cette partie exerce et dirige à son gré. L'idée abstraite d'un intérêt général, supérieur à l'intérêt privé, est la conquête d'un autre âge. Le premier principe, la règle la plus ancienne de la matière, est le droit de poursuite aux mains des personnes offensées.

Dans la loi attique et dans la loi romaine, ce principe domine encore, lors même qu'à côté de l'intérêt privé l'intérêt général a trouvé, en se développant, des organes publics. Aux parties lésées et à leurs familles appartient principalement le droit de poursuivre la vengeance des crimes: ce droit est général, absolu, presque sacré, et n'admet point d'exception. Ce n'est que secondairement, à l'égard des crimes les plus graves, pour appuyer ou suppléer l'action privée, que ces deux législations appellent le concours des citoyens qui réunissent certaines conditions d'aptitude. Mais ce concours est un élément nouveau qui représente, à côté de l'intérêt privé, jusqu'alors maître de l'action, l'intérêt général de la cité; c'est un ministère public que la loi dépose entre les mains de chacun des membres de la société; c'est un principe d'ordre et de justice, qui ne se produit d'abord que disséminé dans les mains de tous, et qui deviendra plus puissant quand il sera placé dans les mains d'un seul magistrat. Enfin, on aperçoit un troisième élément né de la prati

que des affaires et s'élevant avec lenteur à la hauteur d'un principe, c'est l'intervention de l'autorité publique dans la poursuite des crimes, l'initiative du juge à côté de l'action des citoyens. A Athènes, les magistrats ne poursuivent pas, mais ils provoquent les poursuites, ils interviennent pour faire désigner un accusateur. A Rome, vers le quatrième siècle de notre ère, ils accusent eux-mêmes, ou plutôt ils poursuivent d'office et sans accusation. Ainsi se produisent déjà les trois principes de l'action publique : la poursuite par les parties lésées, la poursuite publique par les citoyens, la poursuite par les magistrats. L'accusation appartient à la fois aux parties, aux membres de la cité, au pouvoir public.

Dans les lois germaniques, l'action des parties offensées est la seule action, car son but n'est qu'une vengeance assouvie ou rachetée. Et toutefois, à cette époque même, on voit l'intérêt général poindre, tantôt dans l'établissement du fredum et du bannum, tantôt dans les poursuites intentées d'office par les chefs des justices dans quelques cas de flagrant délit. Au douzième siècle, cette intervention directe du juge est devenue un droit formellement reconnu : non-seulement il agit de son propre mouvement, mais les cas où son action s'exerce se sont étendus. Au quatorzième siècle, l'action publique passe dans les mains d'un magistrat spécial-: le ministère public naît et se développe promptement; il s'empare des fonctions

que les citoyens exerçaient dans les républiques anciennes ; c'est le même principe: le mode de son exercice seul est une conquête du droit. Voilà donc encore, dans cette nouvelle législation, nos trois règles : l'action privée, l'action du juge, l'action d'un ministère public.

L'action privée abdique peu à peu ses principaux priviléges par la substitution de la forme inquisitoriale à la forme accusatoire, par la substitution de la dénonciation et de la plainte à l'accusation. L'action du juge, qui, dans le seizième siècle, avait acquis une grande puissance et avait presque absorbé l'action publique, se circonscrit, au contraire, et prend quelques limites au dixseptième, lorsque le pouvoir royal cherche à centraliser en lui-même tous les pouvoirs. L'action du ministère public, enfin, qui, d'abord, n'agissait que comme jointe à l'action privée, et se bornait à des conclusions prises dans les poursuites d'office, devient l'action principale et prend l'initiative des poursuites. Ces trois principes, avec des limites confuses, avec une autorité variable, continuent de vivre ainsi l'un à côté de l'autre dans la législation, associés, avec une puissance différente, pour l'accomplissement d'une œuvre com

mune.

Lorsque cette matière est portée devant l'Assemblée constituante, une grande hésitation s'empare des esprits. Elle commence par déclarer que le droit d'accusation, qu'elle reconnaît, l'un des

attributs de la souveraineté nationale, doit être délégué au pouvoir exécutif pour être exercé en son nom. Elle revient ensuite sur cette décision, et, brisant la fonction du ministère public en deux parts, elle attribue l'une à un agent nommé par le peuple, l'autre à un agent nommé par le roi. En même temps, et à côté de ces deux fonctions, elle place des juges de paix, avec la mission de poursuivre et d'instruire; et elle reconnaît aux parties lésées et aux citoyens témoins d'un crime le droit de provoquer les poursuites et de concourir à l'instruction. Ainsi l'action du juge se retrouve ici dans le concours des juges de paix, l'action du ministère public dans la triple fonction de l'accusateur public, du commissaire du roi et des citoyens témoins d'un crime, l'action privée dans l'association des parties lésées à la procédure. N'est-il pas étrange que cette législation de 1791, qui réagissait avec tant de force contre les législations antérieures, leur reprenne ces trois règles pour les amalgamer dans son nouveau système? N'est-ce pas la preuve la plus forte que ces règles sont in

hérentes à la matière même?

La législation intermédiaire présente deux phases: la loi du 3 brumaire an 4 adopte et continue le système de l'Assemblée constituante, en étendant seulement aux directeurs du jury une partie de l'initiative réservée aux juges de paix. La loi du 7 pluviôse an 9, loi d'exception, née à l'époque où s'organisaient les tribunaux spéciaux, réagit à son

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