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tour contre les lois de 1791, et cumule, pour donner plus d'énergie à l'action judiciaire, la double fonction de juge d'instruction et d'officier du ministère public, dans les mains des magistrats de sûreté. La poursuite du juge se trouve momentanément restreinte à l'action alors secondaire des juges de paix et des directeurs du jury.

Toutes ces législations se résument donc dans les trois règles fondamentales que nous avons sans cesse retrouvées dans leurs dispositions :

Le droit des parties, lésées par un fait punissable, d'en provoquer la répression;

Le droit de l'État, comme représentant de la cité, de poursuivre devant les tribunaux les faits qui en troublent l'ordre;

Le droit de la justice de s'associer au fait même de cette poursuite, soit pour la surveiller, soit pour en provoquer les actes.

Or, il est évident que ces deux dernières règles, bien qu'elles diffèrent par le mode de leur exercice, se confondent par une commune origine et dans un but commun. L'action du ministère public et l'action du juge sont deux éléments distincts dans leur application, mais qui dérivent du même principe et qui marchent vers le même résultat. Le législateur a multiplié les instruments pour accomplir plus sûrement ses desseins. Il a voulu que les corps judiciaires fussent investis à un certain degré des mêmes fonctions que les agents du pouvoir exécutif, pour être plus certain

que ces fonctions seraient remplies. Il a voulu peut-être, en outre, qu'un pouvoir indépendant pût surveiller, dans l'intérêt de la justice, supérieur à tous les intérêts, l'exercice de l'action qu'il déléguait. Mais ces deux autorités, en définitive, ne représentent point un intérêt distinct; elles agissent l'une et l'autre au nom de l'État; elles exercent ou provoquent la même action, l'action publique.

Ainsi se sont formées les deux actions qui sont le fondement de toute poursuite criminelle, l'action civile et l'action publique; l'une exercée par les parties lésées, dans un intérêt privé, l'autre exercée, soit par les citoyens, soit par les officiers du ministère public ou les juges, dans un intérêt public. Tel est le principe que les législations antérieures nous ont transmis et que notre Code n'a fait que recueillir comme un précieux héritage.

Il faut rechercher maintenant quelle est la base scientifique de ces deux actions et tracer la ligne qui les sépare.

Toute infraction à la loi jette une perturbation plus ou moins grave dans la cité. Elle trouble l'ordre général, elle produit en outre et dans certains cas un préjudice individuel. L'intérêt commun de la cité exige que ce trouble cesse et ne se reproduise pas. L'intérêt privé sollicite la réparation du dommage. Ce sont là évidemment les conditions de toute société; car il n'y a point de société là où il n'y a point d'ordre, là où le droit ne trouve pas de protection.

De là la nécessité d'une double réparation que la justice a la mission d'infliger au nom de la société : la réparation sociale, c'est-à-dire l'application d'une peine, la punition de l'infraction; la réparation privée, c'est-à-dire le paiement du dommage causé par le fait. Il est possible que la peine soit une incomplète expiation, que l'indemnité soit un dédommagement illusoire; mais ce sont les seuls moyens dont la justice humaine puisse disposer. Elle ne fait point revivre ce que le crime a détruit; elle n'efface point le mal et ne le répare qu'imparfaitement. Elle ne peut que punir dans une certaine mesure et indemniser.

La peine et l'indemnité pécuniaire, voilà donc les deux formes de la réparation, le but distinct des deux actions. L'action publique poursuit, au nom de la société, et dans un intérêt général supérieur à l'intérêt privé, l'application du châtiment; l'action civile poursuit, au nom de la partie lésée et dans l'intérêt de cette partie, l'estimation de la lésion qu'elle a éprouvée.

Ces deux actions se confondent dans une source commune; mais elles se séparent aussitôt; elles diffèrent par leur nature même et par le but distinct qu'elles poursuivent.

Elles sortent l'une et l'autre d'un même fait : c'est la même infraction qui les produit. Elles tendent à un résultat commun: la réparation générale du mal causé par l'infraction, réparation qu'elles complètent par leur concours. Enfin, pour obtenir

ce résultat, elles suivent la même voie, elles se servent mutuellement d'auxiliaires, elles sont portées devant les mêmes juridictions. Mais, quelque étroits que soient encore les liens qui les unissent, elles marchent désormais l'une auprès de l'autre sur une ligne parallèle, sans se froisser et, en général, sans se confondre.

Elles sont séparées, en premier lieu, par leur nature même. Elles représentent, en effet, l'une et l'autre, quoique sorties d'un même fait, un principe différent. Nous avons vu que l'infraction produisait, en général, un double résultat, qu'elle blessait à la fois l'intérêt social et l'intérêt privé. L'action publique et l'action civile, nées de ces deux lésions, participent nécessairement du caractère de chacune d'elles. La première, formée dans un intérêt général, est l'action de la société entière; la seconde, formée dans un intérêt individuel, est l'action de la partie lésée seulement. Les conséquences de cette distinction vont faire ressortir le caractère de l'une et de l'autre.

L'action publique appartient à la société, et elle est exercée en son nom. Mais comment doit-elle être exercée? Est-ce la nation qui doit la déléguer immédiatement aux agents chargés de la mettre en mouvement? Doit-elle être considérée, au contraire, comme l'un des attributs du pouvoir exécutif? Constitue-t-elle un droit essentiellement populaire, ou seulement l'une des branches de l'administration publique?

Nous avons reproduit les délibérations de l'Assemblée constituante dans lesquelles cette question fut si longtemps agitée, et nous avons vu les solutions contradictoires qu'elle reçut. La loi du 16-24 août 1790 déclare d'abord que l'action publique sera déléguée au pouvoir exécutif et exercée par les agents de ce pouvoir. Le décret du 10 août 1791 décide, décide, en deuxième lieu, que l'action publique, essentiellement populaire, ne sera exercée que par des agents directement élus par le peuple et tenant du peuple seul leurs fonctions. Enfin, la loi du 16-28 septembre 1791, passant entre ces deux principes et les froissant l'un et l'autre sans les concilier, divise l'action publique en deux ou même en trois parts, qu'elle attribue à l'agent du peuple, à l'agent du roi, et enfin au juge de paix. Aucun de ces trois systèmes ne formulait avec une complète exactitude les vrais principes de la matière.

L'action publique appartient à la société; car c'est dans l'intérêt commun de tous ses membres qu'elle est exercée; car elle tend à les défendre, à les protéger, à resserrer le lien qui les unit, à repousser les actes qui y porteraient atteinte; car elle a pour mission de faire régner le droit qui est le fondement de la vie sociale, et de maintenir les lois qui sont le patrimoine de tous les citoyens.

Mais la société, être collectif et abstrait, soit qu'on l'appelle nation ou cité, ne peut l'exercer elle-même. Il faut nécessairement qu'elle en dé

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