Page images
PDF
EPUB

travention qui leur était imputée, et qu'il ne pouvait, par conséquent, donner lieu de la part du fermier dudit droit qu'à une action directe devant la juridiction ordinaire; qu'ainsi, en s'abstenant de statuer sur la demande en dommages-intérêts portée devant lui, le tribunal de police s'est renfermé dans les limites de sa compétence (1). » Il serait inutile de multiplier les exemples: le principe en lui-même est incontestable; les difficultés ne peuvent naître que de l'appréciation des faits : toute la question se réduit à savoir si ces faits sont ou ne sont pas prévus par la loi pénale.

Toutefois, il faut encore que le dommage soit la conséquence et le résultat direct du délit. Ainsi, un individu est arrêté par erreur et mis en jugement comme accusé d'un crime. Acquitté par la cour d'assises, il se porte partie civile, à raison du dommage que son arrestation lui a fait subir, dans une accusation subséquente poursuivie contre le véritable auteur du crime (2). Cette intervention estelle recevable? La négative paraît évidente. Les poursuites dont le plaignant avait été l'objet lui avaient assurément causé un dommage; mais ce dommage n'était point une conséquence du crime; le crime ne l'avait lésé sous aucun rapport; sa perpétration n'avait porté préjudice ni à sa personne ni à sa fortune; il y était demeuré complètement étranger. La lésion qu'il avait éprouvée n'était née

(1) Arr. cass. 12 avril 1834 (Bull., no 108, p. 122).
(2) Arr. cass. 19 juillet 1832 (Bull., no 271, p. 383).

que de la poursuite qui avait été légèrement exercée contre lui; c'est le fait de cette poursuite, l'erreur de la justice qui avait troublé son existence. Or, ce fait n'était-il pas indépendant de la volonté de l'accusé? Comment le lui imputer s'il n'avait rien fait pour rejeter les soupçons sur le plaignant? Dira-t-on qu'il devait se dénoncer luimême pour empêcher cette poursuite injuste? Il le devait sans doute, mais c'était un devoir de sa conscience, et la violation d'un devoir ne suffit pas . pour donner lieu à des dommages-intérêts. En un mot, la partie plaignante ne devait point être reçue à se constituer, car elle n'avait aucun intérêt à la répression du crime, et la lésion qu'elle avait éprouvée émanait, non du crime lui-même, mais d'un fait postérieur et distinct.

Le deuxième principe est que l'action civile n'est recevable qu'autant que la partie a été lésée par le fait. Il suit de là d'abord qu'une lésion quelconque doit être constatée, ensuite que cette lésion doit être personnelle.

Une lésion quelconque doit être constatée. Cette condition est-elle remplie lorsque l'accusation a pour objet une simple tentative qui n'a été suivie d'aucun effet? La Cour d'assises de la Seine a jugé cette question affirmativement dans une espèce où l'accusé avait tiré sur le plaignant deux coups de pistolet qui ne l'avaient pas atteint : « Attendu qu'aucune disposition de la loi n'a déterminé quel genre d'intérêt doit être allégué par le plaignant,

1

et que le fait seul qu'il a été l'objet de la tentative de meurtre établit son intérêt à intervenir comme partie civile (1). » Cette décision est-elle en harmonie avec la règle que nous avons posée dans le paragraphe précédent?

Il n'est pas exact de dire que la loi n'a pas déterminé le genre d'intérêt qui doit fonder l'action; car elle a voulu que cette action prît sa source dans un dommage (art. 1), dans une lésion quelconque (art. 63), matérielle ou morale. Il n'y a que la partie qui a été lésée qui peut l'intenter. Or quelle est la lésion qu'une tentative peut produire quand elle n'a été suivie d'aucun effet?

Il est évident que ce n'est point une lésion matérielle, puisque le crime n'a pas eu de résultat, puisque la tentative de meurtre, comme dans l'espèce, n'a occasionné ni homicide ni blessure. Il est également évident que ce n'est point une lésion morale; où serait cette lésion? Le plaignant peut craindre assurément qu'une telle tentative ne se renouvelle, et par conséquent il doit désirer qu'elle soit punie. Mais les peines sont appliquées dans un intérêt public et non dans un intérêt privé. Il ne peut appartenir à un simple citoyen de provoquer cette application; c'est la fonction du ministère public, ce n'est pas la sienne. La prétention qu'il élèverait d'intervenir et de se porter partie civile

(1) Arr. Cour d'assises de la Seine 27 juin 1845 (Gazette des trib. du 28).

pour se préserver d'un nouvel attentat serait dérisoire; car elle équivaudrait à la demande d'un châtiment, à des réquisitions pénales. Faudrait-il chercher le mal moral dans la terreur que la tentative a causée? Mais peut-on apprécier et réparer le mal d'une simple alarme? « La justice n'est point faite, comme l'a dit M. Merlin, pour s'occuper de vos craintes, peut-être puériles, ni pour suivre l'impulsion de votre inquiète prévoyance. » Il ne suffit pas, il faut bien le remarquer, d'avoir souffert, la loi exige qu'on ait souffert d'un dommage. C'est cette condition légale qui manque ici. Il faut ensuite que le dommage soit appréciable, puisque la réparation est exclusivement pécuniaire; or, comment réparer, comment estimer le danger d'une vaine tentative, la frayeur qu'elle a donnée, la crainte qu'elle ne se répète?

Nous avons dit que la lésion doit être personnelle. Cette règle peut donner lieu dans son application à quelques difficultés.

En effet, la lésion peut atteindre dans certains cas notre personne, non-seulement en nous frappant nous-mêmes, mais encore en frappant des personnes auxquelles des liens étroits nous attachent. La loi romaine avait prévu, relativement à la poursuite des injures, cette sorte de dommage: Item aut per semetipsum alicui fit injuria aut per alias personas: per semet, cùm directo ipsi cui patrifamilias vel matrifamilias fit injuria; per alias, cùm per consequentias fit, cum fit liberis nostris, vel servis nostris, vel

uxori, nuruive; spectat enim ad nos injuria quæ ex his fit, qui vel potestati nostræ vel affectui subjecti sunt (1). Toutefois, il ne s'agit plus, comme dans cette loi, de faire remonter au chef de la famille, comme s'il les supportait personnellement, toutes les injures qui sont portées à chacun de ses membres; notre législation moderne a renversé cette antique fiction et l'a remplacée par la réalité. Chaque membre de la famille poursuit directement la réparation des injures qu'il a souffertes, et si le père ou le tuteur intervient, c'est au nom de la personne lésée, c'est seulement pour l'aider à faire valoir ses droits, à soutenir son action, c'est pour suppléer à son impuissance ou à sa faiblesse. Nous avons établi ce point précédemment (2). Il s'agit uniquement ici de l'hypothèse où le délit traverse pour ainsi dire une personne pour en frapper une autre, où, par exemple, le père se trouve personnellement lésé du délit commis envers son fils, le fils du délit dont son père a été la victime, le maître des violences commises sur son domestique. L'infraction, en effet, peut produire pour nous un dommage personnel, et c'est là le principe posé par la loi romaine, bien que le délit n'ait pas été commis sur notre propre personne. Sicut vel per se vel per alios quis inferre, ità quoque vel per se vel per alios pati injuriam potest (3). Supposons qu'un homme, soutien

(1) L. 1, § 3, Dig., De injuriis. Voët, lib. XLVII, tit. 10, 6. (2) Voy. suprà, p. 319 et 320.

(3) Voët, lib. XLVII, tit. 10, 6.

« PreviousContinue »