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grande question de savoir s'il ne pourrait pas luimême, malgré son acquiescement, réclamer encore contre sa condamnation s'il avait recouvré des preuves qui dussent établir son entière innocence; mais on n'a jamais révoqué en doute que, quelque parti qu'un accusé ait pris sur le jugement par lequel il a été condamné, un procureur général ne soit toujours en droit de réclamer l'autorité du tribunal supérieur pour faire réformer ce jugement (1), » Cette doctrine inflexible avait pour conséquence nécessaire que tous les jugements dont il n'avait pas été appelé étaient soumis pendant vingt ans à l'appel du procureur général, et que toutes les peines que ces jugements avaient prononcées, subies à titre provisoire, ne faisaient aucun obstacle à l'application des peines nouvelles que le parlement pouvait prononcer, même après que les premières avaient été pleinement exécutées.

Notre législation actuelle, reprenant ce principe, mais sans lui donner des effets aussi rigoureux, ne reconnaît point au ministère public le droit d'acquiescer à un jugement, et par conséquent de renoncer à l'exercice des voies de recours qui lui sont ouvertes. La raison qui fonde cette règle est la même que celle qui repousse et le droit de transaction et le droit de désistement. Le ministère public peut agir et demeurer inactif, il peut exercer les droits que la loi lui ouvre ou ne pas les exercer; mais il ne peut se désarmer à l'avance par une renoncia

(1) Lettre du 19 janv. 1747. OEuvres compl., tom. VIII, p.

tion prématurée, il ne peut répudier des garanties de justice qui ont été établies dans un intérêt social. Car, répétons-le encore, l'action publique ne lui appartient pas; il ne peut que la mettre en mouvement et l'exercer; il ne peut donc, soit en disposer par un acquiescement, soit renoncer à la faire valoir.

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La Cour de cassation a jugé, par application de ce principe, 1° que l'acquiescement que le ministère public donne à un jugement ne le rend pas non recevable à former appel de ce jugement : << attendu qu'il ne peut ni abréger les délais que la loi lui fixe, ni renoncer aux facultés qu'elle lui donne (1); » 2° qu'un officier du ministère public peut former un pourvoi contre un jugement rendu conformément à ses conclusions: «attendu que les officiers du ministère public ne sont déclarés par la loi non recevables à se pourvoir en cassation que lorsqu'ils ont laissé écouler, sans prendre cette voie, les délais qu'elle leur fixe à cet effet (2);» 3o« « que la notification faite aux prévenus d'un jugement, avec sommation de l'exécuter, n'a pu enlever au ministère public le droit de former son pourvoi en cassation tant que le délai établi par la loi pour l'exercice de ce droit n'était pas expiré (3). »

Il résulte, à plus forte raison, du même prin

(1) Arr. cass. 16 juin 1809 (Dev. et Car., tom. III, p. 74).

(2) Arr. cass. 20 nov. 1811 (Dev. et Car., tom. III, p. 425); 7 janvier et 25 fév. 1813.

(3) Arr. cass. 26 mai 1827 (Dev. et Car, tom. VIII, p. 605).

cipe que le ministère public du tribunal supérieur, qui est investi d'un droit d'appel indépendant de celui du ministère public du tribunal inférieur, peut l'exercer, lors même que celui-ci aurait acquiescé au jugement et consenti à son exécution. Cette solution, qui reproduit une règle de notre ancienne jurisprudence, en diffère toutefois sur un point : l'appel du procureur général, dans notre ancien droit, avait lieu bien que le procureur du roi eût le droit d'acquiescer et eût acquiescé en effet; dans notre jurisprudence actuelle, au contraire, le droit du ministère public supérieur est la conséquence immédiate de l'illégalité de l'acquiescement du magistrat inférieur. Si cet acquiescement n'enchaîne pas les propres actes de ce magistrat, comment pourrait-il enchaîner l'appel du magistrat supérieur? La cour a jugé, en conséquence, «que chacun des deux droits d'appel est distinct. et qu'il est personnel au fonctionnaire auquel la loi l'a attribué; que le droit d'appel, attribué par l'art. 205 du Code d'instr. crim. au ministère public près le tribunal ou la cour qui doit connaître de l'appel, est indépendant de celui qui est accordé par l'art. 202 au procureur du roi de 1r instance, et ne peut être ni anéanti, ni altéré ou autrement modifié par le fait de ce procureur du roi de 1re instance; d'où il suit que l'acquiescement que ce procureur du roi aurait donné ou pourrait être présumé avoir entendu donner au jugement de 1r instance, ni

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même l'exécution par lui de ce jugement par mise en liberté ou de toute autre manière, ne sont de nature à former le plus léger obstacle à ce que le ministère public près le siége d'appel y exerce dans sa plénitude le droit personnel, direct et indépendant dont il est investi (1). »

Il faut ajouter que la brièveté des délais d'appel dans notre droit actuel ôte à cette règle ce qu'elle avait de rigoureux dans notre ancien droit. Si le condamné à une peine d'emprisonnement est demeuré en état de liberté, l'exécution du jugement, dont il n'y a pas d'appel, doit, en général, être suspendue jusqu'à l'expiration des délais fixés pour le double appel du ministère public. S'il est en état de détention préalable, l'appel du ministère public du tribunal supérieur n'empêche pas la peine de compter, aux termes de l'art. 24 du Code pén., du jour du premier jugement. Ce n'est donc que dans un petit nombre de cas que ce droit d'appel peut occasionner un préjudice au condamné.

Il faut ajouter encore que la Cour de cassation, dérogeant à notre principe pour abréger la détention préalable et les lenteurs de la procédure, a reconnu au ministère public le droit de renoncer à l'appel, avant l'expiration des délais, dans les cas de règlement de juges. Cet acquiescement n'emporte d'ailleurs aucun préjudice, puisque l'action

(1) Arr. cass. 2 fév. 1827 (Dev. et Car., tom. VIII, p. 516). Voyez conf. cass. 15 déc. 1814; 17 juin 1819, 16 janv. 1824, 7 fév. 1835. Legraverend, tom. II, p. 404; Bourguignon sur l'art, 202, n. 6; Merlin, Rép., vo Appel, sect. II, § 8.

est réservée et qu'il ne s'agit que de fixer la juri'diction compétente (1).

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La loi, en plaçant à la tête du ministère public, dans le ressort de chaque cour royale, un procureur général, en soumettant ensuite tous les procureurs généraux à une direction commune, voulu donner pour base à cette institution un principe qui en fait toute la force, le principe de l'unité.

Le législateur l'a déclaré à plusieurs reprises. Le rapporteur du Corps législatif, en rendant compte du travail de la commission sur la loi du 20 avril 1810, s'exprimait en ces termes : « La division dans les fonctions du ministère public ne lui enlèvera rien de tout le ressort qui lui est nécessaire pour agir avec efficacité. Il ne faut jamais perdre de vue le but principal du.système du Code d'instruc. crim., dont la base est l'unité des fonctions du ministère public. » En revenant sur cette idée, le même orateur ajoutait : «Les substituts du procureur général exercent les mêmes pouvoirs que lui, mais sous sa direction spéciale: car l'unité de ce ministère en fait la force et le principe; son action, pour être bienfaisante et salutaire, doit être constamment la même. »

Cette unité du ministère public consiste dans l'unité de la direction qu'il reçoit, de la mission qu'il remplit, des devoirs et des obligations qui

(1) Arr. cass. 18 fév., 8 avr., 27 mai 1841 (Bull., n. 46, 88, 155).

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