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gatives qui lui sont propres ; quand il n'aurait que l'autorité de son rang, c'en serait assez pour mettre une grande inégalité entre lui et l'accusé. Supposez-le donc animé de quelque passion ou de quelque intérêt dans cette discussion, et voyez si le sort de son adversaire n'est pas dans ses mains d'une manière effroyable. Or, pensez-vous que celui qui dispose si fortement d'un homme ne soit pas son juge, et que ce juge soit bien réellement tel que la loi le demande pour remplir la fonction qu'elle lui confie (1).»

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M. Mangin donne à ces observations une entière adhésion (2). Il serait difficile, en effet, de contester leur gravité. Cette prérogative du ministère public est tout entière fondée sur cette argumentation des anciens praticiens, que le ministère public agit comme partie publique; que les parties ne doivent pas compte des motifs qui les animent; que la partie publique ne peut donc pas être récusée plus que toute autre partie. Il faut répondre que le ministère public n'est point une simple partie ;qu'il remplit une mission de la loi, et que le ministre de la loi doit être pur et impartial comme elle; qu'il n'est plus impartial dès qu'il trouve dans ses intérêts ou dans ses affections d'autres désirs et d'autres vues que ceux que son ministère exige; qu'il cesse d'être pur dès qu'apercevant dans luimême des motifs qui le tireraient hors des voies de

(1) Rép., v. Ministère public (article de M. Garat), § 5, n. 6.
(2) Act. publ., tom. I, n. 117, p. 235.

la justice, il ne s'exclut pas des fonctions qui peuvent en être altérées et profanées (1). On objecte ensuite que l'indépendance de l'action publique serait compromise si l'officier qui l'exerce pouvait être récusé et par cela même soumis au contrôle du tribunal chargé de juger la récusation (2). Mais il ne faut pas confondre l'action et la cause de récusation personnelle au magistrat; le tribunal se bornerait à apprécier cette cause; comment l'indé- · pendance de l'action pourrait-elle en souffrir? On ajoute encore que la poursuite des crimes ne supporte point de délai et que le jugement de la récusation suspendrait la procédure (3). La réponse est dans cette observation de Bruneau, que le procureur du roi récusé serait aussitôt remplacé par son substitut. En définitive, le droit de récusation est une garantie donnée, non point aux accusés seulement, mais à la justice elle-même; et les mêmes raisons qui l'ont fait appliquer aux juges auraient dû l'étendre aux officiers du ministère public.

Au reste, les magistrats, s'ils n'abusent pas de leur privilége, doivent s'abstenir toutes les fois qu'ils connaissent en eux-mêmes une cause de récusation et qu'ils peuvent se défier de leur complète impartialité; mais ils sont seuls juges des motifs de leur abstention, et ils n'en doivent compte

(1) M. Garat, Rép., v. Ministère public, § 5, n. 6.

(2) M. Guerry de Champneuf, note sur M. Mangin, Act. publ., tom. I, p. 235.

(3) M. Guerry de Champneuf, eod. loco.

à personne. Un procureur du roi, croyant avoir des motifs de ne pas porter la parole dans une affaire, présenta requête au tribunal, et conclut à ce qu'il fût dit qu'il devait s'abstenir de connaître du procès. Le tribunal, faisant droit à la requête, admit les causes d'abstention et déclara que le procureur du roi était dispensé de porter la parole dans l'affaire. Ce jugement a été déféré à la Cour de cassation dans l'intérêt de la loi. Le procureur général a dit : « Le ministère public, lorsqu'il agit comme partie principale, a le même caractère, pour la vindicte publique, que la partie civile pour les intérêts privilégiés. Il ne peut être accusé; l'art. 381 du Code de pr. le dit formellement. Que des motifs de délicatesse portent le procureur du roi à se mettre à côté du procès, et à se reposer sur un de ses substituts, c'est un point de fait dont la loi ne s'occupe pas et que personne n'a le droit de critiquer; mais qu'on provoque une décision sur un point qui n'en est pas susceptible, et qu'on suppose dans un tribunal un pouvoir de statuer qu'il n'a pas, c'est ce qui est contraire à l'ordre public. » La Cour de cassation a prononcé l'annulation en adoptant ces motifs (1).

Si les officiers du ministère public ne sont pas récusables à raison des causes de suspicion que les parties croient apercevoir en eux, ne doiventdu moins être responsables des fautes qu'ils (1) Arr. cass. 28 janv. 1830 (J. P., tom. XXIII, p. 36.)

ils

pas

commettent dans l'exercice de leurs fonctions? Cette responsabilité n'est pas douteuse, mais ses effets dépendent de la nature et de la gravité des faits.

Dans notre ancienne jurisprudence, les causes de prise à partie établies contre les juges étaient applicables aux officiers du ministère public (4). Or quelles étaient ces causes? L'art. 2 de l'ordonnance de décembre 1540 portait «Ne pourront les juges estre prins à partie, sinon que l'on maintienne par relief qu'il y ait dol, fraude ou concussion ou erreur évident en fait ou en droit. » Mais cette ordonnance ne fut pas longtemps observée, ' et la pratique établit que la prise à partie serait restreinte aux faits de concussion, de dol ou de fraude (2). On suivait la règle prescrite par Ulpien : Judex litem suam facere intelligitur, cum dolo malo in fraudem legis sententiam dixerit. Dolo malo autem videtur hoc facere, si evidens arguatur ejus vel gratia vel inimicitia vel etiam sordes (3).

Ces dispositions ont été, en général, reprises et consacrées par notre législation moderne.

L'art. 505 du Code de pr. civ., qui a reproduit, avec quelques modifications, l'art. 565 du Code du 3 brumaire an IV (4), est ainsi conçu: «Les

(1) Mayart de Vouglas, Lois crim., p. 585; Bruneau, tit. XXVI, max. 5; Serpillon, tom. I, p. 114 et 175.

(2) Bacquet, Des droits de justice, chap. 17, n. 20; Mornac, sur la 1. 15, § 1, Dig., De judiciis.

(3) L. 15, § 1, Dig., De judiciis.

(4) Voici le texte de cet article: « Il y a lieu à la prise à partie contre un juge dans les cas suivants seulement; 1° lorsqu'elle est ou

juges peuvent être pris à partie dans les cas suivants: 1° s'il y a dol, fraude ou concussion, qu'on prétendrait avoir été commis, soit dans le cours de l'instruction, soit lors des jugements; 2° si la prise à partie est expressément prononcée par la loi; 3° si la loi déclare les juges responsables, à peine de dommages-intérêts; 4° s'il y a déni de justice. »

Cette disposition, qui ne désigne que les juges, est-elle applicable aux officiers du ministère public? L'affirmative n'est pas douteuse; d'abord parce que la loi a permis, en général, de prendre ces officiers à partie; ensuite, parce que, n'ayant pas désigné à leur égard tous les cas de prise à partie, elle s'est nécessairement référée à la règle générale prescrite par l'art. 505 du C. de proc. civ.

Nous disons que la loi a permis de prendre les officiers du ministère à partie. En effet, l'art. 112 du Code d'inst. crim. porte que l'exécution des formalités prescrites pour les mandats de comparution, de dépôt, d'amener et d'arrêt, sera puni, s'il y a lieu, d'injonction au juge d'instruction et au procureur du roi, même de prise à partie, s'il y échet. L'art. 281 dispose que le procureur général ne peut porter aux assises aucune accusation lé

verte à son égard par la disposition expresse et textuelle d'une loi; 2o lorsqu'il est exprimé dans une loi que les juges sont responsables à peine de dommages-intérêts; 3° lorsqu'il y a eu de la part d'un juge dol, fraude ou prévarication commise par inimitié personnelle; 4 lorsqu'il est dans le cas de la forfaiture.

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