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SECTION Ire.

DE L'EXERCICE DES DEUX ACTIONS DANS L'ÉTENDUE DU

TERRITOIRE.

§ 126. Les lois pénales atteignent toutes les personnes qui habitent le territoire.

§ 127. Définition du territoire.-Examen des fictions qui l'étendent, au delà des frontières, dans les lieux occupés par les armées françaises; au delà des rivages, à une certaine distance en mer, et, sur tous les points du globe, aux navires français.

§ 128. Exceptions au principe de la compétence territoriale: immunité de juridiction établie par la loi à l'égard du roi, et, par les usages, à l'égard des agents diplomatiques.

$ 125.

L'action publique et l'action civile s'étendent à tous les crimes, délits et contraventions qui sont commis sur le territoire.

Elles s'appliquent à toutes les personnes, quels que soient leurs titres et leurs rangs (1), qui ont commis ces infractions; enfin, elles atteignent les étrangers aussi bien que les citoyens français.

Ces trois règles ne sont que les corollaires du principe posé par l'art. 3 du C. civ.: « Les lois de police et de sûreté obligent tous ceux qui habitent le territoire. >>

Il résulte, en effet, de ce principe que les lois pénales doivent s'étendre, sans aucune exception, (1) Charte const., art. 1.

à toutes les personnes qui résident sur le territoire, et que, par conséquent, les étrangers, comme les régnicoles, sont sujets à leur application.

On trouve la raison de ce principe dans l'exposé des motifs de l'orateur du gouvernement, M. Portalis: Il est des lois sans lesquelles un État ne saurait subsister. Ces lois sont toutes celles qui maintiennent la police de l'État et qui veillent à sa sûreté. Nous déclarons que les lois de cette importance obligent indistinctement tous ceux qui habitent le territoire. Il ne peut à cet égard exister aucune différence entre les citoyens et les étrangers. Un étranger devient le sujet casuel de la loi du pays dans lequel il passe ou dans lequel il réside. Dans le cours de son voyage, ou pendant le temps plus ou moins long de sa résidence, il est protégé par cette loi; il doit donc la respecter à son tour; l'hospitalité qu'on lui donne appelle et force sa reconnaissance. D'autre part, chaque État a le droit de veiller à sa conservation, et c'est dans ce droit que réside la souveraineté. Or, comment un État pourrait-il se conserver et se maintenir s'il existait dans son sein des hommes qui pussent impunément enfreindre sa police et troubler sa tranquillité? Le pouvoir souverain ne pourrait remplir la fin pour laquelle il est établi si des hommes étrangers ou nationaux étaient indépendants de ce pouvoir. Il ne peut être limité, ni quant aux choses, ni quant aux personnes. Il n'est rien s'il n'est tout. La qualité d'étranger ne saurait être une

exception légitime pour celui qui s'en prévaut contre la puissance publique qui régit le pays dans lequel il réside. Habiter le territoire, c'est se soumettre à la souveraineté. Tel est le droit politique de toutes les nations.

Toutes les nations, en effet, ont consacré ce droit. La loi romaine avait posé en règle générale la compétence des juges des lieux où le crime avait été commis (1); et notre ancienne jurisprudence, après avoir longtemps soutenu la compétence du juge du domicile, avait fini par reconnaître également celle des juges du lieu (2). Toutes les législations modernes ne présentent sur ce point aucun dissentiment; elles ont unanimement et par des dispositions formelles sanctionné cette compétence (3).

C'est que cette attribution de la juridiction du lieu du délit a son fondement, non-seulement dans la souveraineté alléguée par M. Portalis, mais encore dans l'ordre et la justice elle-même. C'est au lieu de la perpétration du délit que le coupable doit la réparation, que les tribunaux doivent l'exemple; la compétence n'est point arbitraire et con

(1) L. 13 Dig., De officio præsidis; 1. 1 C., Ubi de criminibus agi oporteat; Matthæus, De crimin., ad tit. Pand. De damno injuriâ dalo, tit. 3, n. 6, et ad tit. De accusat., c. 5, n. 3.

(2) Voy. notre tom. 1er, § 83, p. 573; ord. 15 avril 1453, art. 29; janv. 1563, art. 19; févr. 1566, art. 35; août 1670, art. 1.

(3) Voy. C. civ. des Deux-Siciles, art. 5; C. pén. de Sardaigne, art. 6, 8 et 9; C. pén. d'Autriche, § 31; C. de Prusse, part. 2, tit. 29, art. 12 et 15; ord. de public. du C. de Bavière, art. 4; C. pén. de Saxe, art. 9; C. pén. de Wurtemberg, art. 4, etc.

ventionnelle, elle est la conséquence du délit luimême. L'étranger, en commettant ce délit, s'est fait le justiciable de la juridiction locale. La justice ne voit point d'étranger, elle ne voit qu'un coupable. Est-ce que cette qualité d'étranger efface le crime? Est-ce que la société, quelle que soit la nationalité de l'agent, n'a pas besoin, pour rétablir l'ordre troublé dans son sein, d'une réparation? L'étranger, par une sorte de convention tacite, en venant chercher protection et sûreté à l'ombre des lois, est devenu le sujet de ces lois et s'est soumis aux conséquences de leur violation : il appartient à la justice du pays (1).

Il résulte de ce principe que la juridiction du lieu du délit est compétente lors même que le délit a été commis par l'étranger au préjudice d'un autre étranger. En effet, la violation de la loi locale existe, quelle que soit la qualité de la personne qui en a été lésée, et ce n'est pas seulement à cette personne, à qui d'ailleurs protection est due, c'est à la société tout entière que la justice doit une réparation (2).

La juridiction du lieu est compétente lors même que la personne lésée par le délit, non-seulement est étrangère, mais ne réside pas sur le territoire. La raison de décider est la même; ce n'est pas

(1) Homan, De delict. peregrin., § 2; Feuerbach, Lehrbuch, § 31; Vattel, Droit des gens, liv. II, chap. 8, § 101. (2) Voy. conf. Mangin, Act. publ., tom. I, n. 60, p. 104, et arr. 29 déc. 1814, cité par cet auteur et non imprimé.

cass.

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l'intérêt de cette personne qui détermine la compétence, c'est l'intérêt de la société dont la loi a été violée, c'est l'intérêt de la justice qui exige une réparation là où un délit a été commis. Deux arrêts ont consacré cette doctrine. Un individu avait été déclaré coupable « d'avoir menacé d'assassinat le prince d'Orange, par plusieurs lettres à lui adressées de Paris à Bruxelles, avec ordre de déposer une somme d'argent dans un lieu indiqué en France.» Condamné aux travaux forcés par application de l'art. 305 du C. pén., il s'est pourvu en cassation, en soutenant que le crime n'avait pas été commis en France, mais en Belgique, puisque c'était là que les lettres étaient adressées, et que le prince d'Orange étant étranger et résidant en pays étranger, la loi française ne lui dėvait aucune protection. Le pourvoi fut rejeté : « Attendu, sur les deux premiers moyens, pris du statut personnel et de l'insuffisance des questions soumises au jury, que la question présentée au jury était conforme, dans l'énonciation du fait imputé et de ses circonstances, à l'arrêt de renvoi, et que la réponse affirmative du jury sur la question ainsi posée a suffi pour justifier l'application de la loi pénale (1). » Dans la seconde espèce, un Anglais avait publié en France, où il résidait, un libelle diffamatoire contre plusieurs de ses compatriotes résidant à Bruxelles. Poursuivi, sur la plainte de ceux-ci, devant le tribunal de Saint-Omer, il soutint l'incompétence de

(1) Arr. cass. 31 janv. 1822 (J. P., tom. XVII, p. 90).

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