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La troisième fiction consiste à considérer cha

que navire comme une partie détachée du sol, comme une portion du territoire de la nation à laquelle il appartient. Cette règle, qui a pour but de maintenir, sur chaque vaisseau, les marins et les passagers sous l'autorité et sous la juridiction du pays dont le pavillon les couvre, est universellement reconnue (1). Toutefois, il paraît nécessaire de faire dans son application une distinction entre les vaisseaux de guerre et les navires de com

merce.

Les uns et les autres, lorsqu'ils voguent en pleine mer, doivent être réputés la continuation du territoire national. En conséquence, ils demeurent exclusivement soumis aux lois et à la police de la nation. Ils maintiennent sa souveraineté sur leur bord; ils sont indépendants de toute juridiction étrangère; ils ne relèvent que de leurs juges naturels. Mais en est-il encore ainsi lorsqu'ils entrent dans les eaux qui sont la propriété d'un État étranger, comme les ports et les rades ou la mer territoriale à la portée du canon des côtes? A l'égard des vaisseaux de guerre, la question ne présente aucun doute. Ces navires, même dans un port étranger, restent sous l'empire exclusif des lois de leur pays; ils sont affranchis de toute juri

(1) Vattel, liv. I, chap. 19, § 216; Wheaton, tom. I, part. 2, chap. 2, 10, no 3 et 4; Fœlix, no 508, p. 532; Th. Ortolan, tom. I, p. 222; Hello, Revue de législation, 1843, tom. I, p. 140; Dupin, Réquis. tom. I, p. 481.

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diction et même de toute police étrangère sur leur bord; ils conservent toute l'indépendance du territoire. « Le navire de guerre, dit M. Th. Ortolan, portant dans son sein une partie de la puissance publique de l'État auquel il appartient, un corps organisé de fonctionnaires et d'agents de cette puissance dans l'ordre administratif et dans l'ordre militaire, soumettre ce navire et le corps organisé qu'il porte aux lois et aux autorités du pays dans les eaux duquel il entre, ce serait vraiment soumettre l'une de ces puissances à l'autre ; ce serait vouloir rendre impossibles les relations maritimes d'une nation à l'autre par bâtiments de l'État (1). » La nation propriétaire du port ou de la rade peut interdire aux bâtiments de guerre l'entrée de ses eaux; elle peut les surveiller ou leur enjoindre d'en sortir; elle peut encore établir avec les commandants de ces bâtiments toutes les relations qu'elle établirait avec leur gouvernement, suivant les besoins des circonstances; mais elle ne peut faire à bord acte de puissance et de souveraineté elle ne peut régir les personnes qui s'y trouvent ou les fautes qui s'y passent (2). Il est d'ailleurs hors de doute que cette inviolabilité n'enlève point à la nation, si le vaisseau commet à son égard des actes d'agression ou de violence, le droit de prendre toutes les mesures nécessaires à sa sûreté. Elle n'affranchit pas non plus le navire des règles gé

(1) Th. Ortolan, tom. I, p. 227. (2) Th. Ortolan, tom. I, P. 228.

nérales de police qui, comme les règlements sanitaires, sont la condition de son admission dans les eaux du pays.

La même solution s'applique-t-elle aux navires de commerce? Ces navires sont, comme les navires de guerre, la continuation du territoire de la nation dont ils portent le pavillon, mais ils ne portent pas dans leur sein, comme ces derniers, une partie de la puissance publique de leur pays, un corps organisé de fonctionnaires; ils restent soumis à la souveraineté du pays, mais ils ne le représentent pas, ils n'en sont pas les agents. De là il suit que ces navires, bien qu'ils continuent d'être régis, en ce qui concerne leur régime intérieur, par les lois de leur pays, ne sont pas affranchis de l'action de la puissance publique du territoire sur lequel ils sont, pour l'exécution des lois de police et de sûreté qui sont en vigueur sur ce territoire (1). C'est ainsi qu'ils sont assujétis aux perquisitions de la douane, qu'ils doivent même recevoir à leur bord les gardes que l'autorité étrangère y pose et se prêter à toutes les mesures de surveillance et de police qui leur sont imposées.

Cette distinction, qui tend à concilier les deux souverainetés et les deux juridictions, celle de la nation à laquelle appartient le navire et celle du lieu où il se trouve, a été consacrée par un avis du conseil d'État du 20 novembre 1806, dont voici le texte : « Le conseil d'État qui, d'après le renvoi

(1) M. Dupin, Réquis., tom. I, p. 483; M. Th. Ortolan, tom.I, p. 230.

à lui fait, a entendu le rapport de la section de législation, tendant à régler les limites de la juridiction que les consuls des États-Unis d'Amérique, aux ports de Marseille et d'Anvers, réclament par rapport aux délits commis à bord des vaisseaux de leur nation étant dans les ports et rades de France; considérant qu'un vaisseau neutre ne peut être indéfiniment considéré comme lieu neutre; et que la protection qui lui est accordée dans les ports français ne saurait dessaisir la juridiction territoriale, pour tout ce qui touche aux intérêts de l'État qu'ainsi, le vaisseau neutre admis dans un port de l'État est de plein droit soumis aux lois de police qui régissent le lieu où il est reçu; que les gens de son équipage sont également justiciables des tribunaux du pays pour les délits qu'ils y commettent, même à bord, envers des personnes étrangères à l'équipage, ainsi que pour les conventions civiles qu'ils pourraient faire avec elles; mais que si, jusque-là, la juridiction territoriale est hors de doute, il n'en est pas ainsi à l'égard des délits qui se commettent à bord du vaisseau neutre de la part d'un homme de l'équipage neutre envers un autre homme du même équipage; qu'en ce cas, les droits. de la puissance neutre doivent être respectés, comme s'agissant de la discipline intérieure du vaisseau, dans laquelle l'autorité locale ne doit point s'ingérer, toutes les fois que son secours n'est pas réclamé ou que la tranquillité du port n'est pas compromise est d'avis que cette distinction, cɔn

forme à l'usage, est la seule règle qu'il convienne de suivre en cette matière; et, appliquant cette doctrine aux deux espèces particulières pour lesquelles ont réclamé les consuls des États-Unis: considérant que, dans l'une de ces affaires, il s'agit d'une rixe passée dans le canot du navire américain le Newton, entre deux matelots du même navire; et, dans l'autre, d'une blessure grave faite par le capitaine en second du navire la Sally à l'un de ses matelots, pour avoir disposé du canot sans son ordre est d'avis qu'il y a lieu d'accueillir la réclamation et d'interdire aux tribunaux français la connaissance des deux affaires précitées. »

La limite posée par cette décision entre les deux juridictions est la règle de la matière. L'ord. du 29 octobre 1833, relative aux rapports des consuls avec la marine marchande, l'a formellement consacrée. L'art. 22 de cette ordonnance porte que: « Lorsque des voies de fait, délits ou crimes auront été commis à bord d'un navire français en rade ou dans le port, par un homme de l'équipage envers un homme du même équipage ou d'un autre navire français, le consul réclamera contre toute tentative que pourrait faire l'autorité locale d'en connaître, hors le cas où, par cet évènement, la tranquillité du port aurait été compromise. Il invoquera la réciprocité des principes reconnus en France à cet égard par l'acte du 20 novembre 1806 et fera les démarches nécessaires pour obte

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