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des navires amis ou neutres cesse dès que ces navires, au mépris de l'alliance ou de la neutralité du pavillon qu'ils portent, commettent des actes d'hostilité; que dans ce cas ils deviennent ennemis et doivent subir toutes les conséquences de l'état d'agression dans lequel ils se sont placés; qu'il résulte des faits posés par la chambre d'accusation que le bateau à vapeur sarde le Carlo-Alberto est parti de Livourne pour une destination supposée, avec des personnes dont les noms étaient aussi supposés, et par conséquent avec de fausses pièces à bord; que sa destination réelle était de servir d'instrument au complot qu'avaient formé les passagers contre le gouvernement français; qu'il a été nolisé à cet effet et a servi à l'exécution de ce complot; qu'on ne peut donc invoquer en faveur de ce navire et de ses passagers le privilége du droit des gens, qui n'est établi qu'en faveur des alliés et des neutres.» Et, sur le motif tiré de la relâche forcée à la Ciotat, la Cour de cassation a répondu : « que ce principe ne peut être invoqué quand il s'agit d'un navire qui a été nolisé pour servir d'instrument à un complot et qui venait, en effet, de servir à l'exécution de ce crime, à la poursuite duquel devaient veiller les autorités françaises, et qui se trouvait encore en état d'hostilité, puisqu'il portait des personnes qui depuis lors ont été mises en état d'arrestation comme conspirateurs (1). » Cet arrêt maintient évidemment la règle et ne (1) Arr. cass. 7 sept. 1832 (Sir., 1832, 1, 591).

conteste que son application dans l'espèce. La Cour de cassation reconnaît que tout vaisseau portant le pavillon de la nation à laquelle il appartient est la continuation de son territoire, et que dès lors la juridiction locale du port où il est entré ne doit, en général, exercer aucun acte sur son bord; mais elle limite ce privilége au cas où le navire est, suivant les termes de l'avis du conseil d'État, allié ou neutre, au cas où ce navire respecte les lois du pays. S'il se livre à des actes d'hostilité, il devient ennemi et doit subir les conséquences de l'état d'agression où il s'est placé; et, d'un autre côté, le pays attaqué se trouve lui-même en état de légitime défense pour repousser les hostilités (1). Ces règles sont incontestables en elles-mêmes et leur application peut seulement donner lieu à la discussion d'un point de fait. La Cour de Lyon, devant laquelle l'affaire avait été renvoyée, a complètement adopté la décision de la Cour de cassation (2).

Quant à l'exception tirée de la relâche forcée, nous dirons, puisque cette question se présente ici, qu'il est, en effet, de principe que le naufrage ne donne aucun droit à la nation dans les eaux de laquelle il a lieu, et que l'ennemi même cesse alors d'être un ennemi. On trouve ce principe dans l'art. 1 du titre IX de l'ord. d'août 1681, ainsi conçu: « Déclarons que nous avons mis et mettons sous

(1) M. Th. Ortolan, tom. I, p. 307.

(2) Arr. Lyon, 15 oct. 1832 (Sir., 33, 2, 242).

notre protection et sauvegarde les vaisseaux, leurs équipages et chargements qui auront été jetés par la tempête sur les côtes de notre royaume. » On le trouve encore dans l'arrêté des consuls du 18 frimaire an viii, rendu en faveur des naufragés de Calais, et ainsi conçu : « Les consuls, considérant, 1o que les émigrés détenus au château de Ham ont fait naufragé sur les côtes de Calais; 2° qu'ils ne sont dans aucun des cas prévus par les lois sur les émigrés; 3° qu'il est hors du droit des nations policées de profiter de l'accident d'un naufrage pour livrer même au juste couroux des lois des malheu reux échappés aux flots; arrêtent les émigrés naufragés à Calais seront déportés hors du territoire de la république (1). » La seule et véritable raison de ce principe, c'est que le malheur est une chose sacrée, c'est qu'il serait inhumain de saisin des misérables que la tempête seule a livrés, c'est qu'il répugnerait de ne les sauver des flots que pour les frapper d'une peine. Mais cette sauvegarde, pour conserver son caractère essentiel, doit être appliquée avec une certaine réserve. Deux conditions sont évidemment nécessaires : il faut une force majeure, telle que l'évènement d'un nau

(1) Voy. Sirey (ane. édit.), tom. I, 2o part., p. 5.—On a cité comme contraires à ce principe les art. 19 et 20 de l'arrêté du 6 germ. an, 8, qui prescrivent la prise des bâtiments ennemis échoués ou naufragés sur les côtes des colonies. Il ne s'agit dans cet arrèté que des débris de ces bâtiments; il ne s'agit nullement des naufragés euxmêmes.

frage; il faut ensuite que le naufrage n'ait pas surpris les accusés dans la perpétration même du crime. En effet, ce qui fait l'intérêt de leur position, c'est qu'ils sont jetés sur un territoire ennemi malgré leurs efforts pour l'éviter; ce qui les protége, c'est qu'au moment du naufrage ils fuyaient la terre où la tempête les a portés. Mais si leur relâche forcée n'a fait que précéder ou suivre une relâche volontaire, si la tempête n'a fait que les précipiter sur la rive vers laquelle ils se dirigeaient pour commettre quelque attentat, com ment cette relâche ou cette tempête pourrait-elle les sauvegarder? Elle n'a point changé leur route ni renversé leurs desseins; ils se sont exposés volontairement au péril, et le délit ne cesse pas d'être flagrant parce qu'un accident imprévu en trouble l'exécution. C'est dans ce sens, nous le croyons, qu'il faut entendre l'arrêt de la Cour de cassation, et c'est avec cette limite que le principe, qu'elle n'a› point au reste méconnu, doit être appliqué.

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Il nous reste à mentionner un droit, distinct du droit de juridiction, et qui dérive néanmoins comme celui-ci de la souveraineté : c'est le droit de police qu'exercent, dans les différents ports, les consuls de chaque nation sur les navires qui portent leur pavillon. C'est toujours l'application de la même règle la juridiction territoriale suit le navire, et l'autorité publique, représentée par le consul, le surveille pour y maintenir la discipline. L'art. 19 de l'ord. du 29 octobre 1833 porte : « Nos

consuls exerceront la police sur les navires de commerce français dans tous les ports de leur arrondissement et dans les rades sur lesquelles il ne se trouverait pas de bâtiments de l'État, en tout ce qui pourra se concilier avec les droits de l'autorité locale, et en se dirigeant d'après les traités, conventions et usages, ou le principe de la réciprocité.» Ce droit de police donne aux consuls une double attribution: il leur permet de prendre, dans l'intérêt du bon ordre, toutes les mesures de discipline qui peuvent être nécessaires au service des équipages; il les investit, en second lieu, du pouvoir de rechercher les délits, d'en recueillir les preuves, d'en arrêter même les auteurs, et de faire tous les actes préliminaires pour livrer les prévenus aux tribunaux compétents. C'est ainsi que l'art. 26 de la même ordonnance leur prescrit de réclamer des autorités locales l'arrestation et la remise des matelots déserteurs ; que l'art. 24 les autorise à autoriser, pour causes graves, le débarquement d'un ou de plusieurs marins; enfin que l'art. 22 suppose qu'ils peuvent ordonner l'arrestation et la détention à bord des hommes de l'équipage prévenus de crimes (1).

(1) L'art. 8 de la convention du 14 nov. 1788 entre la France et les États-Unis porte : « Les consuls et vice-consuls exerceront la police sur tous les bâtiments de leurs nations respectives. » L'art. 15 des déclarations échangées à Paris le 8 mai 1827 entre les ministres de France et du Mexique porte également : « Les consuls respectifs seront exclusivement chargés de la police interne des navires de leur nation. Tous les traités de commerce et de navigation conclus de

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