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lèguent aucun lésion personnelle? Est-ce simplement parce qu'elles ne jouissent pas des droits civiques? Nullement; la loi déclare qu'elle les repousse uniquement parce qu'elles échapperaient, en cas d'accusation calomnieuse, à la peine du talion Ne alioquin securitate sexûs (id est cùm sciant sibi talionis vel calumniæ pœnam non imminere) ad accusationes temerè proruant (1). Pourquoi les personnes réputées infames, pourquoi celles qui ont trafiqué de leur témoignage ou se sont désistées à prix d'argent d'une accusation, sont-elles rejetées? Ont-elles donc été privées du titre de citoyen? Nullement; mais c'est que leur infamie ou leur corruption inspire une juste défiance, propter suspicionem calumniæ (2). Enfin quel motif écarte l'accusation des citoyens qui ne possèdent pas une certaine fortune, quinquaquinta aureos? N'ont-ils pas le titre de citoyen? Oui; mais leur pauvreté peut les rendre accessibles à la séduction, et ils sont repoussés propter paupertatem (3). Ainsi, dans l'esprit de la loi, la qualité de citoyen ne suffit pas pour conférer le droit, et la privation de cette qualité ne suffit pas pour l'anéantir.

Il importe de rappeler encore que les magistrats s'étaient peu à peu attribué le pouvoir, et dans un temps assez voisin de l'établissement impérial, de poursuivre les crimes sans l'intervention d'un accusateur et d'office : Sive accusator exsistat, sive publicæ

(1) L. 3 C. Th., De accusationibus.

(2) Paul., 1. 9 Dig., eod. tit.

(3) Hermogen., . 10 Dig., eod. tit.

sollicitudinis curá (1). Les jurisconsultes Paul (2) et Ulpien (3), les empereurs Gordien (4) et Constantin (5), constatent successivement cette initiative du juge, cette poursuite d'office, et semblent la considérer, non comme un fait nouveau, comme un empiètement sur les droits des citoyens, mais comme une règle déjà ancienne, incognitum non est (6), que les besoins de la justice avaient établie, comme un moyen utile d'expédier plus promptement les causes criminelles, ut noxius puniatur, innocens absolvatur (7). Il est évident que les magistrats, déjà investis du droit de saisir, sans accusation, les vagabonds et les voleurs (8), avaient été insensiblement amenés à étendre ce droit de leur juridiction, d'abord aux criminels pris en flagrant délit, puis à tous les malfaiteurs. Le droit d'accusation ne dut plus avoir dès lors, vers les derniers temps de l'empire, qu'une médiocre importance.

Il résulte de ces différents textes que le droit d'accusation, dans la législation romaine, fut principalement exercé par les parties lésées, et que par conséquent l'action publique et l'action privée restèrent

(1) L. 1 C. Th., De custodiâ reorum. Voyez aussi notre tom. Ier, $ 23, p. 121.

(2) L. 22 Dig., De quæstionibus.
(3) L. 13 Dig., De officio præsidis.
(4) L. 7 Cod., De accusationibus.
(5) L. 1 C. Th., De custodiâ reorum.
(6) L. 7 Cod., De accusatoribus.

(7) L. 1 C. Th., De custodiâ reorum.

(8) L. 4 Dig., De accus. L. ult. Dig., De furtis.

dans la plupart des cas confondues dans les mêmes mains; qu'elles ne se dégagèrent l'une de l'autre qu'en matière de crimes publics et de crimes de lèse-majesté, et que l'action publique qui naissait de ces crimes fut déléguée d'abord à certains citoyens reconnus aptes à cette fonction, ensuite à tous les habitants de la cité; enfin, que les magistrats, excités sans doute par l'incurie des citoyens et des parties, finirent par mettre en pratique la poursuite d'office et par usurper ainsi l'une et l'autre action.

De là plusieurs conséquences. L'accusation publique, à l'époque républicaine, fut sans aucun doute un corollaire du droit de souveraineté, mais ce droit ne fut point sa source unique; car elle appartenait avant tout aux parties lésées, et les citoyens qui l'exerçaient, à côté de ces parties ou en leur absence, étaient soumis à des conditions qui indiquaient qu'un principe de justice se trouvait à côté du principe de la souveraineté. Sous le régime impérial, l'accusation, conférée à tous les habitants de la cité par les lois de majesté, cessa d'être un privilége : la souveraineté n'en fut donc plus la source, même partielle; le droit d'accusation fut un droit populaire; il s'étendit à tous dans l'intérêt d'une répression politique que l'histoire a sévèrement flétrie. Enfin, vers le quatrième siècle de l'empire, l'accusation prit insensiblement un nouveau caractère : à côté de l'aetion privée, qui souvent n'était pas exercée, à côté de l'action populaire, qui était abandonnée, s'éleva la poursuite d'office, c'est-à-dire l'accusation du juge,

dénuée de toutes les formes qui accompagnaient l'accusation publique, mais puisant ses garanties dans les fonctions du magistrat : elle ne fut plus, comme dans la première période, une conséquence plus ou moins directe du droit de la souveraineté ; elle ne fut plus, comme dans la seconde, une sorte de corollaire du fait de la cité, du fait de l'habitation; elle devint un attribut du pouvoir public, ou plutôt elle suivit le sort de la souveraineté, elle sortit des mains des citoyens pour passer en celles des lieutenants de l'empereur.

$ 101.

A l'époque mérovingienne, l'accusation refléta le principe qui dominait la législation pénale. Ce principe, que les nations germaniques avaient universellement consacré, était celui de la vengeance privée. L'offensé avait un véritable droit de guerre ; pouvait venger l'offense à force ouverte; mais il pouvait aussi se borner à exiger du coupable une composition destinée à l'indemniser du préjudice qu'il avait souffert.

il

L'accusation, lorsqu'elle était intentée, était donc, dans son principe, essentiellement privée. Elle avait pour but la composition, c'est-à-dire le dédommagement de la partie lésée; elle était principalement exercée dans l'intérêt de cette partie; elle n'était, en général, intentée que par elle (1). Ainsi, la ré

(1) Voy. notre tom. Ier, § 46, p. 217 et 218.

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pression des crimes se trouvait placée dans les mains des personnes que ces crimes avaient blessées ; ainsi l'action privée était la seule action répressive. Cette règle, nous l'avons déjà remarqué, domine toutes les sociétés encore barbares : l'action publique, qui exprime l'intérêt social et place à côté du préjudice privé le préjudice moral de la cité, suppose la constitution de l'État et l'intelligence de ses droits.

Cependant, nous trouvons déjà quelques traces, dès les premiers siècles, de l'intervention de l'autorité publique dans les poursuites criminelles. Une part des compositions était attribuée au fisc à titre de fredum (1); et il paraît qu'en général ces freda appartenaient aux chefs mêmes des justices (2). D'un autre côté, certains attentats qui troublaient spécialement l'ordre public, tels que l'incendie, le rapt, l'effusion de sang dans les églises, étaient nis, outre les compositions, du bannum, amende de 60 sous prononcée au profit du roi (3). Il s'ensuit que les dépositaires de l'autorité publique avaient

pu

(1) Lex salica, tit. LIII, cap. 3: Duas partes ille, cujus caussa est, ad se revocet, et tertiam partem in fredo gravio ad se recolligat. -Lex Alam., cap. 1, art. 2; Bal., I, 57..: Et fredum solvat, sicut lex habet.-2 cap. Kar. Magn., ann. 803, cap. 9. Bal., I, 390: Excepto freda quæ ex lege salicâ conscripta sunt.

(2) Lex ripuar., tit. LXXXIX: Nonnullus judex fiscalis de quâcunquelibet causâ freda non exigat, priusquam facinus componatur. Cap. Clot., II, art. 12; Bal., I, 21: Fredus tamen judici, in cujus pago est, reservetur.

(3) 2us capit., ann. 806; Bal., I, 447; 2us capit. Ludov. Pii, ann. 819, art. 2; Bal., I, 599.

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