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droit des gens ne permet pas même entre ennemis, tels que l'assassinat du souverain, les complots tendant au renversement du gouvernement, la soustraction des plans des places fortes, etc. En général, toutes les fois que l'étranger peut établir qu'en commettant l'acte qui lui est reproché il obéissait à un devoir de citoyen, il est justifié ; il faut, pour l'incriminer, prouver que, comme étranger en temps de paix, et en temps de guerre comme ennemi, quels que soient les droits que le droit des gens reconnaisse aux étrangers et aux ennemis, il les a outrepassés et s'est rendu coupable d'un crime.

La deuxième condition à laquelle la poursuite est assujétie est l'arrestation de l'étranger sur le territoire français ou son extradition. Cette circonstance seule peut saisir la juridiction qui poursuit ; la loi a attaché à sa présence une sorte de présomption qu'il est venu, soit pour consommer son crime, soit pour en recueillir les fruits, et elle le prend en quelque sorte comme en état de flagrant délit. Il suit de là qu'on ne peut le poursuivre tant qu'il est absent et qu'on ne peut le juger par contumace (1). Il en résulte également que sa présence sur le territoire doit être le résultat de sa libre volonté ou d'une extradition régulière.

Le Code du 3 brumaire an IV contenait, dans le second paragraphe de son article 13, la disposition

(1) Voy. Wens, p. 95; Cosman, p. 40; Mangin, tom. I, no 66, p. 121.

suivante: « Sur la preuve des poursuites faites contre eux (les étrangers) dans les pays où ils ont commis des délits, si les délits sont du nombre de ceux qui attentent aux personnes ou aux propriétés, et qui, d'après les lois françaises, emportent peine afflictive ou infamante, ils sont condamnés par les tribunaux correctionnels à sortir du territoire français, avec défense d'y rentrer jusqu'à ce qu'ils se soient justifiés devant les tribunaux compétents. » Cette disposition n'a point été reproduite par notre Code; elle est d'ailleurs contraire à notre législation actuelle, puisqu'aux termes de l'article 7 de la loi du 28 vendémiaire an vi et de l'article 272 du Code pénal, il n'appartient qu'au pouvoir administratif d'enjoindre aux étrangers de sortir du territoire. On doit donc la considérer comme abrogée.

Telles sont les limites étroites dans lesquelles l'action publique est enfermée à l'égard des crimes contre la chose publique commis en dehors du territoire, soit par des Français, soit par des étrangers. Nous allons voir maintenant si ces limites s'étendent à l'égard des crimes commis contre des particuliers.

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L'article 7 du Code d'instruction criminelle est ainsi conçu: «< Tout Français qui se sera rendu coupable, hors du territoire du royaume, d'un crime

contre un Français, pourra, à son retour en France, y être poursuivi et jugé, s'il n'a pas été poursuivi et jugé en pays étranger, et si le Français offensé rend plainte contre lui. »

Il faut examiner dans cet article deux choses distinctes, les conditions de la criminalité et les conditions de la poursuite.

L'agent qui a commis un crime sur le territoire étranger n'est coupable aux yeux de la loi française qu'autant, 1° qu'il a la qualité de Français; 2° que la partie lésée a la même qualité; 3° que le fait est qualifié crime par la loi pénale.

Il faut qu'il ait la qualité de Français. En effet, hors de France, les Français seuls sont soumis à la loi pénale de leur pays, seuls ils peuvent être passibles de son application; ils ne sont responsables qu'à raison de cette qualité. Les étrangers, en dehors de notre territoire, ne doivent point obéissance à nos lois; ils ne peuvent donc subir leur application. Nous avons vu qu'il n'existe d'exception à cette règle qu'à l'égard des crimes qui touchent au mode d'existence ou à la fortune de l'État, et que cette exception n'est fondée que sur la nécessité de repousser des attaques qui demeureraient impunies.

Il faut, en second lieu, que la partie lésée ait la même qualité. Le législateur, en effet, par une distinction que nous avons combattue et qu'il effacera quelque jour, a pensé que sa mission, à l'égard des crimes commis à l'étranger, devait

consister moins à punir les Français qui les ont commis qu'à venger en quelque sorte les personnes contre lesquelles ils ont été commis, et que par conséquent il ne devait intervenir que lorsque ces personnes avaient la qualité de Français. La nationalité de la victime est donc l'une des conditions de l'incrimination; si elle est étrangère, le crime est le même sans doute aux yeux de la morale mais il n'existe plus aux yeux de la loi. Cette règle a reçu son application dans deux espèces qui vont être rapportées.

Le général Sarrazin, poursuivi en France pour crime de bigamie commis à l'étranger, prétendait pour sa défense que la personne qu'il avait épousée en pays étranger était étrangère, qu'elle n'était pas devenue Française par l'effet d'un mariage nul, que, par conséquent, il n'y avait pas de crime puisqu'il n'y avait pas de Français lésé. La Cour de cassation rejeta ce moyen en déclarant : « que, d'après l'art. 3, § 3, du Code civil, les lois concernant l'état et la capacité des personnes régissent les Français même résidant en pays étranger; que, d'après l'art. 12 même Code, l'étrangère qui épouse un Français suit la condition de son mari; que, lors donc que Georgiana Hutchinson est devenue l'épouse du demandeur, elle est aussi devenue Française; que l'instant où ces deux qualités se sont simultanément fixées sur elle est indivisible; qu'il n'a donc pas existé un moment où le crime qu'a pu former le mariage contracté avec elle ait pu être réputé commis envers

une étrangère; que si ce mariage est nul comme ayant été contracté avant la dissolution du premier mariage du demandeur, cette nullité n'est pas de plein droit; qu'aux termes de l'art. 188 du Code civ., elle doit être poursuivie et prononcée en justice; que, d'ailleurs, et ainsi qu'il résulte de l'art. 202 de ce Code, la bonne foi de Georgiana Hutchinson, qui est présumée de droit jusqu'à preuve contraire, lui conserverait, malgré la nullité de son mariage, tous les effets civils que la loi attribue aux mariages valables; que la qualité de Française n'a donc pas cessé de lui appartenir; que le crime que le demandeur est accusé d'avoir commis à Londres par son mariage avec elle, avant que son premier mariage fût dissous, rentre donc dans l'application de l'art. 7 du Code d'inst. crim. (1). »

Dans une deuxième espèce, un Français, accusé d'avoir commis un vol qualifié sur le territoire espagnol au préjudice d'un Français, répondait que la somme volée appartenait à un Espagnol; qu'à la vérité, le muletier chargé de son transport et sur lequel elle avait été prise était Français; mais que si le vol avait été commis sur sa personne, il ne l'avait pas lésé. La Cour de cassation a rejeté ce moyen: « attendu que si l'ordonnance de prise de corps confirmée par l'arrêt attaqué énonce qu'il paraît résulter de la procédure que le crime a été

(1) Arr. cass. 48 févr. 1819 (J. P., tom. XV, p. 96). On peut consulter, sur la question de droit civil jugée par cet arrêt, les objections de Legraverend, tom. I, p. 97, et la réfutation de Bourguignon, Jur. des Cod. crim., tom. I, p. 73.

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