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commis sur le territoire espagnol, ce qui, sous ce rapport, rendait les tribunaux français incompétents pour en connaître, la même ordonnance constate que l'un des individus au préjudice de qui le vol a été commis est Français et a porté plainte devant le procureur du roi de Saint-Palais, et que le prévenu n'a pas été poursuivi en Espagne à raison du crime dont il s'agit; qu'il importe peu que la somme, objet principal du vol imputé, appartînt à un négociant espagnol, puisqu'il est constant, en fait, que cette somme avait été confiée au muletier pour la transporter à Bayonne; que, par conséquent, la soustraction frauduleuse qui en aurait été commise au préjudice de la possession où il était de cette somme d'argent lui a causé un dommage à raison duquel il a pu légalement porter plainte, en sa qualité de Français, devant l'autorité judiciaire française (1). »

Nous ne voulons induire ici de ces deux arrêts qu'un seul point, c'est que le premier soin de l'instruction doit être de constater la nationalité de la victime, et que ce n'est qu'après que cette qualité est vérifiée que le juge peut passer outre aux actes de la procédure.

Il faut, en troisième lieu, que le fait imputé soit qualifié crime par la loi pénale. La question a été pendant longtemps agitée si l'art. 7 autorise la poursuite, non-seulement des faits qualifiés crimes, mais encore des simples délits. M. Legraverend (1) Arr. cass. 1er mars 1838 (J. P., 1840, tom. I, p. 369).

avait le premier enseigné l'affirmative (1), et son opinion fut suivie par M. Bourguignon (2) et consacrée par trois arrêts des Cours royales de Lyon, de Colmar et de Metz (3). Cette opinion se fonde: 1° sur le texte de l'art. 24 du même Code, qui porte que : « Ces fonctions (de procureur du roi), lorsqu'il s'agira de crimes ou de délits commis hors du territoire français, dans les cas énoncés aux art. 5, 6 et 7, seront remplies, etc.; » d'où l'on tire la conséquence que les délits aussi bien que les crimes peuvent devenir l'objet d'une poursuite; 2° sur ce que les conditions apportées par l'art. 7 à cette poursuite s'appliquent également aux délits et aux crimes; 3° sur ce qu'il est de l'intérêt public qu'en matière de délit, comme en matière de crime, des Français, dont l'un est coupable envers l'autre, dès qu'ils sont tous les deux présents en France, puissent y être jugés. M. Carnot a combattu cette interprétation en démontrant que, `dans le projet du Code, l'art. 7 comprenait les crimes et les délits; que, dans le cours de l'examen auquel ce projet fut soumis, le mot délits fut effacé; et que si ce mot est resté dans l'art. 24, c'est évidemment par inadvertance et parce qu'on a omis de l'en ôter (4). On lit, en effet, dans les procès-verbaux du conseil d'État,

(1) Législ. crim., tom. I, p. 98.

(2) Jur. des Cod. crim., tom. I, p. 70; voy. aussi Cosman, De delictis extra civit. fines commissis, p. 46.

(3) Arr. Lyon, 23 février 1819; Colmar, 23 août 1820; Metz, 29 août 1827.

(4) Inst. crim., tom. I, p. 122.

que, dans le projet originaire, l'art. 5 portait : « Tout Français qui, hors du territoire de France, aura commis un crime attentatoire à la sûreté de l'État ou contre la personne d'un Français, sera poursuivi, etc. » Cette première rédaction ne déférait donc aux tribunaux que les crimes commis contre la personne d'un Français. Elle fut adoptée à la séance du 24 fructidor an xii et nulle proposition ne fut faite de l'étendre aux simples délits. Mais cette rédaction fut ultérieurement modifiée : l'art. 5 fut divisé en deux parties, dont la seconde, formant l'art. 7, fut présentée à la séance du 3 mai 1808, dans les termes suivants : « Tout Français qui se sera rendu coupable, hors du territoire de France, d'un crime ou d'un délit contre un Français, pourra, etc.» Cet article fut adopté dans cette séance sans que cette nouvelle rédaction, qui consacrait une grave extension des termes du premier projet, fût l'objet d'aucune observation. Mais, aux séances des 26 août et 4 octobre 1808, M. Treilhard, chargé de présenter, pour les coordonner aux observations du conseil, une troisième rédaction des dispositions préliminaires, effaça sans aucun doute le mot délits dans l'art. 7. On sait, en effet, que M. Treilhard était opposé à toute extension du principe consacré par cet article, et il est certain que lorsque le projet fut porté à la commission de législation du Corps législatif, ce mot ne s'y trouvait plus. Les procès-verbaux portent que cette troisième rédaction fut adoptée sans discussion nou

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velle, et la commission de législation n'émit sur ce point aucune observation. Il est donc certain que le mot délits, qui avait pris place dans le projet, en a été retranché, et, comme le fait remarquer M. Mangin, qui adopte l'opinion de M. Carnot: il est impossible de ne pas croire qu'il ait été supprimé à dessein (1). » Ainsi l'intention du législateur de ne poursuivre que les crimes semble manifeste. Cette intention, du reste, s'explique facilement. On a vu la timidité avec laquelle les rédacteurs du Code s'engageaient dans la voie de la poursuite des crimes commis à l'étranger; il est naturel qu'ils aient voulu restreindre l'application de ce principe aux faits les plus graves, à ceux dont l'impunité compromettrait l'ordre public, à ceux que la société a principalement intérêt de punir. Quant à l'art. 24, il résulte des observations qui précèdent que c'est par erreur que le mot délits est resté dans son texte après avoir été effacé de l'art. 7; mais il est, d'ailleurs, impossible de fonder sur cette seule expression un système opposé, car c'est dans l'article 7 qu'est posé le principe de la poursuite, tandis que l'art. 24 ne fait qu'énoncer une des formes de cette poursuite; or, comment admettre que le législateur ait voulu, dans une disposition secondaire et accessoire, modifier d'une manière aussi grave le droit qu'il venait de définir dans d'autres termes? Au surplus, cette interprétation, qui s'appuie sur le texte précis de l'art. 7 et qui a prévalu (1) Act. publ., no 69, tom. I, p. 126.

dans la pratique, a été formellement consacrée par la Cour de cassation dans un arrêt portant: « que les lois de police et de sûreté et la juridiction des tribunaux de répression n'ont d'action que sur les faits commis dans l'étendue du territoire du royaume; que les art. 5, 6 et 7 du Code d'inst. crim., consacrant des exceptions à ce principe, doivent être renfermés dans leurs dispositions textuelles; que l'art. 24 du même Code, qui n'est destiné qu'à règlementer l'action du ministère public, n'a pu modifier et étendre le sens de la disposition de l'art. 7 auquel il se rapporte (1).

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Lorsqu'il est constaté que le prévenu et le plaignant sont tous les deux Français, et que le fait commis sur le territoire étranger est qualifié crime par la loi pénale, la juridiction française devient compétente; mais la poursuite est encore subordonnée à plusieurs conditions qui sont écrites dans l'art. 7. Ces conditions sont : 1° que le Français inculpé soit de retour en France; 2° qu'il n'ait pas été poursuivi et jugé en pays étranger; 3° que le Français offensé ait rendu plainte contre lui.

Il faut, en premier lieu, que le Français inculpé soit de retour en France. M. Carnot et M. Bourguignon pensent que ces mots doivent s'entendre d'un retour volontaire (2); mais ils ne donnent aucun

(1) Arr. cass. 26 sept. 1839 (Bull., no 309); voy. aussi Douai, 18 mai 1837 (J. P., 1838, tom. I, p. 104); Wens, De delict. à civ. extra civit. commissis, p. 100,

(2) De l'instr. crim., tom. I, p. 124; Jurispr. des Cod. crim.,

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