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ges informaient d'office, il n'y eut plus d'autre partie au procès que l'accusé, et les procédures languirent; on pouvait bien se passer d'accusateur pour entamer l'action, car, suivant la remarque d'Ayrault, << dans les accusations d'office, ou la commune renommée, ou la clameur populaire, ou la république est tenue pour demanderesse et accusatrice (1); » mais dans le cours du procès cette fiction ne suffisait plus : il fallait désigner les témoins, contredire les reproches de l'accusé, discuter les faits justificatifs, fournir les preuves. Ce fut donc la négligence des parties, ce fut la poursuite d'office qui amenèrent l'intervention des procureurs royaux dans les procès criminels.

Quel fut, dans les premiers temps, le caractère de cette intervention? quels furent ses premiers actes et ses premiers effets? La jurisprudence présente sur ce point une extrême confusion. S'il nous a été difficile de déterminer précédemment les faits du sein desquels cette institution est née (2), il n'est pas plus aisé de retrouver l'application qu'elle reçut à son origine. Il y a lieu de croire que les attributions des procureurs royaux ou fiscaux ne furent nullement définies et qu'elles se développèrent peu à peu dans la pratique, suivant les besoins de la justice.

Jean Bouteiller, qui écrivait la Somme rurale vers la fin du quatorzième siècle et au plus tard en 1402, cinquante ans environ après que les procu

(1) Instruction judiciaire, liv. II, p. 115.

(2) Voy. notre tom. Ier, § 74, p. 459.

reurs royaux eussent commencé à intervenir dans les procès criminels, donne une notion générale de leurs fonctions Procureur d'office est celuy qui, en cour d'aucun seigneur, est promoteur de luy faire partie contre tous délinquans qui au territoire dudit seigneur ont délinqué, soit partie adjointe, soit sans partie adjointe (1). Il semble suivre de ce texte que le procureur royal ou seigneurial était déjà en possession à cette époque de se porter partie, principale ou jointe, dans tous les procès criminels. Cependant nous allons voir que cette règle ne recevait pas une application absolue.

Bouteiller nous apprend que, de son temps, il y avait quatre modes de poursuite: « Soit en dénonçant, soit en partie formant, soit à cause d'office à la requeste du procureur d'office ou par le droict office du juge (2). » La dénonciation, dont nous avons parlé plus haut, était devenue le mode le plus habituel d'accusation : « Par dénonciation, si comme quand aucun ne se veut pas faire partie ne former contre aucun d'aucun crime, toutesfois le vient-il dénoncer à la justice et offre à administrer ou nommer tesmoins. Le juge doit lors sagement considérer la manière du dénonçant, sa personne, si il est homme credible ou non... Et s'il trouve qu'il soit homme constant et où on se puisse attester, si doit le juge faire qu'il en ait information (3). Ainsi, la dénonciation, comme on l'a déjà vu, sai

(1) Grand coustumier, tit. X, p. 82.
(2) Grand coustumier, tit. XXXIV, p. 376.
(3) Eod. loc.

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sissait le juge; elle lui faisait, suivant l'expression de Charondas le Caron (1), ouverture pour informer; elle légitimait la poursuite d'office.

Après la dénonciation venait l'accusation par partie formée : c'était l'ancienne accusation qui avait survécu jusqu'au quinzième siècle à côté de la poursuite d'office et même du ministère public. Cette accusation s'était compliquée d'une forme singulière, qui avait été empruntée au Code théodosien (2), et qui consistait dans la détention de l'accusateur comme garantie de sa véracité : « Par partie formée peut et doit tout juge, qui de cas de crime peut et doit cognoistre, recevoir tout homme recevable en cour à faire partie contre l'accusé, et prendre et retenir la cause par prison fermée (3). » Il résulte de ce texte que la poursuite était forcée quand l'accusateur consentait à garder prison jusqu'au jugement: le juge devait poursuivre ; c'était un vestige de l'accusation antique. Jean Imbert déclarait, au commencement du seizième siècle, que cet usage n'existait plus : « Est à noter qu'aujourd'hui les parties formées ne sont reçues en France (4). » Toutefois, Pierre Ayrault, qui écrivait un demi-siècle environ après Imbert, mentionne encore cette règle : « Si, hors le flagrant délict, l'accusateur offre entrer en prison fermée jusqu'à ce qu'il ait recouvert ses charges, le

(1) Annotations sur la Somme rurale, p. 406.
(2) Voy. notre tom. Ier, § 22, p. 120.
(3) Grand coustumier, tit. XXXIV, p. 378
(4) Practique crim., liv. III, chap. 1, n. 3.

juge, en les attendant, peut-il ordonner que l'accusé y entrera? Véritablement il n'y a pas longtemps qu'il se faisait, et tel accusateur s'appelait partie formée. Mais nous ne pratiquons plus cela, et si je ne l'ai jamais veu arriver qu'une fois (1). » Mais l'accusation était également admise, sans être accompagnée de cette mesure rigoureuse, et simplement avec caution: «Saches que quiconque veut autre accuser de crime selon la loi, il doit bailler par écrit au juge le cas dont il veut accuser et toute la manière du faict et nommer le plus qu'il peut de tesmoins, à fin que le juge puisse voir s'il aura cause de lui mouvoir et détenir prisonnier; donc si le juge voit que mouvoir s'en doive par le cas ainsi baillé, il doit prendre caution de l'accuseur qu'il poursuivra ses journées jusques en fin (2). Les parties avaient donc conservé jusqu'au quinzième siècle la faculté de poursuivre par voie d'accusation; mais nous avons vu qu'elles ne s'en servaient que rarement.

Les deux autres modes d'action, à cause d'office à la requeste du procureur d'office ou par le droict office du juge, comprenaient toutes les poursuites faites par le juge sans adjonction des parties lésées. La procédure pouvait être commencée, suivant l'expression de Bouteiller, par l'office de justice sans autre partie ou à la requeste du procureur d'office (3). Il y avait cette seule différence que,

(1) Instruction judiciaire, liv. II, p. 254.
(2) Bouteiller, Grand coustumier, tit. XXXIX,
(3) Grand coustumier, tit. XXXIX.

p. 490.

dans les procédures par présent mesfait, c'està-dire dans les cas de flagrant délit, le juge pouvait procéder sans information préalable, tandis que, lorsque le crime n'était appris que par dénonciation ou par fame et renommée notoire, la procédure devait nécessairement être précédée d'une information (1). On doit remarquer, d'ailleurs, que la poursuite pouvait être faite ou à la requête du procureur d'office ou même sans aucune partie (2); l'action du juge était donc tout-à-fait indépendante de l'intervention de la partie publique.

Il résulte de ces observations que la jurisprudence du quinzième siècle admettait à la fois trois modes d'action, la dénonciation, l'accusation et la poursuite d'office : la dénonciation, qui avait pour effet de saisir le juge et de lui abandonner la direction de la procédure; l'accusation, débris d'un autre âge, que les légistes amalgamajent avec la procédure inquisitoriale et à laquelle ils réservaient encore quelques-uns de ses antiques priviléges; enfin la poursuite d'office, qui était exercée d'office par le juge, soit avec le concours de la partie publique et de la partie privée, soit sans le concours d'aucune partie.

Ces formes de procédure s'étaient déjà en partie modifiées au seizième siècle. Jean Imbert, qui écrivait ses Institutiones forenses quelques années avant les ordonnances de 1536 et de 1539, et sa (1) Grand coustumier, tit. XXXIX.

(2) Ibid.

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