Page images
PDF
EPUB

corrompaient leurs tendances, au milieu des préjugés et des mœurs qui tantôt leur imprimaient une fausse direction, et tantôt les repoussaient au moment même où les esprits invoquaient instinctivement les idées de justice et de droit qu'ils renferment. Nous les avons ainsi suivis dans leur carrière de plus de vingt siècles, ici rejetés par les peuples, là modifiés dans leurs éléments essentiels, ou à demi-détruits par une application vicieuse, mais vivant toujours au fond de la législation, et recueillis par la philosophie quand la législation les avait en partie exilés, jusqu'à l'ère moderne où notre Code, remontant jusqu'aux sources du droit, les retrouva dans leur antique formule et mit sa gloire à les reprendre.

La théorie, attentive en même temps à ces révolutions du droit, en a tiré ses enseignements. Elle a dévoilé, dans chaque formalité de la procédure et dans chacune des modifications qu'elle subissait, la lutte des deux principes que l'histoire de toutes les institutions humaines surprend éternellement aux prises, l'intérêt de la sûreté sociale et l'intérêt de la liberté individuelle, le principe de l'ordre et le principe de la liberté. Elle a recherché par quelles dispositions, par quelles garanties', la procédure a pu, dans quelques législations, atteindre le but élevé vers lequel elle gravite naturellement, la manifestation de la vérité, la protection du droit, Ces garanties, elle les a trouvées principalement dans quelques lois générales qui forment la base

nécessaire de toute institution criminelle: telles sont l'accusation, sous quelque forme qu'elle se produise, l'enquête préliminaire, l'information écrite, la publicité de l'audience, la preuve orale, l'intervention des jurés dans le jugement. Mais elle a dû se borner, dans cette première partie, à indiquer, au milieu de tant de dispositions confuses, ces dispositions principales, devenues les fondements de notre Code, après avoir été reconnues comme les fondements de la science; elle a dû se borner à proclamer les lois générales de la procédure, pendant que l'histoire découvrait presque partout les traces plus ou moins complètes de leur application.

Ainsi s'est trouvée établie la filiation de notre législation avec les législations antérieures; ainsi s'est manifestée, par l'identité des règles et la relation des formes, l'alliance étroite qui unit notre procédure aux procédures anciennes. Nous avons pu reconnaître et constater que le législateur de 1808 n'a répudié aucune succession scientifique; qu'il n'a édifié le Code d'instruction criminelle qu'avec des matériaux déjà éprouvés par un long usage; que ce Code n'est qu'une reproduction plus ou moins exacte des législations anciennes et principalement des deux législations qui ont fleuri au treizième et au seizième siècle, et qu'il n'a fait à peu près que fondre et concilier dans ses textes deux systèmes jusque-là inconciliables, et qui n'avaient successivement péri que pour avoir appliqué avec

trop d'exclusion ou trop d'imprévoyance des règlos qui en elles-mêmes étaient saines et justes.

Tel a été le but de cette première partie de notre travail. Nous avons voulu restituer au Code, dont nous avons entrepris le commentaire, toute sa valeur scientifique, en le rattachant fortement aux législations antiques qu'il a partiellement reproduites. Nous avons voulu, nonobstant les négli gences de sa rédaction et l'imperfection de ses détails, lui assurer l'estime des légistes, en démontrant que la plupart de ses dispositions ont eu déjà l'épreuve d'une longue pratique et sont avouées par la science. Nous avons voulu prouver qu'un Code qui doit à la sagacité de ses rédacteurs d'avoir emprunté au droit canonique son principe d'enquête, à la législation du quinzième siècle son action publique et son information écrite, aux législations anciennes la publicité des débats, la preuve orale et la liberté de la défense, au droit romain, aux coutumes féodales et surtout aux chartes des communes les jurés de jugement; enfin, aux justices royales les formes de leurs audiences, leurs juges permanents et leurs voies de recours; nous avons voulu prouver que ce Code, recueillant ainsi et conciliant toutes les règles, restituant à chacune sa puissance et ses limites essentielles, imprimant à toutes une profonde unité, est une œuvre sérieuse qui ne doit être jugée qu'avec réserve, et mérite, dans tous les cas, d'être étudiée avec soin.

Maintenant que nous avons achevé cette première

tâche, celle qui nous reste à accomplir, quoique plus longue et non moins laborieuse, deviendra plus facile.

En effet, la filiation que nous venons de constater à l'égard des dispositions principales du Code existe avec non moins d'évidence à l'égard des dispositions secondaires. Il est peu de ces dispositions qui soient de création absolument nouvelle; il en est peu qui ne reproduisent, quelquefois complètement, plus souvent avec des modifications, quelques dispositions antérieures; car la société, quelles que soient les formes de sa constitution politique, a des lois d'existence, des besoins, des rapports nécessaires qui changent peu et se formulent aux différentes époques par des règles à peu près identiques; tout principe a ses racines, toute maxime son explication dans le passé; il n'est pas un point du droit que l'histoire ne puisse éclairer, que l'expérience ne puisse animer d'une vie nouvelle. Or comment concevoir les principes essentiels d'une matière sans avoir étudié les variations qu'elle a subies? Comment connaître la raison et le but de ses dispositions, sans remonter à la première époque de leur institution, sans parcourir les phases qu'elles ont traversées, sans soulever en quelque sorte les différentes couches d'alluvion que la législation a successivement déposées sur elles? Comment expliquer des textes sans expliquer les règles auxquelles ils obéissent et dont ils ne sont que les corollaires? Il est évident que l'étude des législations anciennes est la seule voie qui puisse conduire à la

connaissance des législations modernes et à la saine application de leurs dispositions.

Or, les investigations historiques, qui forment notre premier volume, ouvrent, pour ainsi dire, ces législations à nos recherches. Nous avons, en effet, parcouru leurs dispositions principales, nous connaissons l'ordre dans lequel elles se sont succédé les unes aux autres, les systèmes ou les coutumes qu'elles ont tour à tour appliqués, leurs principes fondamentaux, leurs caractères distincts. Nous pouvons donc maintenant, à mesure que l'exigera l'examen du Code, descendre dans les détails de leurs prescriptions, retrouver la source de chaque règle, noter l'époque où elle s'est développée, constater la raison et le but de son institution. Le sol scientifique, que surchargent tant de lois confusément tombées, est éclairé; nous apercevons la place qu'elles ont occupée, les traces qu'elles ont laissées; nous n'avons plus qu'à reprendre dans ces ruines les matériaux qui y sont restés amoncelés.

Voilà quel a été le but de notre premier travail. Il est facile d'en apercevoir déjà l'utilité. Dans les textes d'une législation il faut distinguer deux choses les principes qu'ils appliquent et la formule de cette application. Une loi n'est point et ne peut être un traité dogmatique; tantôt elle suppose des règles préexistantes sans les énoncer, tantôt elle les énonce sans les généraliser. Elle n'embrasse que les faits qui frappent ses regards au moment où elle se forme et néglige ceux qu'elle ne voit pas et

« PreviousContinue »