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est successivement considérée comme inhérente au droit de plainte, comme une branche du droit de justice, comme un corollaire de la souveraineté.

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L'assemblée constituante rechercha longtemps les principes qui devaient régir cette matière, et ce ne fut pas sans hésitation qu'elle les posa.

Elle avait décidé, par un décret du 11 août 1789, que l'ordre judiciaire serait l'objet d'une constitution nouvelle. A la séance du 29 mars 1790, M. Duport exposa sommairement les bases de cette organisation : « Le plan que je viens vous soumettre, disait-il, est fort simple: des jurés tant au civil qu'au criminel, des juges ambulants tenant des assises, des grands juges dans chaque chef-lieu d'assises, une partie publique et un officier de la couronne, voilà tout ce que ce plan contient (1).» La discussion renversa quelques-unes de ces propositions les jurés ne furent adoptés qu'en matière criminelle, et les tribunaux permanents furent maintenus; mais les juges devaient être élus par le peuple, et cette règle nouvelle souleva naturellement l'examen de l'institution du ministère public.

A la séance du 8 mai 1790, M. de Saint-Fargeau posa la question de savoir si les officiers du minis

(1) Moniteur du 31 mars 1790; réimpression du Moniteur, par M. Lesourd, tom. III, p. 740.

tère public seraient nommés par le roi ou par le peuple. Plusieurs membres réclamèrent l'application du principe de l'élection : « Il n'y aurait, disait-on, qu'un seul magistrat à faire nommer par le peuple, qu'il faudrait que ce fût le magistrat chargé des fonctions du ministère public: le nom seul de ministère public l'annonce assez. Le peuple doit nommer le magistrat chargé des intérêts de ceux qui n'ont pas de défenseur et de s'opposer à ce que l'ordre soit troublé. » M. Chabroud combattit cette proposition : « Le roi, dit-il, est chargé de veiller à l'exécution de la loi; il ne pourrait remplir cette tâche sans coopérateurs, et il la remplirait mal si les coopérateurs n'étaient pas de son choix. Il ne s'agit pas ici d'une prérogative, mais d'une grande fonction. Je fuirais le lieu où le premier individu aurait le droit de m'accuser au nom du peuple : ce serait le moyen le plus sûr d'attenter à la liberté individuelle. Le peuple doit déléguer son action; il ne peut la déléguer qu'au roi. » Cette doctrine réunit l'assentiment général. Un membre proposa, par amendement, que les officiers du ministère public furent institués à vie et ne pussent être destitués que pour cause de forfaiture jugée. La motion fut décrétée en ces termes : « Les officiers chargés des fonctions du ministère public seront nommés par le roi; ils ne pourront être membres des assemblées administratives de départements, de districts, non plus que des municipalités. Ils seront constitués à vie et ne pourront

être destitués que pour cause de forfaiture jugée (1).» Ce décret devint l'art. 8 du titre II de la loi du 16-24 août 1790.

Cependant le comité de jurisprudence de l'assemblée n'accepta pas cette décision : il avait en quelque sorte écrit ses réserves dans les art. 1 et 4 de cette loi, portant, l'un, que les officiers du ministère public sont agents du pouvoir exécutif près les tribunaux, l'autre, qu'ils ne sont point accusateurs publics, mais qu'ils sont entendus sur toutes les accusations poursuivies suivant le mode que l'assemblée constituante se réserve de déterminer. Il provoqua donc quelques mois plus tard un nouvel examen. M. Thouret disait à la séance du 4 août : « L'assemblée a décreté qu'au peuple appartenait le droit de nommer les juges et que le roi choisirait les officiers du ministère public. Comme l'accusation a toujours fait partie de ce ministère, on pourrait peut-être prétendre que cette attribution lui est réservée; mais on sait que tous les détails d'une constitution ne se font pas à la fois, et qu'il n'est pas possible de préjuger une question qui mérite un aussi sérieux examen. Vous avez délégué au roi le ministère public, sous la réserve expresse de l'approprier à la constitution. J'examine ce que l'accusation publique est par sa nature; tous les peuples l'ont rangée parmi les actions populaires. Si l'accusation publique devient la commission d'un officier, cet officier est aussitôt l'homme du (1) Moniteur du 9 mai 1790; réimpression, tom. IV, p. 313.

peuple, préposé à l'exercice d'un droit national; il doit être nommé par le peuple. » Cette motion fut combattue. M. Chabroud, l'auteur du décret du 8 mai, déclara qu'il lui semblait étrange qu'un comité pût enfreindre une loi décrétée et y subst:tuer une opinion qui la renverserait; que les fonctions du ministère public emportaient nécessairement le droit d'accusation et qu'il n'y avait pas lieu, par conséquent, de s'arrêter à la distinction proposée. Mais l'assemblée retint la question, et comme elle ne lui parut pas suffisamment instruite, elle en renvoya la discussion à la séance du 9 août (1).

Le comité proposait de diviser les fonctions du ministère public entre deux agents: un commissaire du roi et un accusateur public. Le premier devait veiller à l'observation des lois, prendre les réquisitions nécessaires pour leur application et faire exécuter les jugements; il était nommé par le roi. L'autre était chargé de la poursuite des accusations; et cette mission était confiée, dans chaque tribunal, à l'un des juges, désigné par ses collègues, et qui en demeurait investi pendant une année. Cette combinaison donnait lieu à de graves objections.

L'attribution à l'un des juges du droit d'accusation, attribution évidemment puisée dans les règles de notre ancien droit, fut, d'abord, una

(1) Moniteur du 5 août 1790; réimpression, tom. V, p. 397.

nimement repoussée : « On a cherché, disait M. Barrère, l'accusateur public parmi les juges délégués par le peuple. Mais un juge ne doit que juger; s'il juge en même temps qu'il accuse, quoique dans des causes différentes; s'il ne juge qu'avant ou après avoir été accusateur, il n'en est pas moins redoutable, car vous mettez deux instruments dans ses mains. Le comité propose de borner à un an les fonctions du juge accusateur public: espèret-il une grande énergie d'un accusateur annal? » M. Chabroud fit valoir avec force cette confusion des deux fonctions. Il ajoutait : « Ainsi le juge descendra du tribunal pour devenir partie; ainsi, dans ce tour de rôle de fonctions réciproques, on devra craindre que la volonté du juge ne crée l'accusation ou que la volonté de la partie ne dicte le jugement. » Cette disposition fut abandonnée par les membres du comité.

La séparation des fonctions du ministère public en deux branches distinctes, et la double institution, pour les remplir, d'un commissaire du roi, nommé par le roi, et d'un accusateur public, nommé par le peuple, soulevèrent des objections non moins vives.

On alléguait, pour combattre cette innovation, que l'accusation publique n'avait pour objet que l'exécution des lois; qu'elle rentrait donc naturellement dans les attributions du pouvoir exécutif ; qu'il ne fallait pas confondre l'accusation privée, destinée à obtenir la réparation d'un dommage, et

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