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la justice. Néanmoins, la science y trouve encore une large part; nous en indiquerons les principaux sujets.

Quant aux débats législatifs, ils semblent bien effacés par de pareils événements, mais on se tromperait singulièrement si l'on croyait que le droit pénal a été mis de côté, comme une question secondaire. Elle a tenu et tient encore, au contraire, une très-large place dans les travaux de l'Assemblée.

Les préoccupations politiques et financières ont empêché, il est vrai, de statuer sur certaines dispositions qui lui ont été soumises. Néanmoins, comme il arrive nécessairement en temps de révolution, l'excitation fébrile que produisent ces événements, la puissance qu'ils donnent à l'initiative privée ont produit leur conséquence nécessaire. Dans ces moments, on remue bien des idées. Les unes sont le résultat d'aspirations naturelles et légitimes; on cherche alors à faire entrer dans la pratique les modifications que réclament les vrais principes; d'autres ne sont que des appréciations individuelles résultat de l'inexpérience ou de l'exaltation du moment. Presque toutes parviennent à se formuler.

Malheureusement la révolution continue sa marche, les pouvoirs se

attendant le règlement définitif de l'organisation judiciaire dans l'ancien département de la Moselle et le département des Ardennes.

Art. 2. Le garde des sceaux, etc.

Du 27 mars 1871.

3o Le Président du Conseil ;-Vu l'art. 1er du décret du 27 nov. 1790;Vu l'art. 58 de la loi du 27 ventôse an VIII;

Considérant que des circonstances de force majeure empêchent la chambre de cassation criminelle de siéger

à Paris; que cette chambre est saisie d'affaires dont la décision est urgente;

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Art. 1er. La chambre de cassation criminelle siégera provisoirement à Versailles.

Du 25 avril 1871.

4o Le Président du Conseil, etc.

Considérant que des circonstances de force majeure s'opposent à ce que la Cour d'appel de Paris siége dans cette ville; que cette Cour est saisie d'affaires dont la solution est urgente; que notamment la réorganisation immédiate du service normal des chambres des mises en accusation et des appels de police correctionnelle est nécessaire pour que le cours de la justice ne soit pas entravé dans tout le ressort; - Arrête :

Art. 1. La Cour d'appel de Paris siégera provisoirement à Versailles. Art. 2. La chambre des mises en accusation et la chambre des appels de police correctionnelle seront immédiatement convoquées. Les chambres civiles se réuniront si l'expédition des affaires l'exige.

Art. 3. Tous arrêtés contraires au présent sont et demeurent rapportés. Du 25 avril 1871.

succèdent, ce qui a été commencé par l'un est oublié par le suivant; et cette exubérance de propositions ne produit souvent que bien peu de résultats. S'il en est ainsi au point de vue législatif, au point de vue judiciaire la situation est analogue; nous disions tout à l'heure qu'elle ne manquait pas d'intérêt. En effet, dans de pareils événements, les affaires ordinaires s'arrêtent et la marche de l'interprétation générale est arrêtée. Mais on se trouve alors en présence de faits d'un ordre à part. Dans un temps de calme les crimes politiques sont fréquents; en temps de révolution ils forment alors la masse la plus importante des décisions judiciaires.

Cette année il en a été ainsi plus encore que les autres. Les tristes événements qui s'y sont succédé nous imposaient cette, conséquence, avec plus de force encore que dans les circonstances analogues, à raison de la puissance des mouvements insurrectionnels déroulés sous nos yeux. Cependant, il faut le reconnaître, une circonstance accidentelle a enlevé aux poursuites presque tout intérêt.

Les départements où ces mouvements se sont produits étaient tous en état de siége. La justice militaire s'est donc trouvée appelée à statuer sur tous les crimes et délits, même ceux commis par des non-militaires (art. 8, L. des 9-11 août 1849).

Les questions de droit ont par là presque toutes disparu ou, du moins, elles ont perdu leur plus grand intérêt juridique, d'après la nature même des juridictions de jugement. D'un autre côté, la Cour de cassation, si elle était appelée à examiner ces décisions, ne jouait qu'un rôle presque nul, puisque, d'après la loi, elle ne peut examiner les décisions des conseils de guerre qu'au point de vue de la compétence, aucune des questions de violation de la loi ou d'excès de pouvoirs ne pouvait lui être soumise elle n'a pu rendre, sur ce point, qu'un très-petit nombre d'arrêts importants.

La guerre étrangère a donné également naissance à des faits d'une nature particulière et dont la répression résulte de textes d'une application fort rare. Les crimés d'intelligence avec l'ennemi, de mancuvres à l'intérieur, d'espionnage, etc. (art. 75 et suiv., C. pén.), ont produit un certain nombre de poursuites, et les difficultés que soulève l'application de ces articles s'est souvent compliquée des principes du droit des gens. Nous en avons eu plusieurs exemples et diverses questions capitales ont été soulevées et résolues. Au point de vue du droit international, les faits de la guerre ont donné naissance à une polémique très-vive qui s'accentue de plus en plus. Tout le monde connaît les atrocités commises par les armées prussiennes. Elles ont soulevé l'indignation du monde civilisé. Des professeurs allemands ont essayé de les justifier. M. Bluntschli, M. Rollin Jacquemin, professeur de droit de Belgique et qui a accepté la position de professeur à Berlin, dans divers articles publiés à l'étranger, se sont efforcés de démontrer que les faits

d'incendie, de bombardement des villes, d'appréhensions d'otages, pouvaient être conformes à certains principes du droit des gens qu'ils mettaient en avant. Ils ont défendu ces décrets atroces faisant un crime aux habitants d'un pays de tout acte de courage et de patriotisme. Les jurisconsultes de tous les pays ont protesté. En Angleterre, en Belgique en particulier, des écrits, des brochures nombreuses ont témoigné des séntiments de répulsion universelle que soulevaient de pareilles doctrines. M. Morin, dans divers articles publiés au commencement de 1871 (J. cr., art. 9067), s'est efforcé de les flétrir et de déterminer les limites des droits du belligérant. Dans un ouvrage complet sur le droit international, il les reprend à nouveau, il en démontre toute la monstruosité. Quoi qu'il en soit, examinons l'application qu'a fait, des principes du droit des gens, notre jurisprudence.

Plusieurs décisions de la Cour suprême et de diverses Cours d'appel sont intervenues sur ces matières. Nous rappellerons les deux principales. Ce sont deux arrêts de la Cour de cassation. Le premier est du 21 sept. 1871 (J. cr., art. 9117); dans cet arrêt, auquel est joint le remarquable rapport de M. le conseiller Salneuve, que nous avons eu la bonne fortune de pouvoir publier, la Cour admet que la justice continue son cours dans les pays envahis, malgré l'envahissement; mais que dans certaines circonstances, l'envahisseur a le droit de changer l'organisation judiciaire du pays et que, dans ce cas, les jugements rendus, pendant l'occupation, par ces juges sont valables, même après son départ (V. J. cr., vol. 1871, p. 162). La première hypothèse est l'application évidente des principes du droit de la guerre. Car l'envahissement d'une province par un ennemi n'éteint pas le droit de souveraineté du peuple envahi.

Ce n'est qu'un fait. Au point de vue de la souveraineté, le pays envahi reste attaché à l'État dont il fait partie. Mais la consécration même de ce principe peut servir à limiter le plus souvent la contrepartie de la proposition. Ne s'ensuit-il pas, en effet, que du moment où la souveraineté existe en principe, l'obstacle qu'y apporte l'envahisseur n'est qu'un obstacle de fait ? Le droit de rendre la justice est certainement un attribut de la souveraineté et elle ne peut résider à la fois sur deux personnes différentes. Si l'on reconnaît que, à raison des circonstances, l'État envahi conserve encore le droit de rendre la justice, ou, du moins, que la justice rendue en son nom l'est valablement, il est bien difficile d'attribuer, en même temps, à l'envahisseur, le droit de faire rendre la justice, en un mot, d'exercer la souveraineté qu'il n'a pas. Pour justifier l'acte du conquérant qui crée des juridictions dans un pays qu'il occupe provisoirement il faut donc qu'il y ait à la fois appréhension réelle de la souveraineté par ce conquérant et abandon de fait, au moins, de cette souveraineté par l'État envahi. Mais tant qu'il n'y a que lutte et envahissement d'un État par un autre, la translation de droit de l'un à l'autre n'existe pas. Les attributs de l'État envahi lui

restent même dans les pays occupés. L'arrêt du 18 avril 1826, cité dans le rapport, se trouvait précisément rendu sur une situation de cette nature. Il s'agissait de la Corse occupée par les Anglais qui s'en étaient emparée, non-seulement comme envahisseurs, mais comme conquérants. Il y avait eu, de leur part, appréhension de la souveraineté complète, et, d'autre côté, abandon par la France qui, provisoirement au moins, avait renoncé à toute tentative pour la délivrer. On comprend, dans cette circonstance, que le conquérant puisse créer des juridictions civiles, et que les décisions rendues par elles soient considérées comme valables. Cette solution nous paraît, du reste, conforme aux principes du droit international, non tel que l'enseignent aujourd'hui les auteurs allemands, mais tel qu'on le trouve dans les anciens auteurs (V. Grotius, Du droit de la guerre, liv. II, chap, 6; Puffendorf, Dr. de la nat. et des gens, liv. III, chap. 5).

Ces auteurs vont même fort loin. Ainsi Grotius, en particulier, constate que l'aliénation de la souveraineté et l'acquisition par l'État étranger, lorsqu'il s'agit d'une partie d'un État, ne peuvent se faire sans le consentement des habitants que l'on sépare. « Ce que je viens de dire regarde toute l'étendue de la souveraineté. Mais quand il s'agit seulement d'une partie des États, il faut encore une autre chose que le peuple même du pays qu'on veut aliéner y consente. » (Grotius, loc. cit.). Ainsi, il va jusqu'à exiger le consentement du pays pour l'aliénation de la souveraineté. Ce principe semble restreindre l'idée admise par certains auteurs que l'envahisseur, pendant la guerre même et en présence de la résistance opiniâtre de l'État envahi peut changer quelque chose à l'organisation du pays. Nous avons indiqué les motifs de cette solution, et, sans être affirmatif, nous hésiterions beaucoup à généraliser le principe posé par la Cour. D'ailleurs, les restrictions que nous avons formulées laissent intact le droit de l'envahisseur quant à la juridiction. Il est consacré, du reste, par notre Code de justice militaire. Une armée en pays ennemi peut et doit juger tous les crimes commis contre sa sûreté. C'est là un principe élémentaire. Peut-on aller beaucoup au delà? En particulier, l'envahisseur a-t-il le pouvoir de déférer aux tribunaux militaires de l'armée tous les crimes de droit commun dans l'étendue du territoire occupé. La Cour de cassation l'a examiné à propos de l'occupation de Rome et elle a admis une jurisprudence fort large dont la discussion entraînerait trop loin.

La seconde solution intéressant les principes du droit international est celle du 15 décembre 1871 (J. cr., art. 9180). Il s'agissait d'un vol commis par des Prussiens avec la complicité d'un Français. Ce dernier pouvait-il être poursuivi et condamné par les tribunaux français ? On objectait que les délits commis par une armée d'invasion ne peuvent être jugés que par les tribunaux militaires de l'armée envahissante, et qu'il pouvait d'ailleurs y avoir eu droit de butin. Mais l'arrêt a repoussé

cette double doctrine. Il n'a pas admis qu'il pût y avoir butin légitime dans le vol et le pillage commis en dehors de la lutte, contrairement à toutes les règles des nations civilisées. Quant à l'incompétence des tribunaux français, elle eût été toute personnelle aux soldats prussiens. L'arrêt, d'ailleurs, tel qu'il est expliqué dans le savant rapport de M. Morin, la repousse complétement en constatant la territorialité des dispositions protectrices de la propriété mobilière. Nous ne pouvons, du reste, que renvoyer sur ces divers points au rapport précité en faisant seulement remarquer que déjà précédemment la Cour d'Angers avait admis la même doctrine dans un arrêt du 14 mars 1871 (J. cr., art. 9121).

Les lois sur l'état de siége ont donné lieu à de nombreux arrêts, nous avons rapporté les principaux, parmi lesquels nous devons citer l'arrêt Deloche du 11 mai 1871 (J. cr., art. 9080).

Des questions de compétence fort délicates ont été examinées par la Cour de cassation et les arrêts qu'elle a rendus contribueront certainement à fixer certains points obscurs. Ainsi, il est aujourd'hui certain que la juridiction militaire peut se saisir des crimes de droit commun. Il suffit que, d'après les circonstances, ils puissent, dans une mesure trèsrestreinte, être considérés comme crimes contre l'ordre ou la paix publique pour reconnaître juridiction au conseil de guerre (V. J. cr., art. 9212, p. 347). Il ressort également de ces arrêts que le conseil de guerre, lorsqu'il se saisit d'un crime de droit commun n'a pas à justifier sa compétence. Il n'a pas besoin de rendre une décision spéciale sur ce point.

La dissolution des gardes nationales a rendu sans objet la jurisprudence relative aux poursuites contre les gardes nationaux. Nous avions rapporté les principales quand la loi a été promulguée 2. Mais peut-être cette jurisprudence ne sera-t-elle pas inutile, car, dans la réorganisation de l'armée, il est évidemment certaines catégories qui seront en grande partie assimilées aux anciens gardes nationaux et soumis aux règles de la loi de 1851.

Le décret du Gouvernement de Tours sur les Cours martiales du 2 octobre 1870, dont nous avons rapporté les termes, a donné lieu à une série d'arrêts fort importants de la section de la Cour de cassation siégeant à Poitiers, puis à Pau. Leur importance nous oblige à en parler, car ils ont posé des principes plus larges que ne l'était la jurisprudence antérieure de la Cour suprême.

Les dispositions législatives votées pendant cette même période sont nombreuses. Elles touchent même à des points capitaux de notre légis

2. Loi du 25-30 août, sur la dissolution des gardes nationales, J. off. du 30 août 1871.

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