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Lettre adressée, le 8 janvier 1892, par l'Ambassadeur de la République française à Berne au Président de la Confédération suisse relativement à l'établissement d'un « modus vivendi » commercial entre les deux pays (Livre jaune, 1892).

Monsieur le Président, le traité qui, depuis 1882, régit les rapports commerciaux de la Suisse et de la France expirant le 1er février prochain, je suis officiellement chargé de notifier au Gouvernement fédéral que le Gouvernement français désireux de maintenir les bonnes relations qui existent entre la Suisse et la France, a décidé d'user, en ce qui concerne la Suisse, des droits que lui confère l'article 2 de la loi du 29 décembre 1891.

Cet article est ainsi concu :

«Le Gouvernement est autorisé à appliquer, en tout ou en par«tie, le tarif minimum aux produits ou marchandises originaires « des pays qui bénéficient actuellement du tarif conventionnel et qui consentiront, de leur côté, à appliquer aux marchandises françaises le traitement de la nation la plus favorisée.

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« Cette concession ne pourra être accordée que sous la réserve « par le Gouvernement français d'en faire cesser les effets en noti«fiant cette intention douze mois à l'avance. »

En conséquence, le Gouvernement français appliquera, à partir du 1er février 1892, le tarif minimum aux produits ou marchandises originaires de la Suisse, sous la condition que la Suisse, de son côté, continuera à appliquer aux marchandises françaises le traitement de la nation la plus favorisée.

Il va de soi que si la Suisse, ainsi que nous avons lieu de le penser, accepte la notification que j'ai l'honneur, au nom du Gouvernement de la République, de faire au Conseil fédéral, par l'entremise de Votre Excellence, nous ne serons pas plus liés vis-à-vis d'elle qu'elle ne le sera vis-à-vis de nous. Elle se trouvera dans une situation semblable à celle qui existe entre la France et l'Angleterre, en vertu de notre loi toujours révocable, du mois de février 1882.

J'ai recu mission, en outre, de demander au Gouvernement féderal s'il n'est pas disposé à proroger provisoirement le traité de commerce du 23 février 1882, dans les clauses qui ne touchent pas aux tarifs, notamment l'annexe F, et les Conventions pour la protection de la propriété littéraire, artistique et industrielle.

ARAGO.

Réponse de M. Hauser, Président de la Confédération, à M. Arago, Ambassadeur de la République française (1).

Berne, le 15 janvier 1892.

Par sa note du 8 courant, Votre Excellence nous informe que le Gouvernement français, désireux de maintenir les bonnes relations qui existent entre la Suisse et la France, a décidé d'appliquer, à partir du 1er février 1892, le tarif minimum aux produits ou marchandises originaires de la Suisse, sous la condition que la Suisse appliquera, de son côté, aux marchandises françaises le traitement de la nation la plus favorisée.

En outre, Votre Excellence nous demande si nous serions disposés à proroger provisoirement le Traité de commerce du 23 février 1882, dans les clauses qui ne touchent pas aux tarifs, notamment l'annexe F, et les conventions pour la protection de la propriété littéraire, artistique et industrielle.

Nous avons l'honneur de répondre à Votre Excellence que notre désir et notre espoir étaient effectivement de pouvoir consolider et développer au delà du 1er février 1892, dans le domaine si important des relations commerciales, nos bons rapports avec la France. Mais par sa nouvelle législation douanière, qui froisse gravement nos intérêts, aussi bien ceux qui nous sont communs avec d'autres pays que ceux des industries spéciales à la Suisse, la France a pris un chemin qui nous éloigne considérablement de ce but. Il nous est impossible de considérer le tarif minimum, en raison de ses droits très élevés et de son instabilité, comme l'équivalent du régime conventionnel que nous venons de fixer, pour une période de douze années, avec l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie, et que nous sommes en voie de fixer aussi avec l'Italie. En conséquence, et tout en donnant acte à Votre Excellence de sa déclaration, nous devons nous réserver les mains complètement libres vis-à-vis de la France, en regrettant qu'un pays auquel nous unit une étroite amitié ait cru devoir adopter une politique économique dont les conséquences ne peuvent être que fâcheuses pour la bonne harmonie entre les deux nations.

(1) Postérieurement à l'envoi de cette réponse, le conseil fédéral a reçu des chambres suisses des pleins pouvoirs pour régler les relations commerciales avec la France au mieux des intérêts de la Confédération. Faisant usage de ces pouvoirs il a décidé, le 30 janvier 1892, que jusqu'à nouvel ordre le tarif d'usage (traitement de la nation la plus favorisée) serait appliqué aux produits français et que les avantages concédés aux provenances du pays de Gex seraient maintenus. De son côté la France a appliqué à la Suisse le tarif minimum en vertu du décret du 30 janvier 1892.

En ce qui concerne la proposition par laquelle se termine la Note de Votre Excellence, nous ne pouvons que confirmer et réitérer nos déclarations de l'année dernière, contenues dans notre Note du 23 janvier en réponse à la dénonciation du Traité de commerce par le Gouvernement français, ainsi que dans la Note de M. le Ministre Lardy du 21 janvier 1891, dénonçant les Conventions pour la propriété artistique et industrielle.

A notre avis, les stipulations du Traité de commerce du 23 février 1882 et de ses annexes ne peuvent être séparées les unes des autres, celles relatives aux tarifs n'étant sur plus d'un point essentiel, que la contre-valeur de concessions faites à d'autres égards. Nous ne pourrions donc consentir à la prorogation ou au renouvellement desdites stipulations que si le Gouvernement de la République nous assurait en retour, sous le rapport du tarif douanier, de justes compensations. Nous désirons connaitre ses intentions à ce sujet. Pour ce qui nous concerne, il nous trouvera toujours disposés à entrer avec lui en négociations sur cette base; mais en attendant, nous garderons les mains libres, pour agir, à cet égard aussi, suivant

nos convenances.

Quant à une prorogation de la Convention pour les dessins et modèles industriels et pour les marques de fabrique et de commerce, elle n'offre aucun intérêt en présence de la Convention générale de Paris du 20 mars 1883, qui règle ces matières d'une façon satisfaisante pour les deux pays. Il n'en est pas de même au sujet de la protection des œuvres littéraires et artistiques. La Convention franco-suisse assure, dans son article 20, aux auteurs dramatiques et aux compositeurs français des avantages dont ils ne jouissent pas à teneur de la Convention générale de Berne du 9 septembre 1886, et qui excèdent de beaucoup les droits garantis à nos propres auteurs par la loi nationale, postérieure à cette Convention. Ce privilège en lui-même, aussi bien que la manière en laquelle les agents des auteurs dramatiques et compositeurs français l'ont exercé pour la perception des droits, ont provoqué en Suisse les plus vives et les plus légitimes réclamations. Aussi ne nous serait-il pas possible, même si l'opinion publique n'était pas très excitée d'autre part à cause des nouveaux tarifs douaniers, de consentir à proroger dans les mêmes conditions la convention spéciale dont il s'agit.

Au nom du conseil fédéral suisse;
Le Président de la Confédération,
HAUSER.

Décret du 9 janvier 1892 autorisant l'admission en franchise jusqu'au 30 juin 1892 de 6,000 kilogrammes d'animaux morts (gibier, volailles et tortues), d'origine et de provenance tunisienne (V. le texte au J. Officiel du 10 janvier 1892).

Loi du 11 janvier 1892 relative à l'établissement du Tarif général des douanes. (1)

ART. 1. Le tarif général des douanes et le tarif minimum relatifs à l'importation et à l'exportation sont établis conformément aux tableaux A et B annexés à la présente loi (2).

Le tarif minimum pourra être appliqué aux marchandises originaires des pays qui feront bénéficier les marchandises françaises d'avantages corrélatifs et qui leur appliqueront leurs tarifs les plus réduits.

ART. 2. Les produits d'origine extra-européenne importés d'un pays d'Europe seront soumis aux surtaxes spécifiées dans le tableau Cannexé à la présente loi.

Les sucres étrangers continueront à acquitter les surtaxes établies par les lois des 19 juillet 1880 et 5 août 1890.

Les produits européens importés d'ailleurs que des pays d'origine acquitteront les surtaxes spécifiées au tableau D annexé à la présente loi.

ART. 3. Les droits et immunités applicables aux produits importés dans la métropole, des colonies, des possessions françaises et des pays de protectorat de l'Indo-Chine, sont fixés conformément au tableau E annexé à la présente loi.

Sont exceptés du régime du tableau E les territoires français de la côte occidentale d'Afrique (sauf le Gabon), Taïti et ses dépendances, les établissements français de l'Inde, Obock, Diego-Suarez, Nossi-Bé et Sainte-Marie de Madagascar. Toutefois les guinées d'origine française provenant des établissements français de l'Inde sont exemptes de droits. Des exemptions ou détaxes pourront être, en outre, accordées à d'autres produits naturels ou fabriqués originaires des établissements susvisés, suivant la nomenclature qui sera arrêtée pour chacun d'eux par des décrets en Conseil d'Etat. Les produits naturels ou fabriqués originaires de ces établissements qui ne seront admis à leur entrée en France au bénéfice d'aucune exemption ou détaxe seront soumis aux droits du tarif minimum.

Les produits étrangers importés dans les colonies, les possessions françaises et les pays de protectorat de l'Indo-Chine, à l'exception des territoires énumérés au paragraphe 2, sont soumis aux mêmes droits que s'ils étaient importés en France.

Des décrets en forme de règlements d'administration publique rendus sur le rapport du Ministre du Commerce, de l'Industrie et des Colonies, et après avis des conseils généraux ou conseils d'administration des colonies,

(1) Cette loi dont la discussion a absorbé un grand nombre de séances dans les deux Chambres, a fait l'objet de multiples rapports, par catégories d'articles. Nous nous bornons donc à renvoyer à titre d'indice des sentiments du Parlement aux Rapports généraux présentés à la Chambre des députés le 3 mars 1891 par M. Jules Méline et au Sénat le 9 novembre 1891 et le 29 décembre 1891 par M. Dauphin. (2) Voir au J. Officiel et au Bulletin des lois ces tableaux.

détermineront les produits qui, par exception à la disposition qui précède, seront l'objet d'une tarification spéciale (1).

Les paragraphes 1 et 3 du présent article ne seront exécutoires pour chaque colonie qu'après que le règlement prévu par le paragraphe 4 sera intervenu, sans que cependant l'effet de cette disposition puisse excéder le délai d'un an. Toutefois le Gouvernement pourra faire bénéficier immédiatement, en tout ou en partie, des dispositions du tableau E les colonies qui actuellement appliquent dans leur ensemble aux produits étrangers les droits du tarif métropolitain, ou qui frappent les denrées coloniales venant de l'étranger des droits inscrits audit tarif.

ART. 4. Les conseils généraux et les conseils d'administration des colonies pourront aussi prendre des délibérations pour demander des exceptions au tarif de la métropole. Ces délibérations seront soumises au Conseil d'Etat, et il sera statué sur elles dans la même forme que les règlements d'administration publique prévus dans l'article précédent.

ART. 5. Les produits originaires d'une colonie française importés dans une autre colonie française ne seront soumis à aucun droit de douane. Les produits étrangers importés d'une colonie française dans une autre colonie française seront assujettis dans cette dernière au payement de la différence entre les droits du tarif local et ceux du tarif de la colonie d'exportation.

ART. 6. Le mode d'assiette, les règles de perception et le mode de répartition de l'octroi de mer seront établis par des délibérations des conseils généraux ou des conseils d'administration, approuvées par décrets rendus dans la forme des règlements d'administration publique.

Les tarifs d'octroi de mer seront votés par les conseils généraux ou conseils d'administration des colonies. Ils seront rendus exécutoires par décrets rendus sur le rapport du Ministre du Commerce, de l'Industrie et des Colonies. Ils pourront être provisoirement mis à exécution en vertu d'arrêtés des gouverneurs.

Les dépenses du service des douanes (personnel et matériel) seront comprises dans les dépenses obligatoires des budgets locaux des colonies. ART. 7. Les dispositions de l'article 10 de la loi du 29 décembre 1884, relatives à l'Algérie, sont maintenues en vigueur.

ART. 8. Le Gouvernement est autorisé à appliquer des surtaxes ou le régime de la prohibition à tout ou partie des marchandises originaires des pays qui appliquent ou appliqueraient des surtaxes ou le régime de la prohibition à des marchandises françaises.

Ces mesures doivent être soumises à la ratification des Chambres, immédiatement si elles sont réunies; sinon, dès l'ouverture de la session suivante. ART. 9. Pour l'application de l'article 4 de la loi du 7 mai 1881, la liste sur laquelle les adjoints aux commissaires experts doivent être choisis sera dressée chaque année par le Ministre du Commerce, de l'Industrie et des Colonies et le Ministre des Finances, après consultation des cham

(1) Voir pour les différentes colonies, soit au Bulletin des lois soit au J. Officiel, les décrets des 27 mai 1892 (Nossi-Bé, Sainte-Marie de Madagascar, Guinée française), 26 novembre 1892 (Réunion, Mayotte) 29 novembre 1892 (Indo-Chine (V. ci-après) Guyane, Guadeloupe, Martinique, Gabon),— 21 décembre 1892 (St-Pierre et Miquelon) 30 mars 1893 (Martinique) — 3 juin 1893 (Guadeloupe) 30 mai 1893 (Guinée française) — 27 mars 1893, (Nossi-Bé et Sainte-Marie de Madagascar.)

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