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la patrie; et un prédicateur ordinaire du Roi, l'abbé Fauchet, considérant la conquête de la liberté comme la réalisation de la parole de Jésus-Christ, bénit les morts de juillet comme les martyrs de la cause éternellement

sainte.

Mais Louis XVI, qui vient d'accepter le titre de Restaurateur de la liberté française, n'en écrit pas moins à l'évêque d'Arles une lettre, longtemps inconnue, dans laquelle il lui dit :

« Je ne consentirai jamais à dépouiller mon Clergé, ma Noblesse... Je ne donnerai point ma sanction à des décrets qui les dépouilleraient... Je ferai tout ce qui dépendra de moi pour conserver mon Clergé, ma Noblesse.»

Cependant l'irritation causée dans les provinces par une longue oppression ne peut se calmer à l'instant; des châteaux sont encore incendiés; les chasseurs se répandent dans les champs réservés jusqu'aujourd'hui aux plaisirs de leurs oppresseurs, et, au milieu de nombreux accidents, commettent toutes sortes de dévastations.

Tous ces désordres et ces excès sont affligeants sans doute; mais à qui la première faute?

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Toute usurpation, dit M. Thiers, a un cruel retour; et celui qui usurpe devrait y songer, du moins pour ses enfants, qui presque toujours portent sa peine.

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Le 10, Target propose, pour rétablir la tranquillité publique, de charger les Municipalités de la répression des désordres, en employant la force armée, et de faire prêter aux troupes le serment d'être fidèles à la Nation, au Roi

et à la loi, par conséquent d'exécuter les ordres des Municipalités.

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Quelle que soit, dit N..., la formule du serment qu'on fasse faire aux troupes, ce serment ne doit et ne peut jamais engager ni lier le soldat au point de le faire agir contre les devoirs de l'homme ou du citoyen. Trop longtemps on a regardé le soldat comme un automate fait pour suivre simplement l'impulsion qu'on lui donne. Dans le siècle de la philosophie, dans le siècle des lumières, où tous les devoirs de l'humanité sont connus, le soldat doit être regardé comme un homme et comme un citoyen. – Où en serions-nous, grand Dieu ! si les Gardes-françaises n'eussent pas eu assez de raison, assez de philosophie, pour préférer les droits sacrés de l'homme et du citoyen aux lois rigides du Code militaire? Ils eussent fait main-basse sur leurs concitoyens; Versailles et Paris eussent été inondés de sang; la France serait aujourd'hui le théâtre d'une guerre civile d'autant plus funeste que le Despotisme aurait voulu écraser ou faire trembler des êtres qui tous voulaient recouvrer leurs premiers droits, les droits imprescriptibles de la liberté. Pourquoi donc aujourd'hui vouloir encore lier le soldat citoyen par une formule de serment qui aurait entraîné les plus grands malheurs si le soldat s'y était conformé? Et pourquoi croire lier l'officier par une formule de serment qu'il saura, quand il lui plaira, faire plier devant ses intérêts et son ambition? On peut conclure, et non sans raison, qu'un serment, n'importe la formule sous laquelle on le fait prêter, est absolument inutile. Peut-on croire en effet que l'homme méchant, que l'homme traître, se fera scrupule de fausser son serment? Ces êtres-là, pour qui le crime a des attraits, et qui sont prêts à sacrifier le sacré et le profane à leurs intérêts particuliers, à leur passion dominante, ne seront jamais arrêtés par un serment; au contraire, violer leur parole, trahir leur conscience, est un aiguillon de plus pour les porter à faire le mal.- " L'homme vertueux, n'importe l'état qu'il professe dans la société, se gardera bien de dépasser le but marqué par les premiers devoirs, par les premiers droits de l'homme et du citoyen. Ainsi, quelque tournure que l'on donne à la formule du serment qu'on lui fera prêter, son cœur lui dira toujours, lui criera sans cesse, qu'il doit rester immobile et ne pas écouter la voix impérieuse d'un scélérat qui lui commande le crime. Le maréchal de Broglie est un exemple frappant de ce que j'avance. Trop sensé pour avoir accepté le commandement du dernier

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camp sans pénétrer les projets de la Cour, il est chargé et sera toujours chargé, aux yeux des générations présentes et futures de l'exécution de la conspiration infernale formée contre la patrie. Ce coupable général, pour sonder les dispositions de ses soldats, leur rappela leur serment: « N'avez-vous pas juré, leur dit-il, fidélité au Roi? Je compte sur votre parole! Nous la tiendrons, répon« dirent les troupes; mais sachez qu'en promettant fidélité au Roi, jamais nous n'avons entendu nous engager à nous souiller du sang « de nos frères.

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Cependant l'Assemblée décide que le serment sera prêté:

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Considérant, dit le décret, que les ennemis de la Nation ayant perdu l'espoir d'empêcher, par la violence du Despotisme, la régénération publique et l'établissement de la liberté, paraissent avoir conçu le projet criminel de revenir au même but par la voie du désordre et de l'anarchie; qu'entre autres moyens ils ont, à la même époque, et presque le même jour, fait semer de fausses alarmes dans les différentes provinces du royaume; et qu'en annonçant les incursions et les brigandages qui n'existaient pas, ils ont donné lieu à des excès et des crimes qui attaquent également les biens et les personnes, et qui, troublant l'ordre universel de la société, méritent les peines les plus sévères; l'Assemblée Nationale décrète..... l'autorité des Municipalités et le serment des troupes.

§ 6.

- Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

L'Assemblée revient alors, le 12 août, aux projets de Déclaration des droits. Elle nomme un nouveau comité de cinq membres, dont Mirabeau fait partie, pour rédiger un nouveau projet. C'est Mirabeau qui le présente.

« Une nation, dit-il, ne doit reconnaître d'autres lois que celles qui ont été expressément approuvées et consenties. Vous allez établir un régime social qui se trouvait, il y a peu d'années, au-dessus de nos espérances; vos lois deviendront celles de l'Europe si elles sont dignes de vous; car telle est l'influence des grands Etats, et surtout de la France, que chaque progrès dans sa Constitution agrandit la raison et la perfectibilité humaines.

Enfin le 26, après une longue discussion, l'Assemblée adopte la Déclaration suivante:

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DÉCLARATION DES DROITS DE L'HOMME ET DU CITOYEN.

« Les Représentants du Peuple français, constitués en Assemblée Nationale, considérant que l'ignorance, l'oubli ou le mépris des Droits de l'homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d'exposer dans une Déclaration solennelle les Droits naturels, inaliénables et sacrés de l'homme, afin que cette Déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs; afin que les actes du pouvoir législatif et ceux du Pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous. En conséquence, l'Assemblée Nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l'Etre Suprême, les Droits suivants de l'homme et du citoyen:

ARTICLE PREMIER. Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune.

2. Le but de toute association politique est la conservation des Droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont : la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression.

3. Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu, ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément.

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4. La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ainsi l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi.

5. La loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas.

6. La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les ci

toyens ont droit de concourir personnellement ou par leurs Représentants à sa formation. - Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protége, soit qu'elle punisse. - Tous les citoyens étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents.

7. Nul homme ne peut être accusé, arrêté, ni détenu que dans le cas déterminé par la loi, et selon les formes qu'elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis. Mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi doit obéir à l'instant; il se rend coupable par la résistance.

8. La loi ne doit établir que des peines strictement nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promolguée antérieurement au délit, et légalement appliquée.

9. Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi.

10. Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'Ordre établi par la loi.

11. La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.

12. La garantie des droits de l'homme et du citoyen nécessite une force publique: cette force est donc instituée pour l'avantage de tous et non pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée.

13. Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable: elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.

14. Tous les citoyens ont droit de constater par eux-mêmes, ou par leurs Représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée.

15. La Société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration.

16. Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas as

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