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PRÉFACE.

De toutes les révolutions dont l'histoire a conservé le souvenir, il n'en est aucune qui présente, autant que la Révolution française, un spectacle majestueux, dramatique, palpitant d'intérêt, rempli de leçons instructives, et digne des méditations de tous les amis de l'Humanité.

Aucune révolution n'a été exécutée par une Nation aussi puissante en population, aussi généreuse de caractère, aussi sympathique pour les autres Peuples; aucune n'a déployé tant de courage, n'a bravé tant de périls, n'a surmonté tant d'obstacles, n'a vaincu tant d'ennemis intérieurs et extérieurs; aucune n'a fait surgir et briller tant d'hommes de savoir, de talent, d'énergie, de dévoûment patriotique et de génie révolutionnaire; aucune n'a pu profiter des lumières de tant de publicistes, des conseils de tant de philosophes, de l'expérience de tant de révolutions précédentes; aucune n'a ouvert une discussion aussi solennelle sur tout ce qui peut intéresser les hommes; aucune n'a tenté une réforme radicale de la Société; aucune enfin n'a fait faire autant de progrès à l'Humanité tout entière.

Et l'on peut ajouter que, exposée dans toute sa vérité, la Révolution française est le cours pratique le plus complet de politique et de philosophie.

Cependant, tandis que l'Aristocratie et la Bourgeoisie ont un grand nombre d'histoires de cette Révolution, ne peut-on pas dire que la Démocratie et le Peuple n'en possèdent encore aucune?

Celle de M. Thiers a certainement un grand mérite littéraire; elle fut même, si l'on considère l'époque de sa publication, un véritable service rendu au pays mais c'est la révolution bourgeoise que l'auteur y défend; il la défend contre les innovations de la Démocratie tout autant que contre les usurpations de l'Aristocratie; l'historien s'y montre artiste et littérateur bien plus que moraliste et philosophe; et le talent de l'écrivain, l'illusion que produit une apparence d'esprit révolutionnaire, l'immense réputation dont jouit cette histoire, ne rendent que plus dangereuses les erreurs qu'elle renferme dans l'appréciation des faits et des hommes.

J'en dirais presque autant de l'histoire de M. Mignet.

Quant à l'Histoire parlementaire de MM. Buchez et Roux, quoique démocratique dans son esprit, quoique infiniment utile et précieuse pour l'étude historique, elle est un recueil de documents parlementaires plutôt qu'une histoire proprement dite de la Révolution; et d'ailleurs son étendue la rend inaccessible à la bourse du Peuple.

Ces considérations m'ont déterminé à entreprendre une Histoire de la Révolution française qui sera tout-à-la-fois démocratique dans son esprit et populaire dans sa destination et son but.

Par Démocratie je n'entends pas la domination

oppressive de la classe la plus laborieuse et la plus pauvre sur les classes les plus riches; mais j'entends la puissance du Peuple entier s'exerçant dans l'intérêt de tous; j'entends le principe de fraternité et d'égalité, sans exclusion ni oppression de personne; j'entends l'amélioration matérielle, intellectuelle et morale des classes les moins heureuses; j'entends leur amélioration progressive, continuelle, incessante, sans autre borne que celle du possible, en élevant les uns plutôt qu'en abaissant les autres, en donnant l'aisance au pauvre sans appauvrir le riche; en un mot, j'entends le système social et politique le plus favorable à la dignité et au perfectionnement de l'homme, à l'ordre public, au respect des lois et au bonheur de tous les citoyens, en lui donnant pour fondement l'éducation et le travail.

J'ajoute que les fautes de l'Aristocratie me paraissent moins excusables que celles du Peuple; mais que les vices de l'organisation sociale et de l'éducation sont à mes yeux la première cause du mal; et que ce sont les mauvaises institutions, plus que les hommes, qu'il faut en accuser.

C'est d'après ces principes que j'apprécierai les faits qui constituent l'Histoire de la Révolution française.

Il est trop évident que la vérité seule est utile pour que j'aie besoin d'affirmer que je la respecterai scrupuleusement: ce serait folie de l'altérer

volontairement.

Je suis également trop sincère ami du Peuple pour le flatter et le tromper: plus je désire le

triomphe de sa cause, plus je me fais un devoir de signaler les malheurs qu'ont attirés sur lui l'impatience, la précipitation, l'excessive confiance, le courage sans discipline, les efforts partiels et isolés, l'intolérance et la désunion.

Sans haine et sans crainte, sans autre passion que celle de la justice et l'humanité, sans autre ambition que celle d'être utile, je dirai hardiment la vérité, quelle qu'elle soit, sur les faits, sur les personnages et sur les partis; - je la dirai franchement sur les massacres de Nancy et du Champde-Mars, sur le 10 août, sur le 2 septembre, le 31 mai, le 9 thermidor, les insurrections de floréal et prairial, la conspiration de Babeuf, le 18 brumaire, le Consulat et l'Empire; je la dirai sur Mirabeau, Sieyès, Barnave, Bailly, Lafayette, Danton, Marat, Robespierre, Carnot, Bonaparte, etc.; sur les Montagnards et les Girondins, sur les Jacobins et les Thermidoriens.

Je ne négligerai pas de réfuter les jugements qui me paraîtront erronés dans les histoires déjà publiées et surtout dans celle de M. Thiers, en basant toujours sur des faits certains mes réfutations et mes propres réflexions.

Bien que j'aie cherché à rendre mon travail intéressant pour toutes les classes de lecteurs en n'omettant rien de ce qui est vraiment utile, c'est principalement pour le Peuple que j'écris; et par conséquent j'ai dû resserrer mon récit dans un cadre qui ne fût pas trop large, tout en donnant cependant une histoire complète des événe ments. J'ai donc repoussé les descriptions des

batailles et les développements inutiles pour m'attacher aux faits essentiels et notamment à tous ceux qui concernent l'organisation sociale et politique.

Ce n'est pas une œuvre d'art et de littérature que j'entreprends, mais une œuvre d'instruction et de moralisation; je ne vise, dans le style, qu'à la précision et à la clarté.

Pour mieux faire comprendre la Révolution, j'ai fait précéder son histoire d'un Précis complet de celle des Français depuis leur origine jusqu'en 1789. On verra que les révolutions ne sont pas nouvelles en France; que presque tous les actes les plus déplorables de cette dernière ont des exemples dans les temps précédents; que la perfectibilité humaine s'est constamment développée; que la Nation française a marché de progrès en progrès; et qu'il est impossible, après les perfectionnements accomplis, d'assigner un terme aux futurs perfectionnements de l'Humanité.

D'autres pourront mieux faire, je n'en doute pas mais je n'en ai pas moins la confiance que mon travail sera utile.

Je donnerai souvent l'ANALYSE des débats législatifs et du jugement de principaux journaux, parce que, à mon avis, rien ne fait mieux connaître le mouvement de l'opinion, rien ne peut mieux transporter le lecteur sur la scène des événements, rien ne peut mieux lui donner le moyen de juger par lui-même. Je ne citerai cependant les paroles des orateurs et des écrivains que

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