Page images
PDF
EPUB

reste, qu'il y eût entre ces peuplades aucune espèce de pacte fédéral formellement exprimé; mais c'était dans la nation un usage qui remontait sans doute à la réunion des premières familles, que celui de ces assemblées annuelles où la nation délibérait sur les affaires publiques d'un intérêt général, assemblées fameuses qui forment le premier point de l'histoire de nos libertés.

C'est donc une chose assez remarquable que les deux élémens principaux qui composent l'édifice des libertés nationales se découvrent, l'un (les communes) dans les institutions romaines, et l'autre (les corps représentatifs) dans les établissemens germaniques.

Les Francs n'estimaient que la valeur, et leurs lois ne punissaient la lâcheté. Ils avaient des chefs de guerre dont que la principale prérogative était d'avoir la part la plus forte des butins faits sur l'ennemi. Apprendre à agiter la francisque avec dextérité était toute l'éducation de la jeunesse. La force était la loi. Une pareille société ne pouvait subsister qu'autant que ses membres les plus turbulens seraient constamment en guerre. Aussi, depuis l'époque où ils parurent sur les frontières septentrionales de l'empire, jusqu'à celle où ils envahirent la Gaule, chaque année fut marquée par de nouvelles agressions et par de nouveaux pillages.

D'autres observations sur le caractère et l'état primitif de cette nation sont nécessaires; mais elles trouveront mieux leur place dans les pages suivantes, où elles serviront de base à des développemens d'un haut intérêt.

S III.

Conquête de la Gaule par les Francs. (5o, 6o, et 7oo siècles.)

C'est ici surtout qu'il faut se défendre de l'esprit de systême, et par conséquent ne pas imiter la plupart des écrivains qui ont cherché à reconnaître la situation politique du pays, vers les premiers temps de la conquête. Presque tous, en effet, abusant étrangement de quelques passages, ont établi des hypo

thèses plus ou moins spécieuses, mais où se trouvent quelques vérités, au milieu d'assertions manifestement erronnées. D'après celui-ci, par exemple, les conquérans s'asseyent paisiblement au rang des vaincus, et baissent leurs glaives devant tous leurs établissemens (1). Un autre veut au contraire que les Barbares aient chargé de chaînes tout ce qui portait le nom de Gaulois (2). On peut reprocher sans doute au plus illustre de tous, à l'un des grands génies dont la France s'honore, d'avoir trop exclusivement cherché l'origine de tout, dans les forêts mêmes de la Germanie (3).

Evitons de voir cette partie de notre histoire sous un point de vue systématique, et empruntons à chaque hypothèse ce qu'elle peut avoir de fondé; il est probable que nous nous raprocherons ainsi de la vérité sur des points encore fort obscurs, après de longues discussions.

Il y a une remarque essentielle à faire; on n'a pas assez réfléchi, ce me semble, en s'occupant de l'époque où les Francs triomphèrent de la puissance romaine, que ces peuples devaient avoir subi de fortes altérations depuis un siècle. Il faut se rappeler, en effet, qu'ils avaient souvent possédé, pendant plusieurs années, quelques lambeaux des provinces septentrionales; que leurs courses continuelles dans les autres. parties du territoire les mettaient en communication directe avec les Romains; que les captifs qu'ils ramenaient esclaves dans leur séjour ordinaire, devaient nécessairement avoir répandu parmi eux quelques lumières sur l'état politique de la Gaule; on ne doit donc pas les regarder tout-à-fait, à cette époque, comme des barbares déterminés à exterminer indistinctement et absolument tout ce qui n'était pas sorti de leur sauvage berceau.

Les lois qui régirent ces premiers temps, prouvent que partout où l'on se soumit, les propriétés et les institutions locales

(1) L'abbé Dubos.

(2) Le comte de Boulainvilliers.

(3) Le président de Montesquieu.

même furent respectées. Les Barbares ne s'emparèrent que des terres qui se trouvèrent libres par la mort ou l'esclavage des possesseurs; et ils ne modifièrent d'abord le gouvernement, qu'autant qu'il était nécessaire pour assurer leur conquête. Si les vaincus furent politiquement placés au second rang, on voit néanmoins que ceux qui se réunirent aux conquérans, conservèrent une grande prépondérance dans la direction des affaires. Le règne d'Egidius, après l'expulsion de Childéric, en est une preuve. Puisque les Francs purent se soumettre à un Romain, il est clair que la situation du reste de la nation ne dût pas être telle, à cette époque, que quelques-uns l'ont voulu.

C'était un principe chez les Barbares, que chaque peuplade devait être régie par ses règles de justice. Ce principe maintint l'usage des lois romaines pour les Romains, comme il établissait la loi salique pour les Francs, la loi gombette chez les Bourguignons; ce qu'on appelait alors le code Théodosien, resta donc en vigueur dans la Gaule: or, cela suppose que les magistratures continuèrent encore à être exercées par des Romains, puisqu'eux seuls étaient capables de les

exercer.

Plusieurs monumens semblent attester pareillement que l'administration resta à-peu-près dans l'état où elle se trouvait, et que ce furent encore des Romains qu'on vit la plupart du temps choisis par les rois Francs, pour présider anx cités comme comites ou comtes.

En un mot, voilà, ce nous semble, l'idée qu'on peut raisonnablement se faire de l'état du pays à cette époque. Le roi Franc avait pour conseil ses principaux chefs et ceux des illustres Gaulois dont le front s'était courbé sans peine sous le nouveau joug. Là, il méditait d'achever sa conquête et d'étendre sa domination soit sur les parties où des corps Romains tenaient encore, soit sur celles où d'autres chefs de Barbares tentaient d'établir une puissance rivale de la sienne. Les principaux officiers Francs étaient investis des grands commande

mens, dans les provinces où le roi était reconnu. Dans ces provinces, la population germanique, qui s'était établie après avoir quitté les bords du Rhin, n'était pas, dans l'origine, disséminée, mais réunie avec ses serfs, et formant des villages à part sur les terres qui lui avaient été cédées. Une religion, un culte et des usages différens, des sentimens de jalousie d'une part, et de cupidité de l'autre, devaient établir une division. naturelle entre les anciennes cités que la conquête n'avait pas détruites, et les nouveaux établissemens. Ces deux populations s'observaient sans doute avec inquiétude, et il y avait entre elles des rapports trop immédiats, pour qu'il ne s'en suivît pas nécessairement une sorte de lutte presque continuelle, où l'on comprend que le dessous ne fut pas ordinairement aux derniers venus. Telle fut à-peu-près la situation' du pays, jusqu'au moment où l'ancienne nation sembla, en quelque sorte, avoir totalement disparu dans cette suite de guerres et de dévastations, qui forme l'histoire de ces temps.

§ IV.

De la Royauté,

Reges ex nobilitate, duces ex virtute sumunt, a dit Tacite (1) en parlant des Germains; ce qui prouve manifestement que les rois, chez ces peuples, appartenaient à certaines familles

exclusivement.

Mais cette royauté était-elle héréditaire?

Le respect et la soumission pour le sang d'un homme qui s'est illustré par sa valeur, sont des sentimens qui naissent avec la société politique, et dont elle fait plus tard des principes quelquefois utiles à son maintien. Il serait facile d'en faire sentir la source et les motifs; mais ce n'est pas ici le lieu de se livrer à de semblables développemens. Au reste, T'histoire est là pour attester la vérité du fait. Il n'est pas rare de voir, chez tous les peuples, et spécialement chez ceux qui nous occupent, une assemblée de vieux guerriers tout entière.

(1) De Mor. German., cap. 7.

exaltée, à la vue d'un faible enfant, qu'elle se plait à regarder comme devant un jour rappeler celui dont il a reçu la vie et dont il porte le nom.

D'un autre côté, un attachement servile et nou raisonné ne peut guère être supposé parmi des peuples où le glaive est souverain, où le plus vaillant doit toujours être le premier de tous. Qui ne doute d'ailleurs que dans ces assemblées annuelles où la nation décidait avec toute puissance, il n'ait pas été question quelquefois de renverser un roi lâche ou tyran, pour couronner un chef plus digne : Childéric n'en est-il pas un exemple?

Voici comment on peut concilier cette apparente contradiction les peuples avaient bien à la vérité le droit d'élire les rois; mais c'était en général une doctrine, d'en borner l'exercice et de choisir exclusivement entre les héritiers du sang royal. Diverses autorités fondent ce sentiment. On lit dans nos anciens historiens que ces premiers rois qui précédèrent Clovis, et dont les noms seuls sont connus, appartenaient très-certainement à la même famille, quoique le principe de l'hérédité directe n'eût point été appliqué à leur égard. C'est cet usage qui introduisit peut-être les partages des Etats, qui eurent lieu, si fréquemment sous la première race. Les fils du roi avaient, aux yeux de la nation, des droits égaux à une portion de souveraineté, puisqu'ils auraient pu être également choisis par elle pour commander à l'Etat tout entier.

Celui qui devait régner sur les Francs était placé sur un bouclier, le glaive à la main, en présence de toute l'armée, qui fesait diverses évolutions autour de lui (1). Tel était le couronnement; il caractérise une royauté d'où les femmes devaient naturellement être exclues. Ainsi, qu'on lie ce principe constitutif de notre monarchie à l'ensemble des lois saliques, ou non, il n'en est pas moins vrai qu'il devait naître du génie même de cette nation belliqueuse.

(1) Grég. Tur., lib. vii, chap. 18.

« PreviousContinue »