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nous nous bornerons à faire observer que l'on peut adopter le sentiment de Hume, bien que l'institution actuelle du jury anglais; diffère en beaucoup de points des tribunaux dont nous venons d'exposer l'organisation, comme l'ont fait remarquer ceux qui ont soutenu un système contraire au sien. Dans tous les cas, nous avons dû signaler la difficulté, car en faisant connaître les anciennes institutions, nous devons sur-tout nons attacher à montrer leur influence sur les institutions modernes.

Au-dessus des assemblées de canton, était la cour du comté; elle se composait de tous les francs-tenanciers de la Province; et connaissait, sous la présidence du comte ou Alderman et de l'évêque, des appels des sentences rendues par les cantons, et des contestations entre les membres des différens cantons. Enfin le conseil du Roi était la cour suprême, à laquelle on portait l'appel de toutes les cours du royaume.

Après avoir ainsi réglé l'hiérarchie des différens tribunaux, Alfred pensa qu'il était dangereux de laisser entre les mains de l'Alderman, l'autorité civile et militaire; il institua dest Sheriffs pour chaque province, auxquels fut confiée l'administration des affaires civiles. Blackstone pense au contraire, que les Sheriffs ne furent dans l'origine que des officiers du comte, chargés de le suppléer dans toutes ses fonctions; et que c'est peu à peu, que l'autorité civile se trouva entre leurs mains, entièrement séparée du commandement militaire (1).

Outre ces réglemens particuliers, Alfred publia un corps de lois, qui ne s'est point conservé; mais que l'on regarde généralement comme la source de ce qu'on appelle en Angleterre le droit commun.

Telles furent les institutions d'Alfred; il sut établir l'ordre et faire respecter ses lois, sans attenter aux droits et à la liberté de son peuple; on trouve dans son testament ces paroles remarquables: Il serait juste que les Anglais pussent toujours rester aussi libres que leurs pensées.

(1) Blackstone, Comment. sur les lois, discours préliminaire, page 149,

Les successeurs d'Alfred furent continuellement inquiétés par les courses des Danois, dont les expéditions devenaient chaque jour plus nombreuses et plus redoutables. Ceux-ci parvinrent à former des établissemens sur les côtes, puis dans les terres; enfin, en 1016, Edmond Côte-de-fer fut contraint de partager son royaume avec Canut, roi de Danemarck; bientôt après, il mourut assassiné, laissant deux fils mineurs, et Canut fut reconnu roi d'Angleterre. C'est ainsi que la race des rois Saxons fut exclue du trône, mais les rois Danois ne le conservèrent pas long-temps, et la famille Saxone fut rétablie, en 1041, dans la personne d'Edouard le Confesseur.

Edouard fit une nouvelle promulgation des lois d'Alfred, et fut nommé, par cette raison, restitutor legum anglicanarum. Le règne de ce prince n'offre rien de remarquable, mais il prépara de grands évènemens.

A sa mort, Edgard, son neveu, Harold, seigneur puissant, et Guillaume duc de Normandie se disputèrent le trône; Harold, soutenu par un parti nombreux, se saisit du sceptre. Guillaume invoquait et les liens du sang qui l'unissaient au dernier roi, et le testament de ce prince qui le désignait pour successeur. Ses droits pouvaient être contestés, mais son épée trancha la question: vainqueur de Harold, à la bataille d'Hastings, il est sacré et couronné dans l'abbaye de Westminster, le 26 décembre 1066; ainsi finit la dynastie Saxone.

L'avènement de Guillaume amena de grands changemens dans le gouvernement, dans les mœurs et dans les institutions. Dès-lors, dit Spelman, un nouvel ordre de choses com

» mence ».

L'Angleterre était encore à cette époque régie par les lois d'Alfred; nous avons tâché d'en faire connaître l'ensemble. Il faut voir maintenant par quels changemens successifs le nouveau régime fut établi; mais il convient d'examiner d'abord une question importante, savoir: si les tenures féodales étaient connues en Angleterre avant la conquête.

Ceux qui ont soutenu l'existence de la féodalité, ont fait remarquer que les terres en franche tenure étaient soumises au service militaire, dans les expéditions du roi; à la réparation des ponts, et à l'entretien des forteresses royales; que les biens d'un thane qui s'était mal conduit à la guerre étaient confisqués; que la confiscation était même prononcée contre les thanes inférieurs, par cela seul qu'ils avaient négligé le service militaire; qu'enfin, il existait entre les propriétaires libres, par exemple entre les thanes royaux et les thanes inférieurs, des relations mutuelles et une subordination, telles que celles de seigneur à vassal.

Pour soutenir l'opinion contraire, on s'est attaché à faire remarquer que dans ces obligations et ces relations, on ne trouvait pas ce qui constituait essentiellement, le vassellage féodal; on a cité l'autorité du Domesday-Book, (1) qui qualifie souvent les tenans, soit de la couronne, soit d'autres seigneurs, de Thanes, francs-tenanciers (liberi homines), et qui porte expressément, que certains tenans pouvaient vendre leurs terres, à qui ils voulaient; qu'enfin d'autres pouvaient aller avec leurs terres où il leur plaisait, c'est-à-dire changer de patron à leur gré. D'ailleurs, on a eu soin d'établir que si quelques tenanciers ne pouvaient quitter leur seigneur, cependant leur personne n'était pas attachée à la terre; que seulement, tant qu'ils en avaient la possession, ils étaient soumis au seigneur. Une autre observation importante, c'est qu'il n'y a point de preuve, que le service militaire ait été. dû par ces tenans; et qu'enfin, avant la conquête, la cérémonie d'hommage et de fidélité, la levée des aides féodales, les droits de garde et de mariage étaient absolument inconnus. Quant à la juridiction territoriale, il est difficile de savoir de quelle manière elle était établie.

(1) Registre dans lequel étaient inscrits tous les propriétaires de terres, et où étaient mentionnées la valeur, l'étendue, et la nature des terres, ainsi que le nombre des fermiers, des paysans et des esclaves qui les cultivaient.

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M. Hallam, qui développe et apprécie les raisons pour et contre, termine ainsi : « Trois choses sont à considérer dans > toute institution politique; le principe, la forme et le nom. > Je ne crois pas que le nom de fief se trouve dans aucun acte Anglo-Saxon bien authentique (1). Quant à la forme, c'est» à-dire aux cérémonies particulières et aux droits attachés » aux fiefs réguliers, on en trouve des traces, quoiqu'en petit » nombre. Mais il est, je crois, impossible de ne pas recon» naître dans la dépendance sous laquelle des hommes li» bres, et même des tenans nobles, se trouvaient placés vis» à-vis d'autres sujets, par rapport à leurs biens, ainsi que dans les privilèges de juridiction territoriale, les princi» paux caractères de la relation féodale, quoique le système » ne fût ni aussi parfait, ni établi sur des bases aussi larges qu'après la conquête des Normands (2)

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CHAPITRE II.

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De la conquête des Normands jusqu'à la grande Charte. Guillaume ne fut pas paisible possesseur de son nouveau royaume. De fréquentes révoltes éclatèrent, sur-tout pendant son absence; mais toujours vaincus, les Anglais furent enfin obligés de se soumettre. Il est difficile de savoir si la rebellion de ses sujets fut provoquée par la pesanteur du joug qu'il leur imposa; ou si ce ne furent pas au contraire les séditions réitérées, qui l'amenèrent à gouverner d'une manière tyrannique; du moins est-il certain que beaucoup de terres furent confisquées, et formèrent des fiefs que Guillaume donna comme récompenses à ses officiers.

Le nom d'anglais fut un titre d'exclusion de tous les emplois, la langue anglaise fut même proscrite; on enseigna le

(1) On rencontre deux fois le mot feodum dans le testament d'Alfred; mais il ne paraît pas y avoir été employé dans son sens propre ; et je ne crois pas que l'original de cet acte ait été écrit en latin.

(2) L'Europe au moyen âge, tome 2, page 50.

normand dans les écoles publiques, et cet idiôme fut seul employé dans tous les actes de l'autorité, jusqu'au règne d'Edouard III.

Comme nous l'avons déjà indiqué, ce fut Guillaume, qui porta en Angleterre le régime féodal, proprement dit. La manière dont il fut établi, et l'influence que durent nécessairement avoir sur ce régime les institutions préexistantes, lui donnèrent un caractère bien différent de celui qu'il avait en France. Aussi voyons-nous qu'il a eu dans les deux pays des résultats tout opposés.

En France, la souveraineté du roi, à l'égard des grands vassaux, n'était qu'un vain titre; ceux-ci s'étaient arrogé le droit de faire la guerre entre eux; ils la firent souvent au roi luimême ; d'ailleurs le monarque n'avait aucune autorité féodale sur ses arrière-vassaux.

En Angleterre, au contraire, Guillaume en donnant des fiefs à ses généraux, s'attribua toujours sur eux une puissance réelle, et les soumit à des charges qu'il imposa comme conditions de ses libéralités en outre il conserva une partie de l'autorité sur ses arrière-vassaux, et reçut en 1085, le serment de fidélité de tous les possesseurs de terres, tant arrièrevassaux que vassaux immédiats. Enfin, la cour souveraine du roi (Aula Regis), les tribunaux des comtés et des hundred restreignaient beaucoup la juridiction des cours seigneuriales. Rien de semblable n'existait en France.

Il faut remarquer en outre, que les fiefs d'Angleterre étaient bien moins considérables que ceux de France, et que par conséquent, les seigneurs avaient moins de moyens pour se soustraire à l'autorité royale; enfin (ainsi que l'a remarqué Delolme), « les différens ordres du gouvernement féodal anglais ⚫ étaient liés les uns aux autres par des tenures exactement semblables; ce qui était vrai vis-à-vis du seigneur Suze. rain en faveur d'un seigneur dominant, était vrai vis-à-vis de celui-ci en faveur du seigneur d'un fief servant »; en

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