Page images
PDF
EPUB

sorte que les seigneurs étaient, aussi bien que le peuple, soumis aux rigueurs du régime féodal (1).

De là, il est arrivé qu'en France, le roi et le peuple ont eu également intérêt de renverser le régime féodal; le roi, pour diminuer l'autorité des seigneurs rivale de la sienne; et le peuple, pour se soustraire à un joug odieux : mais les communes, lorsqu'elles ont été affranchies, se sont trouvées en présence du pouvoir royal accru par la même cause à laquelle elles devaient leur émancipation. Dans cette position, la nation s'est crue assez libre, par cela seul qu'elle n'était plus dans le servage féodal; ou peut-être a-t-elle été trop faible pour obtenir de ses rois une liberté plus étendue.

Les barons anglais, par une combinaison tout opposée, se trouvaient placés sous le même joug que le reste de la nation : la communauté d'intérêts produisit la réunion des forces contre l'autorité royale. De là, ces concessions successives faites les rois aux barons et aux communes, et qui forment les libertés de l'Angleterre.

par

La grande Charte, si célèbre dans les fastes de la nation anglaise, fut le premier résultat important que produisit cette ligue entre la noblesse et les communes contre le pouvoir du monarque; avant de parler de cet acte, il convient de jeter un coup-d'œil sur les temps qui l'ont précédé.

Après la mort de Guillaume-le-conquérant, les guerres civiles éclatèrent; le trône fut souvent réclamé par plusieurs prétendans qui soutenaient leurs droits les armes à la main, et qui, pour se concilier la faveur des barons et du peuple, faisaient des concessions, dont ils ne gardaient plus le souvenir lorsqu'ils

(1) Ils étaient même assujettis aux lois de forêt: par ces lois, Guillaumele-conquérant s'était réservé le droit exclusif de la chasse, et avait établi les châtimens les plus terribles contre ceux qui chassaient sans sa permission: on crevait les yeux à quiconque tuait un cerf, un sanglier, ou même un lièvre, et cela, dans un temps où le meurtre d'un homme n'était puni que d'une amende.

étaient parvenus à la suprême puissance. Ainsi, Henri I." accorda, en 1100, une Charte par laquelle il promit, qu'à la mort des évêques ou des abbés, il ne s'emparerait jamais du revenu des siéges et des abbayes pendant la vacance; qu'à la mort des comtes, barons ou tenanciers militaires, leurs héritiers seraient mis en possession de leurs biens, en payant à la couronne une redevance modérée (il eut soin de n'en pas déterminer la quotité). Enfin, il se dépouilla de la garde noble ou tutelle des mineurs. Il déclara que si un baron voulait marier sa fille ou sa parente, il suffisait qu'il consultât le roi, dont le consentement ne serait jamais vendu, ni refusé, à moins que l'époux proposé ne fût son ennemi. Il permit aux barons de disposer de leurs biens meubles et immeubles par testament; il renonça à imposer des taxes arbitraires sur les fermes que les barons retenaient dans leurs propres mains: enfin, il promit de confirmer les lois d'Edouard le Confesseur (1). Un exemplaire de cette Charte fut déposé, suivant quelques historiens, dans une abbaye de chaque province; mais Henri n'observa aucune de ses dispositions. Son successeur, Etienne, fit les mêmes concessions, et promit d'une manière encore plus expresse, le rétablissement des lois d'Edouard.

Henri II (Plantagenet ), confirma les actes de ses prédéces seurs, mais sans parler des lois d'Edouard. Soutenu des barons, il réprima les prétentions des ecclésiastiques par des lois faites dans une assemblée générale de la noblesse et des

(1) Le maintien de ces lois, dit Blackstone, fut toujours l'objet des vœux da peuple, sous les premiers princes de la race normande; et la promesse de les conserver ou de les rétablir, fut toujours regardée comme l'acte le plus populaire et le plus agréable à la nation. Il faut convenir cependant que ces lois si vivement réclamées n'étaient pas bien connues; mais on savait seulement que sous le règne des rois Anglo-Saxons, on n'avait à supporter ni les rigueurs du régime féodal, ni le poids des impôts, ni les abus qui s'étaient introduits depuis la conquête.

prélats, tenue à Clarendon, en 1164. Ces lois sont commu nément appelées Constitutions de Clarendon.

Sous son règne on vit se reproduire l'ancienne épreuve des Jurés (1), et voici à quelle occasion : le roi voulant abolir, autant qu'il était possible, la coutume barbare de décider les contestations par le duel, et n'osant pas cependant proscrire ouvertement cet ancien usage, permit à chacune des parties de demander à être jugée par une assise de douze francs-tenanciers. Long-temps encore on vit les plaideurs préférer le com. bat judiciaire, à l'institution si belle et si sage du Jury; mais peu à peu, la raison triompha et l'épée cessa d'être l'arbitre du droit.

Une autre ordonnance du même prince partagea l'Angleterre en quatre divisions, et institua des juges ambulans destinés à tenir leurs assises dans chaque partie successivement, pour décider les constestations des particuliers.

Nous devons rappeler ici ce que nous avons dit plus haut de Wittenagemot, et faire remarquer que sous les princes normands, les mêmes attributions furent exercées le par grand Conseil; qui était composé des archevêques, évêques et abbés, des barons, de quelques autres tenanciers immédiats et militaires de la couronne, inférieurs en puissance et en propriété.

CHAPITRE III.

Depuis la grande Charte jusqu'à l'admission des communes au Parlement.

Nous avons déjà indiqué les causes qui devaient produire la liberté en Angleterre : le règne du roi Jean vint en accélérer l'effet. Quelles circonstances peuvent être plus favorables à l'émancipation d'un peuple, qu'un gouvernement faible et tyrannique? tel fut celui du roi Jean. Les barons se liguèrent et

(1) Trial by Jury.

réclamèrent à haute voix la confirmation des chartes de Henri I et de Henri II. Le monarque éluda, puis résista ouvertement, il fut vaincu et concéda cette fameuse grande charte, le fondement de la constitution anglaise.

Parmi les actes antérieurs et les institutions plus anciennes, nous avons signalé ceux qui ont été regardés en général comme les germes des libertés de l'Angleterre ; la grande charte en offre les développemens; elle n'établit pas, il est vrai, le gouvernement parlementaire, tel qu'il existe de nos jours, mais elle consacre tous les principes de la véritable liberté.

Les barons qui avaient pris les armes étaient spécialement excités par les rigueurs du régime féodal: la grande charte les diminua; mais, ainsi qu'on l'a déjà dit, le peuple était uni aux barons pour combattre l'autorité royale: Il dut aussi avoir sa part dans les concessions du monarque. La grande charte considérée sous ce point de vue présente deux sortes de dispositions différentes; les unes favorables à la noblesse, en ce qu'elles diminuaient la puissance féodale du roi; les autres favorables au reste de la nation, en ce que tous les priviléges accordés aux barons contre le roi, s'étendaient des barons à leurs vassaux. D'autres droits plus précieux encore furent solennellement reconnus : la liberté civile et la propriété furent garanties; les anciennes immunités et franchises des villes et des bourgs furent conservées : les commerçans eurent toute liberté de voyager dans le royaume et dans les pays étrangers pour leur négoce : le consentement du grand conseil fut déclaré nécessaire pour la levée des subsides. Enfin il fut établi que la cour du roi serait permanente et ne suivrait plus sa personne; qu'elle ne pourrait différer ni refuser la justice; et que les tournées judiciaires auraient lieu régulièrement et à des époques déterminées.

En lisant la grande charte, on y verra que les adoucissemens au régime féodal qu'elle consacre sont à-peu-près ceux qu'établissait la charte de Henri Ier. Sans doute aussi l'on remarquera l'article 48, fondement de la liberté civile, et tous

TOME 1.

21

ceux qui donnent aux propriétaires des garanties contre les spoliations entières, ou les amendes excessives.

La concession du roi avait été contrainte et à la première occasion il s'empressa de la révoquer; mais les barons défendirent leurs droits avec l'ardeur qu'ils avaient mise à les conquérir, et la grande charte fut maintenue au milieu des troubles dont l'Angleterre devint le théâtre.

Henri III monta sur le trône après la mort du roi Jean, son père. Dans les premières années de son règne, il confirma la grande charte, y ajouta quelques dispositions, et y fit quelques changemens; notamment il supprima un des articles les plus importans, celui qui portait que le roi ne ferait aucune levée d'imposition, soit pour le droit de scutage, soit pour tout autre, sans le consentement du conseil commun du royaume. Certainement, cette omission n'était pas involontaire, et il est facile d'en deviner le motif; mais les circonstances ne permirent ni au roi, ni à ses ministres d'exécuter les projets qu'ils avaient formés; et toutes les fois qu'on eut besoin de lever des subsides, on demanda le consentement du grand conseil, qui quelquefois le refusa, ou du moins ne l'accorda que sous condition.

Henri publia dans le même temps la charte des forêts, qui, sans doute, n'est pas d'un grand intérêt par rapport à l'état actuel des choses; mais qui était de la plus haute importance à une époque où le roi comprenait dans les forêts une portion très-considérable du royaume, qu'il gouvernait par des lois arbitraires et particulières, et où les infractions aux lois forestières étaient pour la plupart punies de la peine capitale.

Ces premiers actes devaient donner d'heureuses espérances; elles ne furent point réalisées. Les prodigalités du roi et l'administration de ses favoris indisposèrent la noblesse et la nation. Le roi viola ouvertement la grande charte qu'il avait cependant, comme on l'a vu, confirmée avec la plus grande solennité; et dès-lors la haine contre lui fut excessive. Au mo

« PreviousContinue »