» M. Hallam, qui développe et apprécie les raisons pour et contre, termine ainsi : « Trois choses sont à considérer dans >> toute institution politique; le principe, la forme et le nom. > Je ne crois pas que le nom de fief se trouve dans aucun acte Anglo-Saxon bien authentique (1). Quant à la forme, c'est» à-dire aux cérémonies particulières et aux droits attachés » aux fiefs réguliers, on en trouve des traces, quoiqu'en petit » nombre. Mais il est, je crois, impossible de ne pas recon» naître dans la dépendance sous laquelle des hommes libres, et même des tenans nobles, se trouvaient placés vis» à-vis d'autres sujets, par rapport à leurs biens, ainsi que » dans les privilèges de juridiction territoriale, les princi D » paux caractères de la relation féodale, quoique le système » ne fût ni aussi parfait, ni établi sur des bases aussi larges qu'après la conquête des Normands (2) ». " CHAPITRE II. De la conquête des Normands jusqu'à la grande Charte. Guillaume ne fut pas paisible possesseur de son nouveau royaume. De fréquentes révoltes éclatèrent, sur-tout pendant son absence; mais toujours vaincus, les Anglais furent enfin obligés de se soumettre. Il est difficile de savoir si la rebellion de ses sujets fut provoquée par la pesanteur du joug qu'il leur imposa; ou si ce ne furent pas au contraire les séditions réitérées, qui l'amenèrent à gouverner d'une manière tyrannique; du moins est-il certain que beaucoup de terres furent confisquées, et formèrent des fiefs que Guillaume donna comme récompenses à ses officiers. Le nom d'anglais fut un titre d'exclusion de tous les emplois, la langue anglaise fut même proscrite; on enseigna le (1) On rencontre deux fois le mot feodum dans le testament d'Alfred; mais il ne paraît pas y avoir été employé dans son sens propre ; et je ne crois pas que l'original de cet acte ait été écrit en latin. (2) L'Europe au moyen âge, tome 2, page 50. normand dans les écoles publiques, et cet idiôme fut seul employé dans tous les actes de l'autorité, jusqu'au règne d'Edouard III. Comme nous l'avons déjà indiqué, ce fut Guillaume, qui porta en Angleterre le régime féodal, proprement dit. La manière dont il fut établi, et l'influence que durent nécessairement avoir sur ce régime les institutions préexistantes, lui donnèrent un caractère bien différent de celui qu'il avait en France. Aussi voyons-nous qu'il a eu dans les deux pays des résultats tout opposés. En France, la souveraineté du roi, à l'égard des grands vassaux, n'était qu'un vain titre; ceux-ci s'étaient arrogé le droit de faire la guerre entre eux; ils la firent souvent au roi luimême ; d'ailleurs le monarque n'avait aucune autorité féodale sur ses arrière-vassaux. En Angleterre, au contraire, Guillaume en donnant des fiefs à ses généraux, s'attribua toujours sur eux une puissance réelle, et les soumit à des charges qu'il imposa comme conditions de ses libéralités : en outre il conserva une partie de l'autorité sur ses arrière-vassaux, et reçut en 1085, le serment de fidélité de tous les possesseurs de terres, tant arrièrevassaux que vassaux immédiats. Enfin, la cour souveraine du roi (Aula Regis), les tribunaux des comtés et des hundred restreignaient beaucoup la juridiction des cours seigneuriales. Rien de semblable n'existait en France. Il faut remarquer en outre, que les fiefs d'Angleterre étaient bien moins considérables que ceux de France, et que par conséquent, les seigneurs avaient moins de moyens pour se soustraire à l'autorité royale; enfin (ainsi que l'a remarqué Delolme), « les différens ordres du gouvernement féodal anglais étaient liés les uns aux autres par des tenures exactement semblables; ce qui était vrai vis-à-vis du seigneur Suzerain en faveur d'un seigneur dominant, était vrai vis-à-vis de celui-ci en faveur du seigneur d'un fief servant »; en sorte que les seigneurs étaient, aussi bien que le peuple, soumis aux rigueurs du régime féodal (1). De là, il est arrivé qu'en France, le roi et le peuple ont eu également intérêt de renverser le régime féodal; le roi, pour diminuer l'autorité des seigneurs rivale de la sienne; et le peuple, pour se soustraire à un joug odieux: mais les communes, lorsqu'elles ont été affranchies, se sont trouvées en présence du pouvoir royal accru par la même cause à laquelle elles devaient leur émancipation. Dans cette position, la nation s'est crue assez libre, par cela seul qu'elle n'était plus dans le servage féodal; ou peut-être a-t-elle été trop faible pour obtenir de ses rois une liberté plus étendue. Les barons anglais, par une combinaison tout opposée, se trouvaient placés sous le même joug que le reste de la nation : la communauté d'intérêts produisit la réunion des forces contre l'autorité royale. De là, ces concessions successives faites par les rois aux barons et aux communes, et qui forment les libertés de l'Angleterre. La grande Charte, si célèbre dans les fastes de la nation anglaise, fut le premier résultat important que produisit cette ligue entre la noblesse et les communes contre le pouvoir du monarque; avant de parler de cet acte, il convient de jeter un coup-d'œil sur les temps qui l'ont précédé. Après la mort de Guillaume-le-conquérant, les guerres civiles éclatèrent; le trône fut souvent réclamé par plusieurs prétendans qui soutenaient leurs droits les armes à la main, et qui, pour se concilier la faveur des barons et du peuple, faisaient des concessions, dont ils ne gardaient plus le souvenir lorsqu'ils (1) Ils étaient même assujettis aux lois de forêt : par ces lois, Guillaumele-conquérant s'était réservé le droit exclusif de la chasse, et avait établi les châtimens les plus terribles contre ceux qui chassaient sans sa permission: on crevait les yeux à quiconque tuait un cerf, un sanglier, ou même un lièvre, et cela, dans un temps où le meurtre d'un homme n'était puni que d'une amende. étaient parvenus à la suprême puissance. Ainsi, Henri I."r accorda, en 1100, une Charte par laquelle il promit, qu'à la mort des évêques ou des abbés, il ne s'emparerait jamais du revenu des siéges et des abbayes pendant la vacance; qu'à la mort des comtes, barons ou tenanciers militaires, leurs héritiers seraient mis en possession de leurs biens, en payant à la couronne une redevance modérée ( il eut soin de n'en pas déterminer la quotité). Enfin, il se dépouilla de la garde noble ou tutelle des mineurs. Il déclara que si un baron voulait marier sa fille ou sa parente, il suffisait qu'il consultât le roi, dont le consentement ne serait jamais vendu, ni refusé, à moins que l'époux proposé ne fût son ennemi. Il permit aux barons de disposer de leurs biens meubles et immeubles par testament; il renonça à imposer des taxes arbitraires sur les fermes que les barons retenaient dans leurs propres mains: enfin, il promit de confirmer les lois d'Edouard le Confesseur (1). Un exemplaire de cette Charte fut déposé, suivant quelques historiens, dans une abbaye de chaque province; mais Henri n'observa aucune de ses dispositions. Son successeur, Etienne, fit les mêmes concessions, et promit d'une manière encore plus expresse, le rétablissement des lois d'Edouard. Henri II (Plantagenet ), confirma les actes de ses prédéces seurs, mais sans parler des lois d'Edouard. Soutenu des barons, il réprima les prétentions des ecclésiastiques par des lois faites dans une assemblée générale de la noblesse et des (1) Le maintien de ces lois, dit Blackstone, fut toujours l'objet des vœux da penple, sous les premiers princes de la race normande; et la promesse de les conserver ou de les rétablir, fut toujours regardée comme l'acte le plus populaire et le plus agréable à la nation. Il faut convenir cependant que ces lois si vivement réclamées n'étaient pas bien connues; mais on savait seulement que sous le règne des rois Anglo-Saxons, on n'avait à supporter ni les rigueurs du régime féodal, ni le poids des impôts, ni les abus qui s'étaient introduits depuis la conquête. prélats, tenue à Clarendon, en 1164. Ces lois sont commu nément appelées Constitutions de Clarendon. Sous son règne on vit se reproduire l'ancienne épreuve des Jurés (1), et voici à quelle occasion : le roi voulant abolir, autant qu'il était possible, la coutume barbare de décider les contestations par le duel, et n'osant pas cependant proscrire ouvertement cet ancien usage, permit à chacune des parties de demander à être jugée par une assise de douze francs-tenanciers. Long-temps encore on vit les plaideurs préférer le com bat judiciaire, à l'institution si belle et si sage du Jury; mais peu à peu, la raison triompha et l'épée cessa d'être l'arbitre du droit. - Une autre ordonnance du même prince partagea l'Angleterre en quatre divisions, et institua des juges ambulans destinés à tenir leurs assises dans chaque partie successivement, pour décider les constestations des particuliers. Nous devons rappeler ici ce que nous avons dit plus haut. de Wittenagemot, et faire remarquer que sous les princes normands, les mêmes attributions furent exercées par le grand Conseil; qui était composé des archevêques', évêques et abbés, des barons, de quelques autres tenanciers immédiats et militaires de la couronne, inférieurs en puissance et en propriété. CHAPITRE III. Depuis la grande Charte jusqu'à l'admission des communes au Parlement. Nous avons déjà indiqué les causes qui devaient produire la liberté en Angleterre : le règne du roi Jean vint en accélérer l'effet. Quelles circonstances peuvent être plus favorables à l'émancipation d'un peuple, qu'un gouvernement faible et tyrannique? tel fut celui du roi Jean. Les barons se liguèrent et (1) Trial by Jury. |