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la violation de ces devoirs fut punie, à l'égard du vassal, par la perte de son fief; à l'égard du seigneur, par la privation de sa suzeraineté.

Mais bornons-nous à quelques remarques, qui concernent plus particulièrement l'état politique de la France, à cette époque.

Le roi, comme suzerain des grands vassaux, avait simplement le droit de les appeler à la défense commune du territoire, encore ce droit lui fut-il contesté.

Comme possesseur d'un fief, il n'avait autorité que sur les vassaux qui en relevaient. Chose bisarre! il pouvait même, pour un arrière-fief qui lui était échu, devenir le vassal, de l'un de ceux dont il était, comme roi, le suzerain.

C'était un principe, que le seigneur n'avait droit que sur le vassal, mais point sur les arrière-vassaux; c'est-à-dire sur tous ceux qui relevaient de ce vassal. Ce principe avait fait du roi le prince de quelques hommes seulement, et il avait classé tous ses sujets sous la domination réelle de ceux-ci.

Les grands feudataires et les barons armaient leurs vassaux, et marchaient, bannière déployée, pour exercer des actes de vengeance ou de justice, pour conquérir ou pour piller. Ils battaient monnaie; tenaient des cours supérieures où ils décidaient des points féodaux; et des assises, où ils prononçaient selon la jurisprudence qui nous a légué le duel : LE JUGEMENT de Dieu !

S XX.

De l'Eglise.

Les évêques marchèrent de pair avec les leudes sous la première race; ils précédaient les grands au commencement de la deuxième. Quand le gouvernement féodal fut établi, iis descendirent au second rang de gré ou de force; ils furent obligés de reconnaître un Suzerain. Soumis dès lors à tous les devoirs de la vassalité, ils remplirent également le service de plaids et d'armes, ils envoyèrent ou menèrent eux-mêmes leurs

tenanciers sous les bannières du seigneur; ils vinrent siéger dans sa cour souveraine de justice.

On peut croire que ces personnages, les seuls à-peu-près qui eussent alors des lumières et des vertus, furent placés, en général, par les rois, de même que par les grands feudataires, de leurs barons, c'est-à-dire, de leurs vassaux immédiats. Cette remarque est importante, comme le feront voir les pages suivantes. Elle explique la naissance des pairies ecclésiastiques.

au rang

Le haut clergé se trouva graduellement dans un état d'avilissement toujours voisin dù désordre. D'absurdes superstitions s'associèrent alors au dogme; la discipline se relâcha; les canons furent oubliés; l'épée arma la main qui devait bénir. Quelques-uns cherchèrent dans les cloitres un abri contre la tyrannie des gens de guerre. Ici, les travaux des uns défrichèrent et fécondèrent le sol; là, les veilles des autres découvrirent. et préparèrent ces trésors des lettres anciennes qui devaient ramener la civilisation parmi nous.

N'oublions pas de rappeler que ce fut à cette époque où l'administration de la justice existait encore à peine, où les rois cherchaient à opposer leurs baillis aux officiers de fief chargés d'annoncer les lois du maître, que l'Eglise établit et étendit ces jurisdictions ressortissant du premier des évêques, et qui, par le plus monstrueux abus, firent du pape une espèce de juge souverain dans le royaume.

S XXI.

Des Communes.

On peut se faire cette image de la situation de la France, à l'époque où nous sommes parvenus: le roi ne règne que dans son fief; le territoire est coupé entre une foule de despotes orgueilleux et avides; le clergé est avili; le peuple dans "abrutissement; les champs sont sans cesse ravagés par les troupes armées des bannerets qui guerroyent; nulle industrie, sul commerce; on ne sait plus que se battre, brûler les héré

TOME 1.

tiques, et jeûner; presque tout ce qui n'est pas noble est serf; tout ce qui est serf courbe le front sous le joug le plus dur et le plus ignominieux; lois, administration, police, tout est dans les caprices du maître. C'est le glaive qui règne!

Tels sont les siècles de la féodalité. Ceux qui n'y voient que la chevalerie, en considèrent le côté poétique, et ne sont pas frappés de l'idée qu'il s'agit du temps où la plus grande partie de la population fut le plus malheureuse. Soyons justes! toutefois cette institution de la chevalerie fut utile à l'humanité: elle affaiblit le brigandage, et y mêla quelques idées d'honneur qui devaient en amener la fin.

Le mal est arrivé à son dernier période. Il faut qu'il décroisse.

Comme il n'y avait aucune idée d'ordre et de gouvernement, le pillage seul pouvait fournir aux entreprises, ou simplement à l'existence des seigneurs. Les droits légaux ne furent donc bientôt plus suffisans; ils organisèrent encore, à la tête de leurs hommes d'armes, un système de contributions arbitraires qui mit le comble à la détresse des campagnes, mais d'où l'on vit bientôt après naître leur délivrance.

Le domaine des rois était en proie au même abus de la force. Ne se voyant pas assez forts pour l'extirper par eux-mêmes, ils eurent l'idée d'appeler le peuple à sa propre défense; ils le firent donc aussi contribuer; mais ici ce fut définitivement et pour terminer ses malheurs; ils lui vendirent le droit que la nature et la société lui donnaient, celui de se réunir pour repousser d'injustes aggressions et pour établir quelques règles de police. C'est ce qu'on appelle le droit de commune ou de communauté.

Le nom de Louis le Gros est à jamais fameux dans nos annales, parce que c'est au règne de ce roi que se rapportent les premières chartes d'affranchissement et de création des communes. Ce prince voulut-il faire le bien ou seulement retirer de l'or de ses sujets, c'est ce qu'il est difficile de savoir; mais, dans le dernier cas'même, « il faudrait encor le louer,

a

dit l'abbé Mably, de ne l'avoir pas pris sans rien accor› der (1) ».

Ces chartes sont les monumens les plus intéressans de notre histoire. Elles sont les premières conquêtes de l'esprit de la civilisation sur la barbarie. Elles font connaître les âges désastreux où elles naquirent; là est le berceau de notre industrie, de nos arts et de nos libertés.

Les communes se multiplièrent rapidement, parce que les seigneurs, n'y voyant qu'un autre moyen d'obtenir de l'argent, vendirent aussi des chartes.

Les communes formèrent les villes.

Les communes purent se choisir des magistrats, créer des compagnies de milice, garder leurs fortifications, et repousser la force par la force. Les rois furent quelquefois, d'abord garans des conventions entre le seigneur et les affranchis, puis médiateurs dans leurs différens, puis enfin souverains uniques des uns et des autres.

Ainsi fut puissamment neutralisée l'action du gouvernement féodal.

S XXII.

Philippe-Auguste. (13° siècle.)

Le pélerin qui entraînait tout l'Occident vers le tombeau. de Jésus-Christ, changeait la face de l'Europe, et portait aux institutions féodales un nouveau coup.

Les croisades ruinèrent plusieurs grands vassaux, et rele-' vèrent les rois, chefs naturels de ces entreprises. Elles opérèrent une espèce de renouvellement parmi les barons de la chré-" tienneté. On n'a pas remarqué en outre quelle influence dut avoir sur les mœurs et les idées le séjour de l'Orient, et combien le spectacle du despotisme des califes et de la soumission aveugle de leurs sujets, put contribuer à fonder l'autorité royale des princes chrétiens.

Observations sur l'Histoire de France, tom. 11.

4.

Philippe-Auguste est en quelque sorte le premier roi de France de la troisième race.

Voici l'événement qui établit sa puissance. Le roi d'Angleterre était alors vassal du monarque français, parce qu'il possédait plusieurs fiefs dans le royaume. C'était ce Jean-SansTerre, dont la grande charte et les crimes ont éternisé le nom, qui régnait alors dans l'île Britannique. Meurtrier de son neveu Arthur, duc de Bretagne, il fut cité devant le tribunal des grands vassaux de la couronne de France; il refusa de comparaître; le tribunal porta un arrêt de confiscation de tous ses domaines; les grands vassaux aidèrent eux-mêmes Philippe à exécuter cet arrêt fameux; et Philippe, en acquérant la Normandie, l'Anjou, le Maine, la Touraine, le Poitou, le Vermandois, l'Auvergne et l'Artois, cessa d'être l'égal des possesseurs de grands fiefs, put solder une armée, et humilier leur orgueil au moyen de cette grande innovation.

Ici, nous devons nous occuper de l'un des points les plus intéressans de notre ancien Droit public.

S XXIII.

Des Pairs.

C'était une maxime ancienne, comme la monarchie, que chacun devait être jugé par ses pairs. On en trouve la source dans cette autre maxime des peuples germaniques, que chacun devait être jugé d'après sa loi. La première paraît une conséquence naturelle de la seconde.

Quelques traces de ce principe se conservèrent même dans ces temps où il n'y avait guères d'autres règles de justice que les volontés, et cela fut nécessité par l'état des choses même. En effet, le seigneur qui se trouvait juge, parce qu'il possédait quelques tours enceintes d'un fossé, dut être obligé d'appeler au secours de son ignorance ceux qui pouvaient connaître des cas divers sur lesquels il avait à prononcer. Ainsi, dans ses plaids, durent siéger ses vassaux nobles, quand il fut question de matières féodales, des évêques ou des abbés quand il s'agit

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