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d'affaires ecclésiastiques, et plus tard enfin, des membres des communes pour décider sur des points civils. De là, naquirent le jury en Angleterre, et le parlement en France.

Ce fut donc un principe, souvent violé à la vérité, mais fondamental néanmoins, que tout homme avait droit à avoirun tribunal composé de ses pairs, ou du moins suffisamment garni de ses pairs: ce sont les expressions des anciens traités.

Ce mot de pairs doit être également considéré sous un autre rapport.

Il paraît qu'on appelait fort anciennement pairs d'une seigneurie, les vassaux qui en relevaient nuement et immédiatement, qui avaient le même rang, et étaient astreints aux mêmes devoirs. Ils étaient pairs ou égaux, non pas de leur seigneur, mais entre eux.

Les grands vassaux, sous les premiers descendans de HuguesCapet, furent les pairs de la première de toutes les seigneuries: la couronne. C'était le titre qu'ils devaient également porter, puisqu'ils avaient également prêté foi et hommage au monarque. Mais ce monarque possédait aussi un fief: la force des choses on la politique des rois, amena un changement d'une haute importance; il arriva que les vassaux immédiats du fief royal, se trouvèrent placés au rang des vassaux immédiats de la couronne, parce qu'il n'y avait non plus aucun intermédiaire entre eux et le roi. Ainsi, ils firent également partie de la cour des plaids du monarque. Les grands vassaux furent quelquefois à la vérité irrités de se voir assimilés aux simples barons du fief royal, et plusieurs refusèrent souvent de siéger à leurs côtés. Mais la volonté des rois triompha de leur résistance; et, sous Saint-Louis, il était regardé comme constant que c'était le fait même de la vassalité immédiate de la couronne qui constituait la pairie. On lit ces mots dans une lettre écrite par ee monarque au chapitre de Beauvais: Quòd episcopus Bellovacensis in baronia, et in feodum hommagüi ligii de nobis teneat apud Bellovacenses, et QUOD PAR SIT EX EO FRANCIE (1).

Marlot, Hist. métrop. Rem., tom. п, pag. 517.

On doit comprendre maintenant, d'après tout ce qui précède, que les grands vassaux formaient seuls, avec le roi, la cour des pairs de la couronne, c'est-à-dire, la seule qui pût connaître de leurs personnes et de leurs différens; que les baron's composaient naturellement la cour des plaids royaux, qui ne devait s'occuper que des vassaux du fief royal, et dont le ressort ne s'étendait pas au-delà; mais que, par une dégradation de la dignité des premiers, les deux cours n'en formèrent qu'une seule, saisie de leurs attributions respectives, et appelée tour-à-tour cour des pairs, du roi ou de France. Toutefois, remarquons bien qu'il y eut une distinction entre les membres égaux de ce tribunal. Les premiers, les véritables pairs, en furent bien justiciables, mais tout autant que les titulaires des grandes vassalités y eussent été appelés, ou, en d'autres termes, que la cour fût suffisamment garnie de pairs (1). Maintenant il s'offre deux questions intéressantes : quand la pairie devint-elle un établissement fixe? Quand le nombre des pairs fut-il réduit à douze ?

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<< Comment n'a-t-on pas senti, dit à ce sujet un écrivain (2), » que, dans une nation qui n'avait ni lois, ni puissance législative, et où l'inconstance des esprits et l'incertitude préparaient et produisaient sans cesse de nouvelles révolutions, l'établissement des douze pairs doit ressembler aux autres >> établissemens de ce temps-là, qui se formaient par le hasard, d'une manière lente et presqu'insensible, et se trouvaient >> enfin tout établis à une certaine occasion, sans qu'il fût possible de fixer l'époque précise de leur naissance. >>

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Ne nous perdons donc pas en de vaines recherches pour fixer une date qui n'existe peut-être pas d'une manière précise. C'est en effet un point fort vague, parce que, comine on l'a vu plus haut, on peut en quelque sorte considérer deux personnages dans le pair: le grand vassal de la couronne, et le

(1) Du Tillet, Des Pairs, pag. 373.

(2) Mably, Observ. sur l'Hist. de Fr., tom. II.

membre de la cour du roi. Or, c'est une distinction que les chroniques n'ont point faite.

Le président Hénault dit qu'il y eut six pairies laïcs, parce qu'il y avait six grands fiefs immédiats de la couronne. Rien de plus vraisemblable.

Ces pairies furent les duchés de Normandie, de Bourgogne et de Guyenne, les comtés de Flandres, de Toulouse et de Champagne.

J'explique ainsi l'origine des pairies ecclésiastiques: nous avons vu quel était le rang du clergé, sous les deux premières races. Il siégeait alors dans les assemblées avant la noblesse. Rien d'important ne se faisait sans le concours de ses principaux membres. Cette splendeur était bien déchue, sous la troisième race; mais le souvenir néanmoins s'en était encore conservé, et il en restait quelques traces. Le clergé était encore appelé dans les plaids des seigneurs.

On comprend que les ecclésiastiques devaient plus volontiers encore être admis dans la cour du roi, dont la politique était nécessairement de rétablir l'Eglise dans son état ancien, pour pouvoir l'opposer avec fruit à la noblesse. Là encore, ils siégeaient donc à côté des barons.

Quand les rois furent obligés de consacrer l'établissement des six grandes pairies laïques, ils cherchèrent probablement à affaiblir cette nouvelle puissance, en lui associant six autres pairies, dont le titre vint de leur couronne. C'était parmi les vassaux du fief royal, composant la cour du roi, qu'elles devaient être naturellement choisies; mais il y avait, entre les barons et les grands feudataires, une trop grande distance. pour qu'on put choisir les premiers, et les associeraux seconds. Les évêques, membres de cette même cour, n'étaient, à la vérité, qu'au même rang, comme vassaux immédiats du fief royal; mais l'usage ancien les plaçait dans une autre classe. Ils pouvaient marcher à côté de ceux qu'ils eussent jadis pɔérédés, voilà pourquoi il y eut six pairs ecclésiastiques

qui furent les évêques de Reims, de Beauvais, de Langres, de Noyon, de Châlons et de Laon.

S XXIV.
Saint-Louis.

Ce monarque, saint devant Dieu, et si grand devant les hommes, contribua puissamment à abattre l'édifice féodal; il fit, par les institutions, ce que Philippe-Auguste avait fait par les armes.

Il abolit l'usage du combat judiciaire dans ses domaines, Au lieu de l'appel par combat, il établit que le plaideur qui se croirait mal jugé, aurait recours à une juridiction supérieure. Les seigneurs adoptèrent successivement cet usage: la coutume d'appeler du vassal au suzerain s'établit alors. Or, comme le roi était le suzerain des suzerains, les appels arrivèrent, par gradation, jusqu'à sa cour. Ce fut ainsi que la haute administration de la justice fut rendue à la couronne.

Pour faciliter ces appels, on établit, dans la suite, de grands tribunaux, appelés baillages : les baillis eurent un ressort imposant par son étendue; ils furent en même temps commandans des milices, afin de pouvoir soutenir leurs arrêts. Ils établirent les cas royaux, c'est-à-dire, les espèces dont les juges seigneuriaux ne pouvaient connaître. Ces cas royaux restèrent toujours un peu vagues; et ce fut ce qui facilita le plus l'empiètement du juge royal sur la juridiction seigneuriale.

des

De cette qualité de juge souverain que le roi avait reconquise, à celle de législateur il n'y avait qu'un pas. SaintLouis amena les Français à reconnaître ce titre en lui, en agissant avec beaucoup de mesure, en ne réglant, par lois générales, que ce dont la France entière se plaignait. Ses successeurs purent marcher avec plus de hardiesse. Philippe-le-Bel, en montant sur le trône, eut, sans contestation, le droit de faire des lois pour tout le royaume. L'exercice de cette prérogative dut être borné, dans les premiers temps;

mais il devait nécessairement, dans la suite, consommer la ruine du gouvernement féodal.

S XXV.

Philippe-le-Bel (14a siècle).

C'est un des règnes les plus remarquables de notre monarchie. C'est l'époque où l'on voit les élémens épars et confus du gouvernement de France, se réunir, se coordonner jusqu'à un certain point, pour former une constitution dont les principes seront souvent, dans la suite, négligés par l'incurie du peuple, méconnus par l'ineptie des ministres, faussés par le despostime de la cour.

Philippe était né avec un esprit profond, un caractère ferme, un cœur ambitieux. Il voulut, comme ses prédécesseurs, abattre les grands vassaux; mais comme, son plan était de dominer également sur tous ses sujets, sa politique fut moins généreuse.

Ce qui soutenait encore les seigneurs, c'était le droit de battre monnaie. Les altérations fréquentes qu'ils faisaient subir aux espèces leur procuraient de grandes richesses; et, comme c'était un fléau pour le peuple, ils lui vendaient quelquefois la renonciation à cette funeste prérogative. Les sommes annuelles payées pour prévenir les opérations de ce genre, étaient appelées monnéages.

Philippe, après avoir, au commencement de són règne, changé souvent ses monnaies et altéré leur valeur d'une façon ruineuse pour la nation, répara le mal, en faisant faire une nouvelle fabrication, et en déclarant que tous ceux qui rapporteraient d'anciennes espèces recevraient des dédommagemens. Il alla plus loin sûr d'être soutenu par la reconnaissance publique, il ordonna d'abord qu'à l'avenir un de ses officiers veillerait à la fabrication de chaque monnaie seigneuriale; puis ensuite il suspendit, sous divers prétextes, toute fabrication d'autres espèces que celles de la couronne; puis il donna cours à celles-ci dans toute l'étendue du royaume, et

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