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que nous ne sommes pas façonnés à respecter.

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Il est si vrai que ces pratiques sont l'effet du calcul et de l'autorité des jongleurs, que moins une horde leur est asservie, moins on'y rencontre ces rites barbares, et qu'alors ce sont les devins qui les réclament comme une condition indispensable pour la révélation des choses futures (1). Nous remarquerons, de plus, quand nous traiterons des peuples entrés dans la civilisation, que les sacrifices humains tombent toujours en désuétude parmi ceux de ces peuples qui ne sont pas subjugués par les prêtres, et qu'ils se perpétuent chez toutes les nations qui sont courbées sous leur joug.

Il en est de même de cette notion de chasteté que nous avons vue l'emportant dans le cœur du Sauvage, sur ses penchants les plus impérieux. Non-seulement, comme nous l'avons déjà observé, le sacerdoce se prévaut de cette notion pour recommander des abstinences cruelles et exagérées, mais il exige bientôt une abnégation d'un genre contraire et bien plus étrange.

Dans le royaume de Juidah, les prêtresses enlèvent les filles des familles les plus distinguées, et après des épreuves rigoureuses, les intruisent dans tous les arts de la volupté et les

(1) Parallèle des religions, tom. I.

vouent au métier de courtisanes (1). Chez d'autres Nègres une corporation de prêtres, ou une confrérie religieuse (2), compose des hymnes obscènes qui sont chantés en public aux fêtes solennelles avec d'indécentes attitudes.

Ainsi nous pouvons apercevoir, en remontant jusqu'à l'état sauvage, le motif caché de la prostitution des Babyloniennes, et des danses immodestes des femmes de Memphis, faits niés beaucoup trop légèrement par des écrivains qui en ignoraient la cause (3).

(1) Culte des dieux fétiches. LINDEMANN, Geschichte der Meyn, etc.

(2) Le Belli, dont nous avons parlé plus haut. L'hymne qui est ainsi chanté s'appelle le Belli-dong.

(3) M. de Voltaire est, de tous nos écrivains, celui qui a combattu le plus obstinément les récits des anciens, relativement aux fêtes licencieuses, et à la prostitution des Babyloniennes. Il y trouvait l'avantage de rendre ridicule un homme beaucoup moins spirituel que lui, sans doute, et que son irascibilité lui avait fait ranger parmi les ennemis de la philosophie, parce que cet homme avait eu le malheur de contredire ses narrations, quelquefois partiales, et ses assertions un peu hasardées. Mais on ne conçoit pas comment M. de Voltaire, qui avait plus étudié que personne les effets de la superstition, et qui en connaissait toute la puissance, s'est obstiné à considérer comme inadmissibles des égarements que tous les historiens de l'antiquité attestent, et qui certes n'étaient pas plus incroyables que beaucoup d'autres très-constatés. N'avons-nous pas vu, dans des sectes chrétiennes, la promiscuité des femmes, la nudité, les attouchements immodestes, les pratiques les plus obscènes érigées en devoirs religieux? Était-il plus difficile d'imposer à l'époux le sacrifice de la pudeur d'une épouse, que de forcer le père à poignarder son fils, ou à précipiter sa fille au milieu des flammes? Un temps viendra sans doute où les auto-da-fés nous paraîtront

L'homme dès sa première enfance a cru ne faire jamais assez pour honorer ses dieux. La nature l'invitait au plaisir, il a sacrifié le plaisir pour leur plaire; la nature lui prescrivait la pudeur, il leur a offert la pudeur en holocauste. Mais c'est au sacerdoce qu'appartient ce dernier raffinement. Il a découvert dans la lutte qui s'élevait entre le sentiment intérieur

aussi impossibles que les rites licencieux. Un temps viendra où nul ne voudra croire que les rois des nations civilisées aient assisté en pompe au supplice épouvantable d'enfants, de femmes et de vieillards, et qu'une reine ait pensé plaire au ciel en crevant un œil à son confesseur qu'on menait au bûcher. Cependant à moins de contester ce qu'une génération peu antérieure à la nôtre a vu de ses yeux, il faudra bien admettre ces horreurs qu'on aura le bonheur de ne plus comprendre. M. de Voltaire, dans toutes ses recherches, sur les temps reculés et les peuples lointains, semble avoir pensé que les hommes étant les mêmes dans toutes les époques et dans tous les pays, ce que la bonne compagnie ne pouvait faire à Paris, elle n'avait pu le faire à Hiéropolis ou à Ecbatane. Ce principe, propre à satisfaire un esprit rapide, impatient de trancher toutes les questions, ne saurait, quand on l'applique dans un sens absolu, conduire qu'à l'erreur. Il faut sans doute adopter pour base des opinions et des actions humaines, les penchants et les dispositions qui appar tiennent à notre nature : mais la connaissance de ces dispositions et de ces penchants doit nous conduire à la découverte des causes, à l'explication des motifs, et nullement à la négation des faits lorsque d'ailleurs ils sont attestés par des autorités respectables. Il est impossible d'assigner des bornes aux extravagances et aux opprobres dans lesquels la superstition entraîne les peuples, et, si combattre avec des épigrammes des témoignages unanimes et irrécusables est une bonne manière d'avoir du succès dans un temps de légèreté et d'ignorance, c'est une manière de raisonner déplorable, et la plus vicieuse de toutes pour arriver à la vérité.

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et des pratiques obscènes le sujet d'un triomphe nouveau pour la religion, triomphe en sens inverse de celui qu'elle avait remporté sur l'attrait des sexes: et après avoir interdit à la jeune vierge les chastes embrassements d'un époux, il l'a traînée devant ses divinités hideuses pour la profaner et la flétrir.

Cette vérité deviendra évidente, quand nous montrerons dans les religions soumises aux prêtres et dans ces religions seules (1), les fêtes les plus scandaleuses autorisées ou même ordonnées, et le sacerdoce punissant d'un côté par d'affreux supplices la moindre déviation des préceptes de la continence, et d'une autre part frappant d'anathême la répugnance aux obscénités prescrites et aux orgies commandées (2).

(1) Si quelqu'un était tenté de nous opposer les fêtes mystérieuses de la Grèce et de Rome, nous le prierions de suspendre ses objections jusqu'à notre exposé de la composition des cultes sacerdotaux, comparés à la religion grecque et romaine. Nous n'avançons rien sans preuve : mais nous ne pouvons pas tout dire

à la fois.

(2) En indiquant ici cette cause, morale des cérémonies licencieuses, partie essentielle des cultes de l'Égypte, de l'Inde, de la Phénicie et de la Syrie, nous sommes loin d'exclure les explications scientifiques et cosmogoniques. Mais ces explications, qui se rattachent à des systêmes de philosophie sacerdotale, ne pourront être examinées que plus tard. Il est naturel de reconnaîter dans les jongleurs le même calcul que dans les corporations de prêtres, qui occupèrent leur place, puisque l'intérêt de ces corporations était le même que celui des jongleurs; mais il serait

Ce n'est donc point le sentiment religieux qu'il faut accuser de ces déviations déplorables. Susceptible, sans doute, de s'égarer, comme toutes les émotions de notre ame, il trouve dans ces émotions mêmes un remède assuré contre ses égarements. La pureté, la pitié, la sympathie, cette vertu céleste que dans la langue religieuse on a nommée charité, et qui n'est que l'impossibilité de voir la douleur sans la secourir, sont ses inséparables compagnes. Il est forcé par leur nature commune d'abjurer bientôt les pratiques féroces ou licencieuses qui souillent son berceau ; et nous fournirons, dans le cours de notre ouvrage, de nombreuses et incontestables preuves qu'elles ne se prolongent qu'à la faveur d'une autorité qui n'a rien de commun avec le sentiment religieux.

Cette autorité terrible, implacable, enregistre les folies humaines, travestit le délire en doctrine, l'épouvante en systême, la barbarie en devoir.

Alors apparaissent les résultats funestes qu'on a si souvent attribués à la religion. Elle se complique de mille pratiques cruelles et ridicules. Les dieux, féroces de caractère, sont hideux de forme le sentiment travaille à les embellir : le

absurde de leur attribuer la même science ou les mêmes erreurs sous les dehors de la science.

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