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CHAPITRE VII.

Conséquences de l'influence des jongleurs sur le culte des Sauvages.

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L'APPARITION 'APPARITION d'un sacerdoce, dans le culte des Sauvages, est accompagnée, on le croira sans peine, de conséquences très-importantes.

Nous avons peint l'homme combattu, pour tout ce qui tient à la religion, par deux mouvements contraires.

L'un, désintéressé, se nourrit des sacrifices mêmes qu'il s'impose, se complaît dans le dévouement et dans toutes les conceptions hautes et sublimes, répand sur ces conceptions une sorte de rêverie vague, et, dans son essor rapide et inattendu, met quelquefois la croyance de la horde la plus ignorante de pair avec la doctrine la plus épurée.

L'autre mouvement, égoïste, ardent, mercenaire, travestit le sacrifice en trafic, n'admet que des notions positives, et précipite l'adoration dans la sphère étroite et orageuse des intérêts de la terre.

C'est de celui-ci que les jongleurs doivent s'appliquer d'abord à se rendre maîtres. Leur autorité s'accroît de tout l'appui qu'ils prêtent

aux notions suggérées par l'intérêt. Ils tournent donc, le plus exclusivement qu'ils le peuvent, vers cette portion de la religion, l'attention du Sauvage. Ils le distraient de l'idée du grand Esprit, qui, dans son immensité et son éloignement de la race humaine, est trop audessus des supplications journalières et des besoins de chaque moment. Ils concentrent les vœux des hordes qui les écoutent, dans leurs relations matérielles avec les fétiches, puissances subalternes, plus au niveau de l'homme, et qui appartiennent au plus offrant. Ils les confirment dans la supposition que les dieux font de leurs faveurs un objet de commerce, et qu'on s'assure leur protection en rassasiant leur faim vorace, ou en flattant leur vanité ombrageuse. Ils s'étendent, avec une exagération calculée, sur l'avidité, la méchanceté de ces idoles. Les récits des Nègres sur leur dieu Nani (1), et des Kamtschadales sur leur dieu Kouto (2), donnent l'idée d'une perversité plus capricieuse que les fictions de l'Iliade.

La route dans laquelle les jongleurs guident ainsi leurs dociles disciples, semble préparer la victoire infaillible de l'égoïsme sur le sentiment. La résignation dans la souffrance est un

(1) ROENER, Nachricht von Guinea, pag. 43 et suiv. (2) STELLER, Description du Kamtschatka, pag. 253 et suiv.

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effort plus difficile et plus rare que la ferveur dans la dévotion. Le culte qui flatte les désirs immédiats convient mieux à l'exigeance de la passion que l'adoration, qui est inapplicable aux détails de la vie.

Mais, après avoir profité de la sorte de la portion grossière des notions religieuses, le sacerdoce s'aperçoit bientôt qu'il peut tirer plus d'avantage encore de leur partie enthousiaste et exaltée.

Nons avons parlé de la tendance de l'homme à raffiner sur les sacrifices.

Autant les effets de cette tendance sont admirables, quand le sentiment est livré à lui-même, autant ils peuvent devenir terribles quand l'imposture et le calcul s'en font un instrument.

De ce que le sacrifice, pour être agréable aux dieux, doit être pénible à celui qui l'offre, il s'ensuit qu'on invente à chaque instant de nouveaux sacrifices, toujours plus pénibles et par là plus méritoires. De ce que les dieux se plaisent aux privations de leurs adorateurs, il en résulte qu'on multiplie le nombre et qu'on raffine sur la nature de ces privations. L'homme se précipite dans une série sans terme d'exagérations, d'erreurs, d'extravagances et de barbaries, exercées par lui tour à tour et sur les autres et sur lui-même. La superstition désorientée s'effraie de ses propres espérances,

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et veut les expier par des douleurs ou des cruautés nouvelles.

Les sacrifices humains ont eu, sans doute, plus d'une cause.

La consécration d'une portion des dépouilles enlevées aux ennemis dans une victoire, s'est étendue sur les captifs, dont le vainqueur a cru devoir immoler un nombre proportionné à celui que le sort des armes mettait sous sa puissance (1).

Nous avons vu la supposition que la vie future ressemble à cette vie, faire enterrer dans les mêmes tombeaux, ou brûler sur les mêmes bûchers, les morts et leurs esclaves ou leurs concubines.

Les chefs des hordes ont pensé quelquefois qu'en égorgeant d'autres hommes, ils retarderaient le terme fixé par la nature à leur propre destinée, ou que ces victimes leur serviraient, près des forces invisibles, de messagers, organes de leurs hommages et de leurs prières.

Enfin la soif d'arracher à l'avenir les secrets qu'il recèle, et que les dieux ont caché peutêtre dans les entrailles humaines, a porté la curiosité féroce à fouiller dans ces entrailles d'une main sanglante.

Ces causes diverses ont introduit les sacri

(1) PROIART, Hist. de Loango.

fices humains chez un grand nombre de tribus sauvages.

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Mais le principe du raffinement dans le sacrifice a dû favoriser particulièrement la pratique de ces rites exécrables. L'effusion du sang humain est devenue l'offrande la plus précieuse, parce que la vie est aux yeux de l'homme ce qu'il y a de plus précieux; et parmi ces horribles offrandes, les plus méritoires ont dû être celles qui frappaient les victimes les plus chères. Rien n'est plus terrible que la logique dans l'absurdité (1).....

C'est d'après ce principe que nous retrouvons chez les habitants de la Floride et sur les côtes d'Afrique (2) cette abnégation des liens du sang, ces enfants immolés en présence de leurs mères; coutumes effroyables, que notre enfance avait pris l'habitude d'admirer dans l'obéissance d'Abraham, et qui nous révoltent chez des hordes

(1) Cette théorie du raffinement dans le sacrifice tourne quelquefois au détriment des prêtres qui en font usage. Les Burattes, dans les dangers pressants, sacrifient des prêtres : ils pensent qu'une victime de cette importance doit être d'une plus grande efficacité.

(2) Dans plusieurs contrées de l'Afrique, et dans les îles de la mer du Sud, on immole des enfants dont les mères sont contraintes d'assister au sacrifice. (SNELLGRAVE, Relig. of Guinea. Introd. Cook, dernier voy. I, 351; II, 39-43-203). Voy. aussi Lindemann, Gesch. der Meyn. III, 115. Dans l'île de Célèbes, les pères tuent leurs enfants de leurs propres mains. En Floride, la mère de la victime se place en face du billot fatal, couvrant son visage de ses mains, et déplorant son sort. LAFITEAU, Mœurs des Sauvages, I, 181.

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