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créancier gagiste à réclamer un privilége si le débiteur était resté en possession; nous lui dirions: la loi française domine votre loi personnelle parce qu'elle est d'intérêt social. La cour de la Louisiane n'a pas fait autre chose.

No 3. LA CESSION DE CRÉANCES.

230. Les droits se transmettent, comme les meubles corporels, entre les parties et à l'égard des tiers, par la volonté des parties contractantes. Il y a exception pour les droits de créance; le code exige une signification ou une acceptation authentique pour que le cessionnaire soit saisi de la créance à l'égard des tiers. Quels sont les motifs de cette disposition spéciale et quelle en est la portée? On a dit, et avec raison, que c'est une espèce de publicité que la loi prescrit pour que la cession puisse être opposée aux tiers, lesquels, sans cette publicité, n'auraient aucune connaissance du transport et pourraient facilement être trompés. A l'égard du débiteur, la publicité est complète, car il est averti directement par la signification; et s'il l'accepte par acte authentique, son acceptation implique qu'il en a connaissance; par suite, il sait qu'il ne peut plus payer valablement au cédant. La publicité est moindre à l'égard des autres tiers, toutefois elle existe dans une certaine mesure. La loi suppose que celui qui veut acheter une créance sait que la cession n'a aucun effet à l'égard du débiteur, tant qu'elle ne lui a pas été signifiée; la plus simple prudence lui commande donc de s'adresser au débiteur, pour s'enquérir si une signification lui a été faite. Il en est de même de celui qui veut obtenir un droit de gage sur la créance. A l'égard des créanciers du cédant, la publicité est encore plus imparfaite il faut d'abord supposer qu'ils connaissent l'existence de la créance, puis il faut qu'ils aient soin de s'informer, avant de traiter sur la foi de cette créance, si elle n'a pas été cédée. Toute publicité, quelque imparfaite qu'elle soit, est d'intérêt général; il importe à la société que la sécurité la plus complète règne dans les transac

tions civiles, et il n'y a que la publicité qui garantisse les droits des parties contractantes.

231. Voilà une situation analogue à celle que nous venons de rencontrer dans la jurisprudence de la cour de la Louisiane. Un étranger vend la créance dont il possède le titre; l'acheteur ne signifie point la cession, et il se trouve que le vendeur avait déjà vendu la même créance à un premier cessionnaire, lequel n'avait pas non plus fait de signification, parce que la loi personnelle des parties ne l'exigeait pas. Est-ce à dire que le cessionnaire étranger puisse opposer la cession aux tiers en général, et à un second cessionnaire en particulier, dans un pays régi par la loi française, qui prescrit la signification, pour que le cessionnaire soit considéré comme propriétaire de la créance à l'égard des tiers? Le tribunal devant lequel il élèverait cette prétention lui répondrait : Tout statut qui organise une publicité quelconque dans l'intérêt des tiers. est réel; et le statut réel, quand il est d'intérêt social, l'emporte sur le statut personnel.

232. La publicité organisée par le code civil pour la cession de créances est insuffisante, sauf à l'égard du débiteur. Tout le monde l'avoue. Le législateur belge a remédié à l'insuffisance et à l'inefficacité de la loi française en ordonnant l'inscription des cessions de créances, quand elles sont garanties par une hypothèque, ou un privilége (art. 5). Les auteurs de la loi ont voulu mettre les tiers, et notamment les seconds cessionnaires, à l'abri de la fraude qu'un créancier pourrait pratiquer à leur préjudice. Si le créancier qui vend sa créance en conserve le titre, il peut facilement la vendre à un second cessionnaire; celui-ci doit croire que son cédant est encore propriétaire de la créance, puisqu'il a le titre en main et que l'inscription hypothécaire subsiste; il achètera donc une créance déjà cédée, et, par suite, il sera trompé par la clandestinité de la première cession; la publicité est le seul moyen de prévenir la fraude (1).

Voilà encore une situation analogue à celle dans la

(1) Rapport de la commission spéciale (Parent, Nouvelle Loi sur le régime hypothécaire, p. 15).

quelle la cour de la Louisiane a porté sa décision si vivement critiquée par le vice-chancelier d'Angleterre. Sir Wood dit qu'aucune cour ne jugerait comme a jugé la cour américaine. Le contraire est certain, dans le cas d'une cession non rendue publique par la voie de l'inscription sur les registres du conservateur des hypothèques. Tant que la cession n'est pas inscrite, elle n'existe pas à l'égard des tiers. Vainement un cessionnaire étranger soutiendrait-il que la cession est valable d'après sa loi personnelle, et que, par conséquent, elle doit être valable dans le monde entier; on lui répondrait que le statut personnel est dominé par le statut réel, quand celui-ci concerne le droit de la société; or, la société n'a pas de plus grand intérêt que d'empêcher la fraude dans les relations civiles.

233. Pour compléter cette matière, j'ajouterai que la loi belge prescrit la publicité non seulement pour la cession d'une créance privilégiée ou hypothécaire, mais aussi pour la subrogation à un droit semblable. Il y a analogie complète, sous ce rapport, entre la cession et la subrogation, et, par conséquent même motif de décider. Il est inutile d'ajouter que la publicité de la subrogation forme un statut réel, et qu'il faut appliquer ce que je viens de dire de la loi qui régit la publicité de la cession.

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234. Le code civil n'admet pas la revendication des meubles, sauf par exception, en cas de perte ou de vol (art. 2279). Le propriétaire d'un meuble a, à la vérité, l'action en revendication, de même que le propriétaire d'un immeuble; mais tandis que l'action de celui-ci ne peut être repoussée que par la prescription, l'action de l'autre peut être repoussée par la simple exception de possession.

Pourquoi la possession suffit-elle pour mettre le possesseur à l'abri de la revendication? Le code dit que la pos

session vaut titre; elle est donc plus qu'une présomption de propriété, elle équivaut à un titre; un ancien auteur, Bourjon, dit qu'elle produit tout l'effet d'un titre parfait; or, un titre parfait est celui qui transfère la propriété, telles sont la vente et la donation. Je demande le fondement de ce principe.

235. Il est de l'essence de la propriété que le propriétaire ait une action pour maintenir son droit contre tous : pourquoi, en fait de meubles, la possession l'emporte-t-elle sur la propriété? Bigot-Préameneu dit, dans l'Exposé des motifs, qu'en droit français, la possession a toujours été regardée comme un titre, parce que d'ordinaire on n'en a pas d'autre pour les choses mobilières qui passent rapidement de main en main, de sorte qu'on ne dresse pas d'acte pour en constater la transmission. Celui qui achète un objet mobilier n'a aucun moyen de vérifier par titres le droit de son vendeur; il doit accepter comme réel le droit de son auteur, et ce droit ne repose que sur la possession, dès lors la possession doit aussi lui servir de titre. Cette première considération suffit déjà pour déterminer la nature du principe établi par l'article 2279, au point de vue du droit civil international: la possession est essentiellement territoriale, comme je le dirai plus loin, si donc le droit fondé sur la possession a le même caractère, il constitue un statut réel, et par suite, la loi territoriale domine toute autre loi.

Bigot-Préameneu ne dit rien du motif principal qui justifie le principe qu'en fait de meubles, la possession vaut titre, c'est l'intérêt du commerce. Le seul qui en dise un mot, c'est Portalis dans son premier discours : « On fait très sagement, dit-il, d'écarter des affaires du commerce les actions revendicatoires, parce que ces sortes d'affaires roulent sur des objets mobiliers qui circulent rapidement, qui ne laissent aucune trace, et dont il serait presque toujours impossible de vérifier et de reconnaître l'identité (1). Ici la société a plus qu'un intérêt, elle a un

(1) Bigot-Préameneu, Exposé des motifs du titre de la Prescription, n° 44 (Locré, t. VIII, p. 355). Portalis, Discours préliminaire, no 87 (Locré, t. Ier, p. 179).

droit le commerce est une nécessité de son existence et de son perfectionnement, ce qui entraverait les relations commerciales serait aussi un obstacle au progrès; or, le droit de la société l'emporte sur le droit des individus. D'ailleurs la maxime de l'article 2279 ne lèse pas le droit du propriétaire, en ce sens que tous les commerçants sont nécessairement acheteurs et vendeurs, tous doivent donc compter sur la validité des opérations incessantes qui constituent le commerce. Le commerce ne peut prospérer que par la confiance; comment la confiance et la sécurité pourraient-elles exister, si la revendication d'un propriétaire inconnu menaçait sans cesse d'éviction tous ceux qui possèdent successivement les choses mobilières?

236. La possession vaut titre en fait de meubles. Quelle est cette possession? Quels caractères doit-elle avoir? L'article 2279 ne le dit pas, mais il est facile de suppléer au silence de la loi, en recourant à l'origine et à la signification de la maxime. Si la possession équivaut à un titre de propriété, c'est-à-dire à une cause légitime d'acquisition, il faut que la possession ait le caractère qui distingue la propriété, partant elle doit être à titre de propriétaire. L'emprunteur, le preneur, et tous ceux qui détiennent précairement la chose du propriétaire sont tenus, en vertu d'un lien personnel, à la lui rendre; ils ne peuvent pas lui dire qu'ils sont propriétaires parce qu'ils possèdent, car leur détention implique qu'ils ne le sont pas. Le propriétaire ne revendique pas contre eux, il agit en vertu de l'action personnelle qui naît du contrat intervenu avec le détenteur de la chose.

Il y a une seconde condition qui découle de la première. L'article 1141, qui contient une application de la maxime de l'article 2279, exige que la possession soit réelle. Il faut que le détenteur de la chose possède comme possède un propriétaire, au vu et au su de tous ceux qui sont intéressés à savoir qu'il est propriétaire parce qu'il est possesseur. La possession, en ce sens, doit être publique, pour qu'elle soit un titre de propriété.

Enfin, la possession doit être de bonne foi: l'article 1141 le dit également, en appliquant le principe de la posses

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