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trop de transition, il arrive à déclarer qu'il ne se désistera d'aucune de ses prétentions.

Lord Castlereagh, qui a pris feu sur cette réponse, a fait une réplique que lord Stewart a dù porter hier son frère l'a chargé de cette commission parce qu'il a eu pendant la guerre, et conservé depuis, ses entrées chez l'Empereur Alexandre. M. de Gentz, qui a traduit cette pièce pour le Cabinet autrichien, à qui elle a été communiquée, m'a dit qu'elle était très-forte et très-bonne'.

Les affaires de Suisse vont être mises en mouvement; j'ai fait choix de M. de Dalberg pour prendre part aux conférences où elles seront discutées. Je ne répète pas ici à Votre Majesté tout ce qui s'est passé à cet égard; ma dépèche au Département lui en rend compte.

Hier, à quatre heures, je me suis rendu chez M. de Metternich, qui m'avait prié de passer chez lui. J'y trouvai M. de Nesselrode et lord Castlereagh. M. de Metternich débuta par de grandes protestations de vouloir être en confiance avec moi, de s'entendre avec la France et de ne rien faire sans elle. Ce qu'ils désiraient, disait-il, c'était que, mettant de côté toute susceptibilité, je voulusse les aider à avancer les affaires et à sortir de l'embarras où il avoua qu'ils se trouvaient. Je répondis que la situation dans

1 V. d'Angeberg, p. 394.

2 Talleyrand écrivait au Département : Il ne peut en général nous échapper que le véritable embarras des puissances alliées au Congrès part de l'illusion dans laquelle elles se soutenaient en croyant pouvoir régler les affaires de l'Europe sur des bases qu'elles nous ont annoncées arrêtées et qui ne le sont pas. » (23 novembre 1814.)

laquelle ils étaient vis-à-vis de moi était tout autre que la mienne vis-à-vis d'eux; que je ne voulais, ne faisais, ne savais rien qu'ils ne connussent et ne sussent comme moimême; qu'au contraire, eux avaient fait et faisaient journellement une foule de choses que j'ignorais, ou que si je venais à en apprendre quelques-unes, c'était par des bruits de ville; que c'était ainsi que j'avais appris qu'il existait une réponse de l'Empereur Alexandre à lord Castlereagh. Je vis que je l'embarrassais, et je compris que devant M. de Nesselrode il ne voulait pas paraître avoir fait à cet égard quelque indiscrétion. Je me hâtai d'ajouter que je ne savais point ce que portait cette réponse, ni même s'il y en avait réellement une; puis je remarquai que quant aux difficultés dont ils se plaignaient, je ne pouvais les attribuer qu'à une seule cause, à ce qu'ils n'avaient point réuni le Congrès. « Il faudra bien, leur dis-je, qu'on le réunisse un jour ou l'autre. Plus on tarde, et plus on semble s'accuser soi-même d'avoir des vues que l'on n'ose montrer au grand jour; tant de délais sembleront indiquer une mauvaise conscience. Pourquoi feriez-vous difficulté de déclarer que, sans attendre la vérification des pouvoirs, qui peut être longue, tous ceux qui ont remis les leurs à la chancellerie d'État devront se réunir dans un lieu indiqué? Les commissions y seront annoncées; il sera dit que chacun pourra y porter ses demandes, et l'on se séparera. Les commissions feront alors leur travail, et les affaires marcheront avec une sorte de régularité. » Lord Castlereagh approuva cette marche, qui avait pour lui le mérite d'écarter la difficulté relative aux pouvoirs contestés; mais il fit obser

ver que le mot seul de Congrès épouvantait les Prussiens, et que le prince de Hardenberg surtout en avait une frayeur horrible. M. de Metternich reproduisit la plupart des raisonnements qu'il nous avait faits dans la dernière conférence; il trouvait préférable de ne réunir le Congrès que quand on serait d'accord, du moins sur toutes les grandes questions. « Il y en a une, dit-il, sur laquelle on est en présence » ; il indiquait la Pologne, mais il ne voulut point

On va

la nommer, et il passa promptement aux affaires de l'Allemagne proprement dite. «Tout est, dit-il, dans le meilleur accord entre les personnes qui s'en occupent. s'occuper aussi des affaires de la Suisse, qui ne doivent pas, ajouta-t-il, se régler sans que la France y prenne part. » Je lui dis que j'avais pensé qu'il ne pouvait pas avoir une autre intention, et que j'avais, en conséquence, choisi M. de Dalberg pour assister aux conférences qui seraient tenues à ce sujet. De là, passant aux affaires d'Italie, le mot de complications, dont M. de Metternich se sert perpétuellement pour se tenir dans le vague dont sa faible politique a besoin, fut employé depuis les affaires de Gênes et de Turin jusqu'à celles de Naples et de Sicile il voulait arriver à prouver que la tranquillité de l'Italie, et par suite celle de l'Europe, tenait à ce que l'affaire de Naples ne fùt pas réglée au Congrès, mais à ce qu'elle fût remise à une époque plus éloignée. La force des choses, disait-il, ramènera nécessairement la Maison de Bourbon sur le trône de Naples. « La force des choses, lui dis-je, me paraît maintenant dans toute sa puissance : c'est au Congrès que cette question doit finir. Dans l'ordre géographique, cette ques

tion se présente la dernière de celles d'Italie, et je consens à ce que l'ordre géographique soit suivi ma condescendance ne peut pas aller plus loin. » M. de Metternich parla alors des partisans que Murat avait en Italie. — « « Organisez l'Italie, et il n'en aura plus. Faites cesser un provisoire odieux; fixez l'état de possession dans la haute et moyenne Italie; que des Alpes aux frontières de Naples il n'y ait pas un seul coin de terre sous l'occupation militaire; qu'il y ait partout des Souverains légitimes et une administration régulière; fixez la succession de Sardaigne'; envoyez dans le Milanais un Archiduc pour l'administrer; reconnaissez les droits de la Reine d'Étrurie; rendez au Pape ce qui lui appartient et que vous occupez: et alors Murat n'aura plus aucune prise sur l'esprit des peuples; il ne sera pour l'Italie qu'un brigand. » — Cette marche géographique pour traiter des affaires d'Italie a paru convenir, et on s'est décidé à appeler M. de Saint-Marsan à la prochaine conférence, pour régler avec lui, conformément à ce plan, les affaires de la Sardaigne; on doit aussi entendre M. de Brignole, député de la ville de Gênes, sur ce qui concerne les intérêts commerciaux de cette ville. Lord Castlereagh insiste beaucoup pour que Gênes soit un port franc, et il a, à cette occasion, parlé avec approbation et amertume de la franchise de celui de Marseille.

1 Le Roi régnant Victor-Emmanuel Ier (1802-1821) et son frère CharlesFélix (1821-1831) n'avaient point d'enfant; il s'agissait d'appeler à la succession éventuelle la branche de Savoie-Carignan, descendant de Thomas, cinquième fils du duc Charles-Emmanuel Ier (contemporain de Henri IV), et qui devait, dans notre siècle, donner successivement au Piémont et à l'Italic les

Nous pourrions croire que notre situation tend à s'améliorer un peu; mais je n'ose me fier à aucune apparence, n'ayant que trop de raisons de ne point compter sur la sincérité de M. de Metternich; de plus, je ne sais quelle idée il faut attacher au départ inattendu du grand-duc Constantin, qui quitte Vienne après-demain pour se rendre directement à Varsovie.

On parle d'un voyage que l'Empereur Alexandre doit faire à Grätz: on dit qu'il se propose d'aller jusqu'à Trieste : un des Archiducs doit lui faire les honneurs de cette partie de la Monarchie autrichienne. Ce voyage est annoncé pour le 20.

La Cour de Vienne continue à exercer envers ses nobles hôtes une hospitalité qui, dans l'état de ses finances, lui doit être fort à charge; on ne voit partout qu'Empereurs, Rois, Impératrices, Reines, Princes héréditaires, Princes régnants, etc., etc. La Cour défraye tout le monde : on estime la dépense de chaque jour à deux cent vingt mille florins en papier. La Royauté perd certainement à ces réunions quelque chose de la grandeur qui lui est propre : trouver trois ou quatre Rois et davantage de Princes à des bals, à des thés chez de simples particuliers de Vienne, me paraît bien inconvenable. Il faudra venir en France pour voir à la Royauté cet éclat et cette dignité

Rois Charles-Albert (1831-1849), Victor-Emmanuel Ier (1849-1878) et Humbert Ier.

Talleyrand, fidèle à ses instructions, tant pour maintenir le principe du droit dynastique, ce qu'il appelait le principe de la légitimité, que pour faire échec à la Maison d'Autriche et l'empêcher de recueillir un jour l'héritage de la Maison de Savoie, préparait l'avénement de la branche de SavoieCarignan.

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