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remptoire; je lus plusieurs paragraphes, et je dis : « Je ne comprends pas. » Je les relus posément une deuxième fois, de l'air d'un homme qui cherche à pénétrer le sens d'une chose; et je dis que je ne comprenais pas davantage. J'ajoutai: « Il y a pour moi deux dates entre lesquelles il n'y a rien celle du 30 mai, où la formation du Congrès a été stipulée, et celle du 1" octobre, où il doit se réunir. Tout ce qui s'est fait dans l'intervalle m'est étranger et n'existe pas pour moi. » La réponse des plénipotentiaires fut qu'ils tenaient peu à cette pièce, et qu'ils ne demandaient pas mieux que de la retirer, ce qui leur attira de la part de M. de Labrador l'observation que pourtant ils l'avaient signée. Ils la reprirent, M. de Metternich la mit de côté, et il n'en fut plus question.

Après avoir abandonné cette pièce, ils en produisirent une autre. C'était un projet de déclaration que M. de Labrador et moi devions signer avec eux si nous l'adoptions. Après un long préambule sur la nécessité de simplifier et d'abréger les travaux du Congrès, et après des protestations de ne vouloir empiéter sur les droits de personne, le projet établissait que les objets à régler par le Congrès devaient être divisés en deux séries, pour chacune desquelles il devait être formé un comité auquel les États intéressés pourraient s'adresser, et que, les deux comités ayant achevé tout le travail, on assemblerait alors pour la première fois le Congrès, à la sanction duquel tout serait soumis.

Ce projet avait visiblement pour but de rendre les quatre puissances qui se disent alliées, maitresses absolues de toutes les opérations du Congrès, puisque, dans l'hypothèse

où les six puissances principales se constitueraient juges des questions relatives à la composition du Congrès, aux objets qu'il devra régler, aux procédés à suivre pour les régler, à l'ordre dans lequel ils devront être réglés, et nommeraient seules et sans contrôle les comités qui devraient tout préparer, la France et l'Espagne, même en les supposant toujours d'accord sur toutes les questions, ne seraient jamais que deux contre quatre.

Je déclarai que sur un projet de cette nature, une première lecture ne suffisait pas pour se former une opinion; qu'il avait besoin d'être médité, qu'il fallait avant tout s'assurer s'il était compatible avec des droits que nous avions tous l'intention de respecter; que nous étions venus pour garantir les droits de chacun, et qu'il serait trop malheureux que nous débutassions par les violer; que l'idée de tout arranger avant d'assembler le Congrès était pour moi une idée nouvelle; qu'on proposait de finir par où j'avais cru qu'il était nécessaire de commencer; que peut-être le pouvoir que l'on proposait d'attribuer aux six puissances ne pouvait leur être donné que par le Congrès; qu'il y avait des mesures que des ministres sans responsabilité pouvaient facilement adopter, mais que lord Castlereagh et moi nous étions dans un cas tout différent. Ici lord Castlereagh a dit que les réflexions que je faisais lui étaient toutes venues à l'esprit, qu'il en sentait bien la force; mais, a-t-il ajouté, quel autre expédient trouver pour ne pas se jeter dans d'inextricables longueurs? J'ai demandé pourquoi dès à présent on ne réunirait pas le Congrès, quelles difficultés on y trouverait. Chacun alors a présenté la sienne : 'une

conversation générale s'en est suivie. Le nom du Roi de Naples' s'étant présenté à quelqu'un, M. de Labrador s'est exprimé sur lui sans ménagement. Pour moi, je m'étais contenté de dire : « De quel Roi de Naples parle-t-on? Nous ne connaissons point l'homme dont il est question. » Et sur ce que M. de Humboldt avait remarqué que des puissances l'avaient reconnu et lui avaient garanti ses États, j'ai dit d'un ton ferme et froid : « Ceux qui les lui ont garantis ne l'ont pas dû, et conséquemment ne l'ont pas pu. » Et pour ne pas trop prolonger l'effet que ce langage a véritablement et visiblement produit, j'ai ajouté : « Mais ce n'est point de cela qu'il est maintenant question. » Puis, revenant à celle du Congrès, j'ai dit que les difficultés que l'on paraissait craindre seraient peut-être moins grandes qu'on ne l'avait cru, qu'il fallait chercher, et que l'on trouverait sûrement le moyen d'y obvier. Le prince de Hardenberg a annoncé qu'il ne tenait point à tel expédient plutôt qu'à tel autre, mais qu'il en fallait un d'après lequel les princes de la Leyen et de Lichtenstein n'eussent point à intervenir dans les arrangements généraux de l'Europe. Là-dessus on s'est ajourné au surlendemain, après avoir promis de m'envoyer, ainsi qu'à M. de Labrador, des copies du projet de déclaration et de la lettre du comte de Palmella. (Les différentes pièces dont il est question dans la lettre que j'ai l'honneur d'écrire à Votre Majesté se trouvent jointes à la lettre officielle que j'écris aujourd'hui au Département.) Après les avoir reçues et y avoir bien réfléchi, je pensai qu'il ne fallait point

1 Murat.

attendre la prochaine conférence pour faire connaître mon opinion. Je rédigeai une réponse d'abord en forme de note verbale; puis, venant à songer que les ministres des quatre Cours ont eu entre eux des conférences où ils tenaient des protocoles qu'ils signaient, il me parut qu'il ne fallait pas qu'il n'y eût entre eux et le ministre de Votre Majesté que des conversations dont il ne restait aucune trace, et qu'une note officielle servirait à nouer convenablement la négociation. J'adressai donc, le 1er octobre, aux ministres des cinq autres puissances, une note signée portant en substance que les huit puissances qui avaient signé le traité du 30 mai me paraissaient, par cette circonstance seule et à défaut de médiateur, pleinement qualifiées pour former une commission qui préparat pour la décision du Congrès les questions qu'il devait avant tout décider, et lui proposat la formation des comités qu'il aurait été jugé expédient d'établir, et les noms de ceux que l'on jugerait les plus propres à les former, mais que leur compétence n'allait point au delà; que n'étant point le Congrès, mais une partie seulement du Congrès, si elles s'attribuaient d'elles-mêmes un pouvoir qui ne peut appartenir qu'à lui, il У aurait une usurpation que je serais fort embarrassé, si j'étais dans le cas d'y concourir, de concilier avec ma responsabilité; que la difficulté que pouvait offrir la réunion du Congrès n'était pas de la nature de celles qui diminuent avec le temps, et que, puisqu'elle devait être une fois vaincue, on ne pouvait rien gagner en retardant; que les petits États ne devaient pas sans doute se mêler des arrangements généraux de l'Europe, mais qu'ils n'en auraient pas même

le désir, et ne seraient conséquemment point un embarras; que par toutes ces considérations j'étais naturellement conduit à désirer que les huit puissances s'occupassent sans délai des questions préliminaires à décider par le Congrès, pour que l'on pût promptement le réunir et les lui sou

mettre.

Après avoir expédié cette note, je suis parti pour l'audience particulière que m'avait fait annoncer l'Empereur Alexandre. M. de Nesselrode était venu me dire de sa part qu'il désirait de me voir seul, et lui-même me l'avait rappelé la veille, à un bal de la Cour où j'avais eu l'honneur de me trouver avec lui. En m'abordant, il m'a pris la main; mais son air n'était point affectueux comme à l'ordinaire; sa parole était brève, son maintien grave et peut-être un peu solennel. J'ai vu clairement que c'était un rôle qu'il allait jouer. «Avant tout, m'a-t-il dit, comment est la situation de votre pays?-Aussi bien que Votre Majesté a pu le désirer, et meilleure qu'on n'aurait osé l'espérer. - L'esprit public? Il s'améliore chaque jour. Les idées libérales? - Il n'y en a nulle part plus qu'en France. Mais la liberté de la presse? Elle est rétablie, à quelques restrictions près, commandées par les circonstances'; elles. cesseront dans deux ans, et n'empêcheront pas que jusque

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1 La Charte avait promis la liberté de la presse. A la suite d'un projet préparé par MM. Royer-Collard, directeur de la librairie, et Guizot, secrétaire général du ministère de l'intérieur, et d'une longue discussion (août et septembre 1814), la censure fut établie d'une façon transitoire jusqu'à la fin de la session de 1816, pour les journaux et les publications ne dépassant pas vingt feuilles d'impression.

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