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qu'elle a dû l'être, et ce qui a empêché qu'elle ne le fùt; le vœu qu'elle devait exprimer a peut-être acquis plus de force par la violence employée pour l'étouffer.

Si je me suis étendu sur cette circonstance particulière plus qu'il ne l'aurait fallu peut-être, je l'ai fait par le double motif de rendre au duc de Cobourg la justice que je crois lui être due, et de faire mieux connaître à Votre Majesté le genre et la diversité des obstacles contre lesquels nous avons à lutter.

Pendant que ces choses se passaient, les Prussiens recevaient de M. de Metternich une note où il leur déclarait que le Royaume de Saxe devait être conservé, en établissant par des calculs statistiques joints à sa note, que leur population sera la même qu'en 1805, si à celle des pays qu'ils ont conservés, et à celle des pays disponibles qui leur sont destinés, on ajoute seulement trois cent trente mille Saxons.

Je me hâte de dire à Votre Majesté que M. le comte de Munster a déclaré qu'il renonçait aux agrandissements promis pour le Hanovre, si cela était nécessaire pour que la Saxe fût conservée. Votre Majesté l'apprendra sûrement avec plaisir, et à cause des affaires que cela facilite, ét à cause de l'estime dont Elle honore le comte de Munster. Un passage de la note de M. de Metternich dans lequel il s'étayait de l'opposition de la France aux vues de la Prusse sur la Saxe, ayant probablement fait craindre à l'Empereur Alexandre qu'il n'y eût un concert déjà formé ou prêt à se former entre l'Autriche et nous, il m'envoya sur-le-champ Je prince Adam Czartoryski.

A son début, le prince m'a renouvelé la proposition que

l'Empereur Alexandre m'avait faite lui-même, dans le dernier entretien que j'ai eu l'honneur d'avoir avec lui, de nous prêter à ses désirs dans la question de la Saxe, nous promettant tout son appui dans celle de Naples. Sa proposition lui paraissait d'autant plus acceptable que maintenant il ne demandait plus l'abandon de la Saxe entière, et qu'il consentait à ce qu'il restat un noyau de Royaume de Saxe.

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Je répondis que quant à la question de Naples, je m'en tenais à ce que l'Empereur m'avait dit; que je me fiais à sa parole; que d'ailleurs ses intérêts dans cette question étaient les mêmes que les nôtres, et qu'il n'y pouvait pas ètre d'un autre avis que nous; que si la question de Pologne, qu'on devait regarder comme personnelle à l'Empereur Alexandre, puisqu'il y attachait sa satisfaction et sa gloire, avait été décidée selon ses désirs (elle ne l'est pas encore complétement, mais peu s'en faut), il le devait à la persuasion où étaient l'Autriche et la Prusse que nous ne serions à cet égard qu'en seconde ligne; que dans la question de la Saxe, réellement étrangère aux intérêts de l'Empereur, nous avions pris sur nous d'engager le Roi de Saxe à quelques sacrifices; mais que l'esprit de conciliation ne pouvait pas porter à aller aussi loin que l'Empereur paraissait le désirer. Le Prince me parla d'alliance et de mariage: je lui dis que tant d'objets si graves ne pouvaient se traiter à la fois; qu'il y avait d'ailleurs des choses qu'on ne pouvait mêler à d'autres, parce que ce serait leur donner le caractère avilissant d'un marché.

Il me demanda si nous avions des engagements avec

:

l'Autriche je lui dis que non; si nous en prendrions avec elle dans le cas où l'on ne s'entendrait pas sur la Saxe, à quoi je répondis: « J'en serais fâché. » Après un moment de silence, nous nous quittàmes poliment, mais froidement.

L'Empereur, qui devait aller le soir à une fête que donnait M. de Metternich, n'y vint point. Un mal de tête subit en fut la cause ou le prétexte. Il y envoya l'Impératrice et les grandes-duchesses. Le lendemain matin, il fit engager M. de Metternich à se rendre chez lui.

Pendant le bal, M. de Metternich s'approcha de moi, et après m'avoir remercié d'un petit service que je lui avais rendu, il se plaignit à moi de l'embarras dans lequel les notes de lord Castlereagh sur la Saxe le mettaient. Je pensais qu'il n'y en avait eu qu'une de très-compromettante (celle du 11 octobre). Mais il me parla d'une autre que j'ai pu me procurer aujourd'hui et dont j'ai l'honneur d'envoyer une copie à Votre Majesté. Quoiqu'elle porte le titre de Note verbale' de lord Castlereagh, je sais qu'elle est l'ouvrage de M. Cook, auquel, et comme doctrine et comme style, elle ne fera pas beaucoup d'honneur; elle a été remise aux trois puissances qui se sont si longtemps appelées alliées.

M. de Metternich me promit qu'en sortant de chez l'Empereur Alexandre il viendrait chez moi, s'il n'était pas trop tard, pour me dire ce qui se serait passé : cette fois il tint sa parole. L'Empereur fut froid, sec et sévère. Il prétendit que M. de Metternich lui disait, au nom des

1 V. d'Angeberg, p. 276.

Prussiens, des choses qu'ils désavouaient, et que de leur côté les Prussiens lui disaient, de la part de M. de Metternich, des choses tout opposées à celles qu'il mettait dans ses notes, de sorte qu'il ne savait ce qu'il devait croire. Il reprocha à M. de Metternich d'avoir inspiré je ne sais quelles idées au prince de Hardenberg. M. de Metternich avait et produisit un billet de M. de Hardenberg, qui prouvait le contraire. L'Empereur prit occasion de ce billet pour reprocher à M. de Metternich d'en écrire de peu convenables; ce reproche avait quelque fondement. L'Empereur avait dans les mains des communications toutes particulières et toutes confidentielles, qu'il ne pouvait tenir que d'une indiscrétion fort coupable de la part des Prussiens. L'Empereur, ensuite, parut vouloir douter que la note de M. de Metternich contînt l'expression des véritables sentiments de l'Empereur d'Autriche, et ajouta qu'il voulait s'en expliquer avec l'Empereur lui-même. M. de Metternich alla immédiatement prévenir son Maitre, qui, si l'Empereur Alexandre lui fait quelques questions sur ce sujet, répondra que la note a été faite par son ordre et ne contient rien qu'il n'avoue.

Dans une conférence entre M. de Metternich et M. de Hardenberg, les difficultés n'ont porté que sur les calculs statistiques qui étaient joints à la note de M. de Metternich. Ils se séparèrent sans être convenus de rien sur la proposition par M. de Metternich de nommer une commission faite pour les vérifier.

Voilà, Sire, présentement l'état des choses. L'Autriche ne fait entrer la Saxe dans ses calculs que pour une perte

de quatre cent mille àmes. Elle ne voudrait point abandonner la Haute-Lusace, à cause des défilés de Gabel qui ouvrent l'entrée de la Bohême. C'est par là que les Français y pénétrèrent en 1813.

L'Empereur de Russie consent à laisser subsister un Royaume de Saxe, lequel, selon le prince Czartoryski, ne devrait être que la moitié de ce qu'il est aujourd'hui.

Enfin, la Prusse semble aujourd'hui réduire ses prétentions à des calculs de population et, conséquemment, les subordonner au résultat et à la vérification de ces calculs.

Sans doute la question n'est pas encore décidée, mais les chances sont maintenant plus favorables qu'elles ne l'ont jamais été.

M. de Metternich m'a proposé de me faire lire sa note; je l'ai remercié en lui disant que je la connaissais, mais que je désirerais qu'il me la communiquât officiellement; qu'il me semblait qu'il le devait, puisqu'il nous y avait cités, ce que je pourrais lui reprocher d'avoir fait sans nous en avoir prévenus; qu'il fallait que nous pussions la soutenir, et que nous ne le pouvions convenablement que sur une communication régulière. Il m'a donné sa parole de faire ce que je désirais. Mon motif particulier pour tenir à une participation formelle, est que ce sera là la véritable date de la rupture de la coalition.

Je proposai, il y a quelques jours, la formation d'une commission pour s'occuper de l'affaire de la traite. Cette proposition allait être faite, et je voulus m'en emparer pour faire une chose agréable à lord Castlereagh et le

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