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No 17

XXXI

Vienne, 20 décembre 1814.

SIRE,

J'ai reçu la lettre dont Votre Majesté a daigné m'honorer en date du 10 décembre et sous le numéro 11.

J'ai l'honneur de lui envoyer les copies de la note de M. de Metternich à M. de Hardenberg, au sujet de la Saxe, des tableaux qui y étaient annexés et de la lettre officielle que M. de Metternich m'a écrite en me communiquant ces pièces. Il avait accompagné le tout d'un billet de sa main ', où il me répétait, mais moins explicitement, ce qu'il m'avait déjà dit de vive voix, que cette pièce serait la dernière pièce de la coalition, en ajoutant qu'il se félicitait de se trouver sur la même ligne que le Cabinet de Votre Majesté, pour la défense d'une aussi belle cause.

Je désirais ardemment cette communication pour la rai

1 Dès les premiers jours de décembre, l'Autriche se ralliait à la politique française dans la question de la Saxe, par l'envoi d'un mémoire du prince de Metternich au prince de Hardenberg, dans lequel l'Autriche se prononçait contre l'incorporation de tout le Royaume de Saxe à la Prusse.

M. de Metternich transmettait ce mémoire à M. de Talleyrand, le 16 décembre 1814. Sa lettre se terminait ainsi :

Je me félicite de me trouver sur la même ligne que votre Cabinet, dans une question aussi belle à défendre.

Tout à vous.

son que j'ai eu l'honneur de dire à Votre Majesté dans ma précédente lettre; je la désirais encore comme devant m'offrir une occasion toute naturelle de faire une profession de foi qui fit connaître les principes, les vues et les déterminations de Votre Majesté. Je cherchais depuis longtemps cette occasion; j'avais essayé de diverses manières de la faire naître, et dès qu'elle s'est offerte, je me suis hâté d'en profiter en adressant à M. de Metternich la réponse dont j'ai l'honneur de joindre ici une copie '.

J'ai montré ce que la question de Pologne aurait été pour nous, si on l'eût voulu, pourquoi elle a perdu son intérêt, et j'ai ajouté que la faute n'en était pas à nous.

En traitant de la question de la Saxe, j'ai réfuté les arguments révolutionnaires des Prussiens et de M. Cook dans son Saxon point, et je crois avoir prouvé ce que jusqu'ici lord Castlereagh n'a pas pu ou voulu comprendre, que, sous le rapport de l'équilibre, la question de la Saxe était

1 En effet, le 19 décembre 1814, M. de Talleyrand répondait à M. de Metternich:

........ Il me suffit, pour répondre de la satisfaction que causeront au Roi les déterminations annoncées par cette note, de les comparer aux ordres que Sa Majesté a donnés à ses ambassadeurs au Congrès.

« La France n'avait à y porter aucune vue d'ambition on d'intérêt personnel; replacée dans ses antiques limites, elle ne songeait plus à les étendre, semblable à la mer qui ne franchit ses rivages que lorsqu'elle a été soulevée par une tempête. Ses armées chargées de gloire n'aspirent plus à de nouvelles conquêtes. Délivrée de cette oppression dont elle avait été bien moins l'instrument que la victime, heureuse d'avoir recouvré ses Princes légitimes et avec eux le repos qu'elle pouvait craindre d'avoir perdu pour toujours, elle n'avait point de réclamation à faire, point de prétention qu'elle voulùt former; elle n'en a élevé, elle n'en élèvera aucune; mais il lui restait à désirer que l'œuvre de la restauration s'accomplit pour toute l'Europe comme pour elle..... (V. d'ANGEBERG, p. 540.)

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plus importante que celle de la Pologne dans les termes où celle-ci s'est trouvée réduite. Il est évident que l'Allemagne, après avoir perdu son équilibre propre, ne pourrait plus servir à l'équilibre général, et que son équilibre serait détruit si la Saxe était sacrifiée.

En cherchant à convaincre, je me suis attaché à ne point blesser. J'ai rejeté les opinions que j'ai combattues sur une sorte de fatalité, et j'ai loué les Monarques qui les soutiennent, pour les porter à les abandonner.

Quant à Votre Majesté, je ne lui ai point donné d'éloges; j'ai exposé les ordres qu'Elle nous a donnés ; qu'aurais-je pu dire de plus ? Les faits parlent.

On assure que, de leur côté, les Prussiens avaient préparé une note en réponse à celle de M. de Metternich, et qu'elle était violente; mais que l'Empereur de Russie, à qui elle a été montrée, n'a pas voulu qu'elle fût envoyée.

Lord Castlereagh est comme un voyageur qui a perdu sa route et ne peut la retrouver. Honteux d'avoir rapetissé la question polonaise, et d'avoir épuisé vainement tous ses efforts sur cette question, d'avoir été dupe de la Prusse, quoique nous l'eussions averti, et de lui avoir abandonné la Saxe, il ne sait plus quel parti prendre. Inquiet d'ailleurs de l'état de l'opinion en Angleterre, il se propose, dit-on, d'y retourner pour la rentrée du Parlement, et de laisser ici lord Clancarty pour continuer les négocia

tions.

Les affaires d'Italie marchent dans un assez bon sens :

je suis fondé à espérer que la Reine d'Étrurie aura pour Parme l'avantage sur l'Archiduchesse Marie-Louise, et je

tâche de disposer les choses de manière que ces arrangements se fassent sans toucher aux Légations.

La commission des préséances', pour laquelle j'ai nommé M. de La Tour du Pin, à qui j'ai donné des instructions conformes à celles qu'avait arrêtées Votre Majesté à ce sujet, sera probablement en état de faire son rapport d'ici à dix ou douze jours.

Votre Majesté trouvera peut-être un peu longue la note que j'ai adressée à M. de Metternich, mais je n'ai pas pu la faire plus courte; elle est calculée comme pouvant être un jour publiée et lue en Angleterre comme en France. Tous les mots que j'emploie ont un but particulier que Votre Majesté retrouvera dans ma volumineuse correspondance.

Je suis, etc.

Vienne, 20 décembre 1814.

1 Cette commission était chargée de fixer les préséances et le rang entre les Couronnes, et tout ce qui en était une conséquence.

XXXII

N° 13.

LE ROI AU PRINCE DE TALLEYRAND

Paris, 23-24 décembre 1814,

Mon Cousin, j'ai reçu votre no 16; j'y ai vu avec grande satisfaction la conduite noble et ferme du duc de Saxe-Cobourg et du comte de Munster. Vous savez le cas que je fais de ce dernier, et le duc, outre les liens de parenté entre nous, est frère d'une princesse que j'aime beaucoup, la duchesse Alexandre de Wurtemberg; mais cette satisfaction ne m'empêche pas de regretter que la note ne soit pas signée. l'erba volant, scripta autem manent. Je suis content de votre entretien avec le prince Adam; vous aurez vu dans mon dernier numéro, que je désire une réponse définitive sur l'affaire du mariage, mais que je suis loin de vouloir lui imprimer le caractère d'un marché.

L'affaire de la traite me paraît en bonne position'. Quant

1 Conformément aux dispositions du traité de Paris, le plénipotentiaire français avait proposé la formation d'une nouvelle commission pour régler l'abolition de la traite des nègres. L'opposition du Portugal soutenu par M. de Labrador, ministre d'Espagne, avait fait ajourner la commission, la question devant rentrer dans la voie des simples négociations. La France avait tenu la promesse faite à l'Angleterre, d'interposer ses bons offices pour faire prononcer par toutes les puissances l'abolition de la traite ».

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