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à celle de Naples, qui me touche de bien plus près, il courait dans Vienne, au départ du duc de Richelieu, un bruit infiniment facheux, bruit confirmé par des lettres particu-· lières, mais auquel votre silence à cet égard m'empêche d'ajouter foi, celui que l'Autriche s'était hautement déclarée en faveur de Murat' et cherchait à entraîner l'Angleterre dans la même partie. Le succès de votre lettre à lord Castlereagh, celui des démarches que j'ai ordonnées en conséquence, ne tarderont pas à m'éclairer sur ce que je dois espérer ou craindre. Rien n'est mieux que ce que vous proposez dans cette lettre, mais je ne suis pas sans inquiétude sur ces certaines promesses faites à Murat. Dussionsnous, ce dont je ne suis pas sùr, car Buonaparte a dans ses derniers moments fait anéantir bien des choses, dussionsnous trouver les preuves les plus évidentes, il n'est que trop connu qu'une politique astucieuse sait tirer de tout les inductions qu'elle juge à propos. Quoi qu'il en soit, poursuivons notre marche; jamais on ne m'y verra faire un seul pas en arrière.

C'était pour l'avantage du canton de Berne que j'avais consenti à l'échange d'une portion du pays de Gex; mais

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«< Un général qui est encore presque au service de Murat, qui a encore sa femme à Naples, qui a de l'esprit et qui rentre au service du Roi, si cependant la liberté avec laquelle il a répondu au maréchal Soult ne lui casse pas le col, ce général..... est venu me voir. Il m'a même dit que Murat l'en avait prié....., qu'il comptait sur les engagements de l'Autriche, qu'ils étaient anciens et renouvelés encore récemment; que l'on avait tort, à ce qu'il disait, de n'avoir jamais voulu s'entendre avec lui..... Vous en savez sur cela plus que Murat et peut-être plus que le prince de Metternich. Pour moi, je ne parle que de feu Murat, et ne le tiens pas même pour le ci-devant général Murat. » (Jaucourt à Talleyrand, 14 février.)

puisqu'on ne veut pas des conditions que j'y avais mises, je refuserai toute espèce de consentement, et je ne l'accorderai pas davantage à un arrangement qui enlèverait quelque chose de plus au Roi mon beau-frère'. Sur quoi, etc.

No 14.

XXXIII

LE ROI AU PRINCE DE TALLEYRAND

27 décembre 1814.

Mon Cousin, je viens de recevoir la nouvelle qu'un traité de paix et d'amitié a été signé le 24, entre l'Angleterre et les États-Unis. Vous en serez sûrement instruit avant que cette dépêche vous parvienne, et je ne doute pas des démarches que vous avez faites en conséquence. Néanmoins, je me hâte de vous charger, en félicitant de ma part lord Castlereagh sur cet heureux événement, de lui faire observer le parti que la Grande-Bretagne peut en tirer. Libre désor

1 Victor-Emmanuel Ier, roi de Sardaigne.

2 Sous la présidence de James Madison, la guerre fut déclarée à l'Angleterre par les États-Unis, qui défendaient le principe de la liberté des mers (1811-1814). La paix fut conclue à Gand le 24 décembre 1814, sur le pied du statu quo ante bellum. Suivant moi, le duc de Wellington a beaucoup influé sur la conclusion de la paix. »

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(Jaucourt à Talleyrand, 28 décembre 1814.)

mais de disposer de tous ses moyens, quel plus noble emploi en peut-elle faire que d'assurer le repos de l'Europe sur les bases de l'équité, les seules qui soient vraiment solides? Et peut-elle y mieux parvenir qu'en s'unissant étroitement avec moi? Le Prince-Régent et moi nous sommes les plus désintéressés dans cette affaire; car la Saxe ne fut jamais l'alliée de la France, jamais Naples ne fut mème à portée de l'assister dans aucune guerre, et il en est de même relativement à l'Angleterre. Je suis, il est vrai, le plus proche parent des deux Rois; mais je suis, avant tout, Roi de France et père de mon peuple. C'est pour l'honneur de ma Couronne, c'est pour le bonheur de mes sujets, que je ne puis consentir à laisser établir en Allemagne un germe de guerre pour toute l'Europe; que je ne puis souffrir en Italie un usurpateur, dont l'existence, honteuse pour tous les Souverains, menace la tranquillité intérieure de tous les États. Les mêmes sentiments animent le PrinceRégent, et c'est avec la plus vive satisfaction que je le vois plus en mesure de s'y livrer.

Je viens de vous parler en Roi; je ne puis maintenant me refuser à vous parler en homme. Il est un cas que je ne devrais pas prévoir, où je ne songerais qu'aux liens du sang, si les deux Rois mes cousins étaient, comme je le fus longtemps, privés de leur sceptre, errants sur la face de la terre; alors je m'empresserais de les recueillir, de subvenir à leurs besoins, d'opposer mes soins à leur infortune, en un mot, d'imiter à leur égard ce que plusieurs Souverains et surtout le Prince-Régent ont fait au mien, et comme eux, je satisferais à la fois mon cœur et ma dignité; mais ce cas

n'arrivera jamais, j'en ai pour garants certains la générosité de quelques-uns, l'intérêt de tous. Sur quoi, etc.

No 18.

XXXIV

Vienne, 28 décembre 181'.

SIRE,

Pendant que j'écrivais à M. de Metternich la lettre dont j'ai eu l'honneur d'envoyer une copie à Votre Majesté, les Prussiens répondaient à sa note du 10 décembre, rappelaient celle qu'il leur avait adressée le 22 octobre, et le mettaient en opposition avec lui-même; ils cherchaient à justifier leurs prétentions sur la Saxe par des autorités et des exemples, et contestaient surtout l'exactitude des calculs sur lesquels M. de Metternich s'était appuyé.

Lord Castlereagh vint chez moi avec cette réponse des Prussiens qu'il avait eu la permission de me communiquer. (Elle me sera donnée, et j'aurai l'honneur de l'envoyer à Votre Majesté par le prochain courrier'.) Il me l'a lue. Je traitai leurs raisonnements de sophismes. Je montrai que leurs autorités étaient sans poids et leurs exemples sans force, les cas ni les temps n'étant les mêmes ; à mon tour, je fis lire à lord Castlereagh ma note à M. de Metternich. Il la

1 V. D'ANGEBERG, p. 1863.

lut très-posément, il la lut en entier, et me la rendit sans proférer un mot, soit pour approuver, soit pour contredire.

L'objet de sa visite était de me parler d'une commission qu'il voulait proposer d'établir pour vérifier les calculs respectivement produits par la Prusse et par l'Autriche. Je lui dis que je n'avais contre cela aucune objection à faire, mais que si nous procédions pour cet objet comme l'on avait fait jusqu'à présent pour tant d'autres, allant au hasard, sans principes et sans règles, nous n'arriverions à aucun résultat; qu'il fallait donc commencer par poser des principes; qu'avant de vérifier des calculs, il fallait reconnaître les droits.du Roi de Saxe; que nous pouvions faire à ce sujet, lui, M. de Metternich et moi, une petite convention. « Une convention, reprit-il, c'est donc une alliance que vous proposez? - Cette convention, lui dis-je, peut très-bien se faire sans alliance; mais ce sera une alliance si vous le voulez ; pour moi, je n'y ai aucune répugnance. Mais une alliance suppose la guerre, ou peut y mener, et nous devons tout faire pour éviter la guerre. Je pense comme vous; il faut tout faire, excepté de sacrifier l'honneur, la justice et l'avenir de l'Europe. La guerre, répliqua-t-il, şerait vue chez nous de mauvais œil. La guerre serait populaire chez vous si vous lui donniez un grand but, un but véritablement européen. Quel serait ce but? - Le rétablissement de la Pologne'. »

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1 De toutes les questions qui devaient être traitées au Congrès, le Roi aurait considéré comme la première, la plus grande, la plus éminemment euro

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