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là tout ce qui est bon et tout ce qui est utile ne soit publié. Et l'armée1? Elle est toute au Roi. Cent trente mille hommes sont sous les drapeaux, et au premier appel trois cent mille pourraient les joindre. -Les maréchaux ?? 2? Lesquels, Sire? - Oudinot? — Il est dévoué au Roi. Soult?-Il a eu d'abord un peu d'humeur : on lui a donné le gouvernement de la Vendée, il s'y conduit à merveille; il s'y est fait aimer et considérer. - Et Ney?— Il regrette un peu ses dotations; Votre Majesté pourrait diminuer ce regret. — Les deux Chambres? Il me semble qu'il y a de l'opposition! Comme partout où il y a des assemblées délibérantes; les opinions peuvent différer, mais les affeetions sont unanimes; et dans la différence d'opinions, celle

1 Le ministre de la guerre écrivait le 8 octobre à M. de Talleyrand: L'armée est sur tous les points du Royaume dans une soumission parfaite, et il y a sur le passage des princes des témoignages aussi louables que satisfaisants de la part de tous les corps. »

2 A la même date, M. de Jaucourt écrivait à M. de Talleyrand :

J'ai donné hier un grand dîner à beaucoup de généraux : le général Maison et son état-major, le duc de Plaisance, etc., etc. J'ai été assez content d'eux. Dire qu'ils soient sans regret, sans humeur, ce serait trop; mais ils aiment le Roi, et tous conviennent qu'il faut revenir à l'état militaire de 1792, et non à celui de Bonaparte. Sûrement, la noblesse militaire de nouvelle date jalouse la noblesse héréditaire... »

3 Il est difficile de se faire une idée du décousu et du peu d'ensemble de l'administration. Chaque jour en fournit quelque preuve nouvelle.....

« Avec une uniformité de principe et d'action l'on ne verrait pas aujourd'hui la Chambre des députés séparer dans l'esprit de la nation le Roi de ses ministres. Chose fâcheuse! les mécontents se montrent, parlent, agissent avec plus d'audace que jamais. Cela va jusqu'à faire craindre un mouvement aux gens même les plus sensés. Je vous l'ai déjà écrit: le commerce est tourmenté, les manufactures sont paralysées, les propriétaires surchargés d'impôts que l'on exige avec une barbare rigidité, même dans les pays où les alliés n'ont laissé que la misère. Les droits réunis et le monopole sur les tabacs s'exercent comme sous Bonaparte, et même avec

du Gouvernement a toujours une grande majorité.

Mais

il n'y a pas d'accord? Qui a pu dire de telles choses à Votre Majesté? Quand après vingt-cinq ans de révolution, le

un peu plus de rigueur. Et avec tant de motifs de déplaire, l'administration manque de nerf et de considération.

« A toutes ces causes vient se joindre ce que j'appelle la fièvre d'humiliation, que beaucoup de personnes s'efforcent d'inoculer.

« Sûres de toucher une corde qui vibre toujours chez les Français, elles vous répètent partout que nous devons venger nos injures, laver notre honte dans le sang des ennemis; que l'Anglais est tout et peut tout en France, qu'il nous cerne au nord avec des forces considérables pour nous dicter ensuite des lois; que Wellington gouverne à Paris; qu'il faut secouer ce joug honteux, etc., etc.

« Je vous prie de faire une sérieuse attention à cette observation, qui échappe peut-être à beaucoup de gens. Croyez que, sous ce rapport, le mal est grand.

Il n'est pas que le Gouvernement n'ait des moyens de combattre adroitement ce point d'honneur, faux du moins dans les circonstances actuelles; il a à sa disposition tous les journaux, tous les pamphlétaires...

« Pour nous tirer de la situation vraiment fâcheuse où nous sommes, il faudrait à la tête de l'administration un homme qui eût la confiance et l'amitié du Roi, et auquel il se livrât sans réserve. Mais il faudrait aussi que cet homme connùt la France, ne fût que d'un seul parti, celui des Français de 1814; fùt bien convaincu que pour avancer il ne faut pas reculer.

Il faudrait qu'il sentit bien que l'on ne peut fonder d'une manière solide l'ordre de choses actuel que sur les idées, les lumières, les progrès du siècle; que toute autre base est une base de sable; que le passé ne se lie au présent que pour lui servir de flambeau et éclairer l'avenir, et non que l'avenir se lie au présent pour retourner au passé.

« Nous n'avons malheureusement cet homme-là qu'en deux personnes (M. de Blacas et M. de Talleyrand); vous les connaissez. Depuis votre départ, vous avez prodigieusement grandi dans l'opinion. Les nombreuses fautes que l'on commet y contribuent. J'ai entendu avec plaisir des personnes importantes me dire franchement qu'il n'y avait de moyen de salut qu'en se rattachant à vous, parce que c'était se rattacher au Roi et à la Constitution.

« Un bruit vrai ou faux, qui a circulé ici dans toutes les classes, vous a été bien favorable. On a dit généralement (et moi je vous assure que je le crois sérieusement) que ce n'était qu'à vous personnellement que

Roi se trouve en quelques mois aussi bien établi que s'il n'eût jamais quitté la France, quelle preuve plus certaine peut-on avoir que tout marche vers un même but? Votre position personnelle? La confiance et les bontés du Roi passent mes espérances'. .— A présent, parlons de nos affaires; il faut que nous les finissions ici. Cela dépend de Votre Majesté. Elles finiront promptement et heureusement, si Votre Majesté y porte la même noblesse et la même grandeur d'àme que dans celles de la France. Mais il faut que chacun y trouve ses convenances. Et chacun ses droits. - Je garderai ce que j'occupe. - Votre Majesté ne voudra garder que ce qui sera légitimement à Elle. Je suis d'accord avec les grandes puissances. J'ignore si Votre Majesté compte la France au rang de ces puissances. Oui, sûrement; mais si vous ne voulez point que chacun trouve ses convenances, que prétendezvous? - Je mets le droit d'abord et les convenances après3.

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Les convenances de l'Europe sont le droit. Ce lan

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la France devait son admission au Congrès; que l'Autriche faisait même quelques difficultés; mais que vous aviez remis une note également remarquable sous le rapport du talent et du noble caractère qui y est développé. »

(Lettre de d'Hauterive à M. de Talleyrand, 18 octobre 1814.) 1 Le Roi a fait avant-hier votre éloge, mon prince, a loué votre talent, votre conduite au Congrès, et m'a paru dans toute la justesse et la sagacité éminente de son esprit sur ce sujet. (Jaucourt à Talleyrand.)

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Plus tard, il lui écrit : « Il (le Roi) me semble convaincu que si vous ne réussissez pas à tout ce qu'il désire, vous réussirez à tout ce qui est nécessaire, juste et utile pour la France.▾

2. Il faut espérer qu'en Europe on cessera de transformer la force en droit, et que l'on prendra pour règle non la convenance, mais l'équité.

(Circulaire de M. de Talleyrand aux ambassadeurs, le 3 octobre 1814.)

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gage, Sire, n'est pas le vôtre; il vous est étranger, votre cœur le désavoue. Non; je le répète, les convenances de l'Europe sont le droit. » Je me suis alors tourné vers le lambris près duquel j'étais; j'y ai appuyé ma tête, et frappant la boiserie, je me suis écrié : « Europe! malheureuse Europe!» Me retournant du côté de l'Empereur : « Sera-t-il dit, lui ai-je demandé, que vous l'aurez perdue? Il m'a répondu : « Plutôt la guerre que de renoncer à ce que j'occupe. » J'ai laissé tomber mes bras, et dans l'attitude d'un homme affligé, mais décidé, qui avait l'air de lui dire: La faute n'en sera pas à nous, j'ai gardé le silence. L'Empereur a été quelques instants sans le rompre, puis il a répété : « Oui, plutôt la guerre. » J'ai conservé la même attitude. Alors, levant les mains et les agitant comme je ne lui avais jamais vu faire, et d'une manière qui m'a rappelé le passage qui termine l'Eloge de Marc-Aurèle, il a crié plutôt qu'il n'a dit : « Voilà l'heure du spectacle, je dois y aller, je l'ai promis à l'Empereur, on m'y attend. » Et il s'est éloigné; puis, la porte ouverte, revenant à moi, il m'a pris le corps de ses deux mains, il me l'a serré en me disant, avec une voix qui n'était plus la sienne : (C Adieu, adieu, nous nous reverrons. » Dans toute cette conversation, dont je n'ai pu rendre à Votre Majesté que la partie la plus saillante, la Pologne et la Saxe n'ont pas été nommées une seule fois, mais seulement indiquées par des circonlocutions; c'est ainsi que l'Empereur voulait désigner la Saxe en disant : Ceux qui ont trahi la cause de l'Europe. A quoi j'ai été dans le cas de répondre Sire, c'est là une question de

date'; t après une légère pause j'ai pu ajouter : et l'effet des embarras dans lesquels on a pu être jeté par les cir

constances.

L'Empereur, une fois, parla des alliés; je relevai cette expression comme je l'avais fait à la conférence, et il la mit sur le compte de l'habitude.

Hier, qui devait être le jour de la seconde conférence, M. de Mercy me fut député par M. de Metternich pour me dire qu'elle n'aurait pas lieu.

Un ami de M. de Gentz, l'étant allé voir dans l'après-midi, l'avait trouvé très-occupé d'un travail qu'il lui dit être trèspressé. Je crus que c'était une réponse à ma note.

Le soir, chez le prince de Trautmansdorff, les plénipotentiaires me reprochèrent de la leur avoir adressée et surtout de lui avoir donné en la signant un caractère officiel. Je leur dis que comme ils écrivaient et signaient entre eux, j'avais cru qu'il fallait aussi écrire et signer. J'en conclus que ma note ne laissait pas que de les embar

rasser.

Aujourd'hui, M. de Metternich m'a écrit qu'il y aurait conférence ce soir à huit heures, puis il m'a fait dire qu'il n'y en aurait pas parce qu'il était mandé chez l'Empe

reur.

Telle est, Sire, la situation présente des choses.

Votre Majesté voit que notre position ici est difficile : elle peut le devenir chaque jour davantage. L'Empereur

1 Talleyrand rappelait ainsi discrètement à Alexandre Ier que lui aussi avait trahi la cause des Rois en 1807. (Traité de Tilsitt.)

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