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La France, dans une guerre aussi noblement faite, achèverait de reconquérir l'estime et la confiance de tous les peuples; une telle conquête vaut mieux que celle d'une ou de plusieurs provinces, dont la possession n'est heureusement nécessaire ni à sa force réelle ni à sa prospérité'.

Je suis, etc.

Vienne, 4 janvier 1815.

1 ·

Après avoir reconnu que le territoire de la République française suffit à sa population et aux immenses combinaisons d'industrie que doit faire éclore le génie de la liberté; après s'être bien persuadé que le territoire ne pourrait être étendu sans danger pour le bonheur des anciens comme pour celui des nouveaux citoyens de la France, on doit rejeter sans détour tous les projets de réunion, d'incorporation étrangère, qui pourraient être proposés par un zèle de reconnaissance ou d'attachement plus ardent qu'éclairé. On doit être convaincu que toute acceptation ou même tout désir public de ce genre de la France contrarierait, d'abord sans honneur et sans profit, ensuite avec péril pour elle, des renonciations faites si solennellement et avec tant de gloire, et dont l'Europe est loin d'attendre l'inexécution au moment où elle s'unit par des vœux au succès d'une cause qu'elle croit ne pouvoir être souillée ni par l'ambition, ni par l'avidité. La France doit donc rester circonscrite dans ses propres limites : elle le doit à sa gloire, à sa justice, à sa raison, à son intérêt et à celui des peuples qui seront libres par elle.›

(Mémoire de Talleyrand, du 25 novembre 1792.)

No 20.

XXXVII

Vienne, 6 janvier 1815.

SIRE,

Le courrier par lequel j'ai eu l'honneur d'adresser à Votre Majesté la convention que M. de Metternich, lord Castlereagh et moi, nous avons signée le 3 de janvier, était parti depuis vingt-quatre heures, quand j'ai reçu la lettre dont Votre Majesté a daigné m'honorer en date du 27 décembre. En augmentant l'espérance où j'étais de n'avoir, en cette occasion, rien fait qui n'entrât dans les intentions et les vues de Votre Majesté, elle a été la plus douce récompense de mes efforts pour obtenir un résultat si heureux et naguère encore si peu probable. Je n'ai pas senti avec une émotion moins profonde combien il est doux de servir un maître dont les sentiments, comme Roi et comme homme, sont si généreux, si touchants et si nobles.

Je venais de recevoir la lettre de Votre Majesté, quand lord Castlereagh est entré chez moi. J'ai cru devoir lui en lire les passages qui se rapportent à lui et au Prince-Régent. Il y a été extrêmement sensible, et désirant faire connaître à sa Cour dans quels termes Votre Majesté parle du Prince, il m'a prié de lui en laisser prendre note, à quoi j'ai con

senti, par la double considération que ce serait, comme il me l'a dit, un secret inviolable, et que les éloges donnés par Votre Majesté au Prince-Régent pouvaient, dans les circonstances présentes, produire le meilleur effet.

L'Empereur de Russie renvoie à Paris le général Pozzo', après l'avoir tenu ici deux mois et demi sans le voir qu'une seule fois, et quelques-uns prétendent qu'il le renvoie comme un censeur qui s'explique trop librement, et qu'il désire éloigner. L'Empereur de Russie voudrait que Votre Majesté crùt que c'est par égard pour Elle et pour faire une chose qui lui fùt agréable, qu'il a donné l'idée de donner au Roi de Saxe quelques centaines de mille àmes sur la rive gauche du Rhin pour lui tenir lieu de son Royaume; le général Pozzo doit être chargé de travailler à obtenir que Votre Majesté consente à cet arrangement.

Mais Votre Majesté sait que la question de la Saxe ne

1 Le 4 avril 1814, l'Empereur Alexandre accréditant le général-major Pozzo di Borgo pour résider auprès du Gouvernement provisoire en qualité de commissaire général, disait de lui:

Il jouit de toute ma confiance, et la justifiera sûrement encore dans cette occasion, en ne négligeant aucun moyen de cimenter les rapports de paix et d'amitié si heureusement établis entre la Russie et la France..

2 La note du comte de Nesselrode, du 31 décembre 1814, proposait de donner la Saxe à la Prusse et de former un État séparé, de la population de sept cent mille âmes, sur la rive gauche du Rhin. Get État aurait été donné au Roi de Saxe, pour être possédé en toute propriété et souveraineté par lui et pour passer à tous ses descendants, d'après l'ordre de succession qu'il lui aurait plu de fixer. Dans ce système, le Roi de Saxe occupait une place dans le premier Conseil de la diète germanique, et la forteresse de Luxembourg devenait une place forte de la ligue germanique, dépendant directement d'elle.

doit pas être considérée seulement sous le rapport de la . légitimité, et qu'elle doit l'être encore sous le rapport de l'équilibre; que le principe de la légitimité serait violé par la translation forcée du Roi de Saxe sur le Rhin, et que le Roi de Saxe n'y donnerait jamais son consentement; enfin que, la légitimité à part, la Saxe ne saurait être donnée à la Prusse sans altérer sensiblement la force relative de l'Autriche, et sans détruire entièrement tout équilibre dans le corps germanique.

Ainsi, les tentatives de l'Empereur de Russie, à Paris comme à Vienne, échoueront contre la sagesse de Votre Majesté, qui a mis sa gloire à défendre les principes sans lesquels il ne peut y avoir rien de stable en Europe, ni dans aucun État en particulier, parce qu'eux seuls peuvent garantir la sécurité de chacun et le repos de tous.

Le langage soutenu de M. le général Pozzo, à Vienne, était trop favorable à la France pour se trouver d'accord avec ce que voulait faire ici l'Empereur de Russie. M. Pozzo doit partir dimanche ou lundi, c'est-à-dire le 8 ou le 9.

Je persiste à croire que le cas de guerre auquel se rapporte l'union formée entre Votre Majesté, l'Angleterre et l'Autriche, ne surviendra pas. Cependant, comme il est de la prudence de prévoir le pis et de se préparer à tout événement, il m'a paru nécessaire de songer aux moyens de rendre, le cas arrivant, l'union plus forte en y faisant entrer de nouvelles puissances. J'ai donc proposé à lord Castlereagh et à M. de Metternich d'agir conjointement avec nous auprès de la Porte Ottomane, pour la disposer à faire, au besoin, une utile diversion. Ils ont adopté ma

proposition, et il a été convenu que nous concerterions une instruction à donner aux ministres de chacune des trois Cours à Constantinople'. Je crois utile que Votre Majesté presse le départ de son ambassadeur.

Il serait peut-être avantageux d'établir un concert semblable avec la Suède; mais les moyens d'y parvenir ont besoin d'être pesés, et je me réserve d'en entretenir Votre Majesté dans une autre lettre2.

Le service funèbre du 21 janvier se fera dans la cathé

1 M. le marquis de Rivière (France), M. Liston (Grande-Bretagne), M. Stürmer (Autriche), représentaient alors ces trois puissances à Constantinople.

2 Nous avons à fixer de nouveau votre attention sur les journaux français, et en particulier sur ce qu'ils rapportent du Prince Royal de Suède. Ils le confondent avec Murat, sans avoir égard à la différence de leur situation et de nos engagements avec eux. L'état présent de l'Europe, qui a tant à craindre de l'esprit d'envahissement du Cabinet russe, et tout à espérer d'un accord unanime entre les anciens Cabinets, nous commande de grands ména– gements pour la Suède, et semble nous faire une loi de ne rien négliger pour vivre en bonne intelligence avec elle..... Nous croyons devoir vous rapporter quelques observations d'un caractère presque officiel, adressées à M. de Noailles par M. le comte de Lövenhielm, plénipotentiaire suédois au Congrès. Nous vous citons ses propres paroles :

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« Le ci-devant Roi de Suède se propose de passer en France. J'ai lieu de <croire qu'il le désire; les gazettes le disent. Nous avons été témoins de ce qu'il a fait pour la Maison de Bourbon: nous ne saurions imaginer que le Roi de France, dont nous connaissons la générosité, lui refusât un «asile. Nous demandons seulement une communication quelconque à ce sujet, et nous serons satisfaits.

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Le Prince Royal est parfaitement établi en Suède depuis la réunion de «la Norvége. Il a une grande popularité et une grande autorité. Il veut se lier d'amitié avec la France. Nous demandons de vous fort peu de chose. Le Prince de Suède connaît son origine; il aura toujours un ⚫ sentiment d'inquiétude; il a besoin de quelques témoignages de considération. C'est un parvenu enfin; il en a les susceptibilités, et nous ne saurions les empêcher. Mais il sera sensible aux moindres égards; un mot,

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