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le fait M. de Metternich, qui, selon lui, n'a point de caractère à soutenir. Pour celui-ci, il n'est nullement embarrassé de changer d'opinion. Le 10 du mois dernier, il trouvait que c'était assez que de donner à la Prusse quatre cent mille âmes sur la Saxe; aujourd'hui, il en donnera le double sans scrupule : le 22 octobre, il en voulait la destruction totale. La question de la Saxe est, sous le rapport de l'équilibre, celle de l'Autriche, plus que d'aucune autre puissance, mais M. de Metternich la traite avec une légèreté et une insouciance dont je suis toujours émerveillé, quelque habitude que j'aie de les lui voir.

Quant à nous, Sire, pour ne nous point contredire, et ne pas changer d'un jour à l'autre de langage, nous n'avons qu'à faire exactement ce que Votre Majesté nous a

ordonné. C'est l'avantage que l'on a en suivant des principes qui ne changent point, et non des fantaisies qui changent sans cesse.

Ce sera décidément dans l'église cathédrale que sera fait le service du 21 janvier. L'archevêque, qui a été malade ces jours-ci, est mieux, et il faudrait une rechute violente pour qu'il n'officiât pas.

Je suis, etc.

Vienne, 10 janvier 1815.

No 17.

XL

LE ROI AU PRINCE DE TALLEYRAND

11 janvier 1815.

Mon Cousin, j'ai reçu votre numéro 19. Celui-ci sera court; pleine satisfaction de votre conduite, entière approbation du traité, dont le courrier vous porte la ratification: en voilà toute la matière. Je m'en vais expédier le général Ricard, avec toute la célérité possible, et tout le mystère dont je sens la nécessité.

Je suis vivement touché du service qui sera célébré le 21. Vous apprendrez avec un pareil sentiment que, ce jour-là même, les précieux restes du Roi et de la Reine seront transportés à Saint-Denis. Sur quoi, etc.

Le 12 au matin. Je rouvre ma lettre pour vous dire que le général Ricard est en ce moment à Toulouse, où il commande une division; j'ai fait partir cette nuit un courrier pour lui porter l'ordre de se rendre sur-le-champ à Paris.

No 18.

XLI

LE ROI AU PRINCE DE TALLEYRAND

15 janvier 1815.

Mon Cousin, j'ai reçu votre numéro 20. Dans ma dernière dépêche, me croyant plus pressé que je ne l'étais, parce que je n'avais pas bien calculé le temps nécessaire pour rédiger les ratifications, j'ai été fort laconique. Mais croyez qu'en lisant votre numéro 19, j'ai éprouvé le même sentiment que vous à la réception de ma dépêche du 27 décembre. Je ne m'endors ni ne m'endormirai jamais sur des intérêts comme ceux qui se traitent au Congrès de Vienne. Je pourrais cependant avoir autant de sécurité qu'Alexandre'. J'en ai même eu une partie; car je ne vous ai point dit de communiquer une partie de ma lettre à lord Castlereagh, bien sûr que vous le feriez de vous-même.

Je désire vivement voir se réaliser l'espoir que vous donnez dans votre lettre au comte de Jaucourt, que la Prusse pourra être satisfaite sans usurper la Saxe; alors tout serait dit, et nous aurions la gloire de défaire le nœud

1 Allusion au profond sommeil d'Alexandre le Grand avant la bataille d'Arbelles. Bossuet avait dit du grand Condé, dans sa célèbre Oraison funèbre Il fallut réveiller cet autre Alexandre. »

gordien sans recourir à l'épée. Néanmoins, j'approuve les négociations avec la Porte', et je vais hâter le départ du marquis de Rivière; il n'est pas encore bien remis d'une maladie assez grave, mais je connais son zèle.

J'attends de pied ferme le général Pozzo di Borgo. S'il s'agissait d'un Prince qui ne fût pas déjà Souverain, je pourrais lui voir avec plaisir former un petit État dans mon voisinage; mais pour le Roi de Saxe, dût-il consentir à l'échange, je n'y donnerais pas encore les mains 2.

Être juste envers soi-même est un devoir sacré; l'être envers les autres ne l'est pas moins, et celui qui, n'ayant que des aumônes pour vivre, a refusé d'abandonner ses droits, n'en trahira pas d'aussi légitimes, lorsqu'il com

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J'ai lieu de croire que l'Empereur de Russie consentira à comprendre la Turquie dans les garanties générales que l'on est dans l'intention de stipuler pour toutes les Puissances, après l'arrangement des affaires qui se traitent au Congrès. (Talleyrand au Département, 3 mars 1815.) 2. J'ai dîné hier au Palais-Royal..... Les ministres du Wurtemberg, de Hollande, du Danemark et M. de Butiakin y dînaient. M. de Zeppelin a dit nettement à M. le duc d'Orléans que le Roi de Prusse s'était prononcé sur la Saxe, qu'il avait résolu de servir les intérêts du Roi de Saxe, en ce sens qu'il obtiendrait un dédommagement, mais que lui décidément garderait la Saxe. M. de Butiakin m'a montré des sentiments très-conciliants, regrettant l'erreur qui entraîne l'Empereur vers les idées de restauration polonaise, mais assurant que son Maître est disposé à des sacrifices, et prenant à tâche d'établir que l'Empereur Alexandre n'obéit à aucune influence et se décide, d'après lui, dans l'intention peut-être un peu exaltée du bien public. » (Jaucourt à Talleyrand, 15 janvier 1815.)

3 Louis XVIII fait allusion à sa vie errante et précaire en Italie, en Courlande, en Prusse, en Pologne et en Angleterre.

4 En 1814, il avait déjà dit à l'Empereur Alexandre, qui s'étonnait de lui voir reprendre l'ancienne formule Roi de France et de Navarre par la grâce de Dieu » :

« Le droit divin est une conséquence du dogme religieux, de la loi du

mande à plus de vingt-cinq millions d'hommes et que, outre la justice, il a l'intérêt de l'Europe à défendre.

La question de la Suède est fort délicate. Le dernier traité a mis la Russie dans une telle position, qu'elle peut sans beaucoup d'efforts arriver à Stockholm. Est-il prudent d'engager un Royaume dans une guerre aussi dangereuse, sans lui garantir, en cas de revers, des indemnités qu'il serait difficile même de trouver? Gustave IV m'a dit plus d'une fois qu'il regardait son oncle comme légitime Roi de Suède; mais en abdiquant pour lui-même, ce malheureux Prince a-t-il pu abdiquer pour son fils ? En admettant cette hypothèse, qui légitimerait l'élection de Bernadotte, l'existence de ce dernier n'a-t-elle aucune conséquence qui puisse faire hésiter à s'allier avec lui? Je lirai avec intérêt vos réflexions sur ces divers points.

Mais l'existence de Bernadotte me ramène à une autre bien plus dangereuse, à celle de Murat. Ma dépêche du 27 décembre roulait sur Naples et sur la Saxe; nous sommes en bonne mesure pour cette dernière, travaillons avec le même zèle et le même succès à l'autre '

pays. C'est par cette loi que, depuis huit siècles, la Monarchie est héréditaire dans ma famille. Sans le droit divin, je ne suis qu'un vieillard infirme, longtemps proscrit, réduit à mendier un asile; mais, par ce droit, le proscrit est Roi de France.

1. On le (Murat) dit très-inquiet, disant à tout propos qu'il n'ira pas s'enterrer dans une île d'Elbe, mais parlant avec confiance de ses troupes, de l'esprit public de l'Italie, et de soixante mille hommes prêts à s'armer pour l'indépendance, si l'Autriche ne respectait pas ses engagements.

(Jaucourt à Talleyrand, 15 janvier 1815.)

Le Roi m'a paru, comme à l'ordinaire, très-satisfait du cours de vos progrès et du succès qui paraît probable quant à la Saxe; mais il a dit à

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