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dans une Princesse que le cours des événements peut appeler à monter sur le trône de France. Car aucun peuple n'éprouve autant que les Français le besoin de pouvoir dire des princes auxquels ils sont soumis :

Le monde en les voyant reconnaîtrait ses maîtres.

La Grande-Duchesse paraît avoir été élevée avec beaucoup de soin. Aux avantages de la figure elle joint, à ce que l'on dit, la bonté. Elle a vingt et un ans; ce qui fait que l'on n'aurait point à craindre pour elle les suites souvent funestes d'un mariage trop précoce. Elle avait été destinée au Duc actuellement régnant de Saxe-Cobourg avant que Buonaparte l'eût demandée. Il n'a tenu qu'à celui-ci de l'épouser; car il est certain que l'on ne demandait pas mieux que de la lui donner, s'il eût pu et voulu attendre. Je ne sais si de ces deux circonstances on pourrait tirer une sorte d'objection contre l'union de cette princesse avec M. le duc de Berry, mais je dois dire que j'aimerais beaucoup mieux qu'elles n'eussent point existé, si le mariage devait se faire.

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La nécessité où serait la Grande-Duchesse, non pas de changer de religion, mais d'en changer de telle sorte qu'il paraîtrait impossible d'attribuer son changement à d'autres motifs que des motifs purement politiques, fournirait une objection qui ne me paraît pas sans force; car cela ten

2o Alexandra, femme de l'Archiduc Joseph, morte en 1801; 3o Hélène, femme du duc de Mecklembourg-Strélitz, morte en 1803; 4o Marie, grandeduchesse de Saxe-Weimar, morte en 1859; 5o Catherine; 6o Anne.

drait inévitablement à favoriser parmi les peuples ce sentiment d'indifférence religieuse qui est la maladie des temps où nous vivons.

Le mariage ne liant pas seulement ceux qui le contractent, mais aussi leurs familles, les convenances entre celles-ci doivent être comptées en première ligne, même dans les mariages des particuliers, à plus forte raison dans ceux des Rois ou des Princes qui peuvent être appelés à le devenir. Que la Maison de Bourbon s'allie avec des Maisons qui lui soient inférieures, c'est une nécessité pour elle, puisque l'Europe n'en offre point qui lui soient égales. Je n'objecterai donc point que la Maison de Holstein, quoique occupant les trois trônes du Nord, est comparativement nouvelle entre les Rois. Mais je dirai que, quand la Maison de Bourbon en honore une autre de son alliance, il vaut mieux que ce soit une Maison qui s'en tienne pour honorée, que celle qui prétendrait à l'égalité, en croyant que la noblesse et l'antiquité d'origine peuvent être compensées par l'étendue des possessions. Des quatre sœurs de la Grande-Duchesse Anne, l'une avait épousé un Archiduc et les trois autres de petits princes allemands.

La Russie, qui n'a pu placer aucune de ses princesses sur aucun trône, en verra-t-elle une appelée à celui de France? Une telle perspective serait, j'ose le dire, une trop grande fortune pour elle, et je n'aimerais point que M. le duc de Berry se trouvât de la sorte dans des rapports de parenté fort étroits avec une foule de princes placés dans les dernières divisions de la Souveraineté.

La Russie, en établissant ses princesses comme elle l'a fait, a voulu surtout se ménager des prétextes et des moyens d'intervenir dans les affaires de l'Europe, à laquelle elle était presque inconnue il y a un siècle. Les effets de son intervention ont assez fait sentir les dangers de son influence'. Or, combien cette influence ne serait-elle pas accrue, si une princesse russe était appelée à monter sur le trône de France!

Une alliance de famille n'est pas, je le sais, une alliance politique, et l'une ne mène pas nécessairement à l'autre. Le mariage projeté ne ferait sûrement pas que la France favorisât les vues ambitieuses et les idées révolutionnaires dont l'Empereur Alexandre est plein, et qu'il cherche à voiler sous le nom spécieux d'idées libérales; mais comment empêcher que d'autres puissances n'en prissent une opinion différente, n'en conçussent de la défiance, que cela n'affaiblit les liens qu'elles auraient avec nous, ou ne les détournât d'en former, et que la Russie n'en tirât parti pour l'accomplissement de ses vues?

Telles sont, Sire, les objections dont le mariage de M. le duc de Berry avec la Grande - Duchesse Anne m'a paru susceptible. J'ai dû les exposer sans réserve à Votre Majesté; mais je ne les ai point exagérées. Votre

1 Dès lors (1806-1807), M. de Talleyrand s'effrayait de l'importance que la Russie pouvait prendre en Europe; il opinait sans cesse pour qu'on fondât une puissance indépendante entre nous et les Russes, et il favorisait pour cela les désirs animés, quoique vagues, des Polonais. C'est le Royaume ⚫ de Pologne, disait-il toujours, qu'il faut créer; voilà le boulevard de notre indépendance; mais il ne faut pas le faire à demi.,

(Mémoires de madame de Rémusat, t. III, p. 90.)

Majesté jugera dans sa sagesse si elles ont tout le poids qu'elles me semblent avoir.

J'ajouterai qu'il me paraîtrait conforme à la grandeur de la Maison de Bourbon, surtout à l'époque où toutes ses branches, battues par une même tempête, ont été relevées en même temps, de ne chercher que dans son sein les moyens de se perpétuer. J'entends parler avec beaucoup d'éloge d'une jeune princesse de Sicile, fille du Prince Royal. Le Portugal, la Toscane, la Saxe en offrent d'autres, entre lesquelles Votre Majesté pourrait faire un choix. J'ai l'honneur d'en joindre ici la liste.

Si l'impossibilité de s'entendre sur le point de la religion faisait échouer la négociation du mariage avec la GrandeDuchesse, ou si Votre Majesté jugeait convenable d'y renoncer, je la supplierais de vouloir bien ménager les choses de telle sorte que cette affaire ne fùt décidée sans retour que lorsque nous aurons terminé celles qui nous occupent ici; car, si l'Empereur Alexandre nous a montré si peu de bonne volonté, malgré l'espérance d'un tel établissement pour sa sœur, toute flatteuse que cette espérance est pour lui, à quoi ne devrons-nous pas nous attendre de sa part, une fois qu'il l'aurait perdue?

Je suis, etc.

Vienne, 25 janvier 1815.

ANNEXE DU No 24 bis.

XLVII

AUTRICHE.

Archiduchesse Léopoldine, née le 22 janvier 1797; archiduchesse Marie-Clémentine, née le 1er mars 1798'.

TOSCANE.

Archiduchesse Marie-Louise, née le 30 août 1798*.

SAXE.

Princesse Marie-Amélie, née le 17 août 1794; princesse MarieFerdinande, née le 27 avril 1796 (filles du prince Maximilien 3).

PORTUGAL.

Princesse Marie-Thérèse, née le 29 avril 1793 (veuve de l'ln

1 Toutes deux filles de l'Empereur d'Autriche François II et de sa seconde femme, et sœurs, par conséquent, de l'Impératrice Marie-Louise. L'Archiduchesse Léopoldine épousa l'Empereur du Brésil Dom Pedro Ier et mourut en 1826; elle fut mère de Dona Maria II, Reine de Portugal, de Dom Pedro II, de la comtesse d'Aquila (Deux-Siciles) et de la princesse de Joinville. L'Archiduchesse Marie-Clémentine fut mariée le 28 juillet 1816 au prince de Salerne (Deux-Siciles); elle devint veuve en 1851. Sa fille, morte en 1859, avait épousé le duc d'Aumale.

2 Fille de l'Archiduc Ferdinand (1769-1824), successivement grand-duc de Toscane (1790), de Salzbourg (1803) et de Würzbourg (1806), et de nouveau grand-duc de Toscane (1814); elle ne s'est point mariée; elle est morte en 1852.

3 Toutes deux filles du prince Maximilien, mort en 1838, père d'Auguste III et d'Antoine, successivement Rois de Saxe, et d'une princesse de Parme, et tantes du Roi de Saxe actuel. La première ne s'est point mariée; elle est morte en 1870. La seconde épousa en 1821 Ferdinand, grand-duc de Toscanc, et mourut en 1865.

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