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Le maréchal Soult vous a écrit au sujet de Bouillon'; il s'agit ici de protection et non de possession, et par cette raison il est important que ce duché demeure au prince de Rohan, qui d'ailleurs, nonobstant la protection que l'Angleterre accorde à son antagoniste, a cent fois le bon droit pour lui. Sur quoi, etc.

P. S. Vos idées sur le mariage sont absolument les miennes. Je verrai venir le général Pozzo di Borgo, et ne hâterai rien 2.

1 D'après le traité de Paris, qui replaçait la France dans les limites de 1792, le canton de Bouillon, acquis en 1792, ne pouvait plus être considéré comme appartenant à la France. L'amiral anglais Philippe d'Auvergne contestait le droit sur Bouillon au prince de Rohan-Guéménée. Un haut arbitrage l'attribua à ce dernier, le 1er juillet 1816. Il reçut une indemnité du Roi des Pays-Bas, qui incorpora le duché à ses États.

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(Voir D'ANGEBERG, p. 1206.) 2 La lettre (particulière) au Roi est restée dans son cœur, car M. le duc de Berry m'a dit hier: Est-ce que le prince de T... ne vous en parle pas ? Pourvu qu'il en parle au Roi, Monseigneur, ai-je dit, n'est-ce pas ce qu'il faut?-Dites-moi seulement si c'est rompu avec la Russie. - Du moins, Monseigneur, à la distance où les choses sont placées, personne ne veut faire « un pas de plus. Allons, a-t-il dit; mais écrivez au prince de T... qu'il faut prendre un parti.

(Jaucourt à Talleyrand, 4 février 1815.)

N° 26.

LI

Vienne, 8 février 1815.

SIRE,

Le duc de Wellington est arrivé ici le 1" au soir. Le lendemain, à dix heures du matin, l'Empereur de Russie est allé le voir, et a débuté par lui dire : « Tout va mal en France', n'est-ce pas? - Nullement, lui a répondu le duc.

J'ai vu ces jours-ci M. l'abbé de Montesquiou et M. d'André. Tous deux ne m'ont pas paru satisfaits de la marche des affaires et de la situation des choses. Cela tient à une cause générale, le partage des opinions. La grande et très-grande masse de la nation veut marcher avec une charte constitutionnelle, c'est-à-dire, en d'autres mots, avec les idées, les opinions, la manière de voir et de penser que depuis près d'un siècle les progrès des lumières ont introduits peu à peu en Europe, et surtout en France, mais qui dans ce pays sont encore le résultat de vingt-cinq années de longs malheurs et d'une sanglante expérience. En opposition à cette immense majorité se trouve un parti faible par le nombre, mais fort par le crédit, la puissance, les places, la confiance du Prince, l'ancienne illustration, qui ne prêche que le retour à la vieille Monarchie, à ses abus, à ses usages, à ses préjugés fondamentaux. Ce parti s'empare peu à peu des places importantes dans l'administration, donne à ses adhérents les places subalternes, et par ce moyen cherche à propager ses idées. Ce déplacement journalier des hommes que j'appelle de la Révolution, mais dans la plus honorable acception du mot, mécontente ceux qui sont expulsés, inquiète ceux qui ne le sont pas encore, et effraye tout le monde. Ajoutez à cela que la plupart d'entre les nouveaux élus n'entendent rien à l'administration actuelle, en ce que leur ignorance réagit sur la marche générale des affaires comme leurs avis agissent sur l'opinion de leurs administrés. Voilà où est vraiment le mal. La lutte cependant ne

Le Roi est très-aimé, très-respecté, et se conduit avec une sagesse parfaite. Vous ne sauriez, a répliqué l'Empe

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peut être douteuse; il est clair que la majorité l'emportera. Mais si dans la majorité il y a de la puissance jointe à la résistance, il faudra que le combat s'engage; et où cela nous mènera-t-il?

Cette position des choses, et je ne sais quelles nouvelles qu'on dit avoir reçues d'Italie (et que l'on propage depuis quelques jours), ont fait renaître à l'espérance le parti de Bonaparte. Savary, qui est venu me voir il y a trois jours, me disait avec une confiance tout à fait singulière Nous reverrons Bonaparte, et ce sera bien leur faute (en parlant des Bourbons). J'ai cherché à le désabuser d'une pareille erreur, à lui prouver qu'il avait tort de fonder le plus léger espoir sur le retour de qui que ce soit de cette famille, en horreur au peuple français et à l'Europe. Je me suis aperçu que mes efforts n'allaient pas jusqu'à la persuasion. Je sens que Daru et Maret ont la même opinion. Ce dernier est exactement informé de tout ce qui se passe par le petit Monnier, son ci-devant secrétaire intime, que je ne sais quelle fatalité a placé près de M. d'André et assez avant dans sa confiance. On m'a assuré que ce dernier commence à s'apercevoir qu'il est mal entouré, qu'il le dit. Mais pourquoi tarder à se débarrasser de ceux qui le gênent et lui nuisent?

Une autre qui semble de peu d'importance, mais dont les effets sont journaliers et sensibles, parce qu'elle agit sur la vanité de la nation, c'est l'espèce d'humiliation dans laquelle le Gouvernement la place vis-à-vis des étrangers. Les journaux anglais ou espagnols sont remplis d'injures grossières contre nous. Il est défendu d'y répondre; il est défendu d'insérer un seul mot dans un journal français contre les Anglais ou les Espagnols. On a supprimé d'une tragédie écrite et représentée en 1769 ce vers :

L'Angleterre en forfaits de tout temps fut féconde.

« Qu'arrive-t-il lorsqu'on joue cette pièce? Tout le parterre récite le vers. On se demande avec raison si M. le comte de la Châtre oserait demander à Londres la suppression d'un seul hémistiche de Shakespeare, et, dans le cas où il l'oserait, si le Gouvernement y consentirait. Tout cela augmente l'exaspération contre les Anglais, et ceux qui sont venus à Paris ou qui y sont encore ont dû s'en apercevoir très-fréquemment. Il serait plus convenable sans doute que l'on ne se dît point d'injures. Mais puisque nous sommes en butte à tout ce que la haine peut inspirer à nos voisins de plus offensant, qu'on nous laisse au moins y répondre.

« C'est à vous que se rallient tous les partisans de la Charte et des idées, je dirai encore libérales, quoique l'on ait tant abusé de ce mot. Votre séjour à Vienne vous a grandi dans l'opinion, et votre longue absence a fait

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reur, rien dire qui me fasse autant de plaisir. Et l'armée?

Pour faire la guerre au dehors, et contre quelque puissance que ce soit, a répondu Wellington, l'armée est aussi excellente qu'elle ait jamais été; mais dans des questions de politique intérieure, elle ne vaudrait peut-être rien. » Ces réponses, à ce que m'a dit le prince Adam, ont plus frappé l'Empereur qu'il n'a voulu le témoigner. Elles ont certainement influé sur la détermination qu'il était pressé de prendre sur l'affaire de la Saxe, qui, lors de l'arrivée du duc de Wellington, offrait encore bien des difficultés. On peut les regarder comme aplanies.

Ce n'est point devant l'Empereur de Russie seulement que le duc de Wellington a loué Votre Majesté. Il répète partout ses éloges, ne se bornant point à des termes généraux, mais entrant dans des détails, et citant des faits, et ajoutant ainsi à la haute estime qu'inspirait ici le caractère de Votre Majesté. Il a parlé de l'affaire de Saint-Roch comme d'une chose qui n'était rien'. Les journaux d'Alle

plus vivement sentir le besoin de votre présence. Croyez qu'il n'y a pas

tout ceci l'ombre d'une adulation. »

(D'Hauterive à Talleyrand, 14 février 1815.)

dans

Nous sommes loin de faire aussi rondement et aussi bien ici que vous à Vienne. L'enterrement de cette pauvre Raucourt a été une mauvaise et ridicule malencontre. Ce curé de Saint-Roch a le malheur d'être toujours une occasion de trouble. On avait demandé au Roi ce qu'il jugeait convenable; le Roi, avec sa prudence et sa raison parfaites, avait répondu Je ne trouve nullement mauvais que le corps de mademoiselle Raucourt soit présenté à l'église, mais je ne veux pas donner d'ordres au clergé. Ni l'officialité, ni le ministère des cultes, ni les amis de mademoiselle Raucourt n'avaient prévenu d'André, et d'André précisément s'attendait que la cérémonie ne se ferait que le lendemain et que l'on viendrait l'en informer. Ni Maison, ni Grundeler, ni aucune autorité n'était prévenue. Le

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magne l'avaient fort grossie. Il convient que tout n'est pas en France ce qu'il serait à désirer qu'il fût, mais il ajoute qu'il le deviendra avec le temps. Selon lui, ce qui y manque le plus, c'est un ministère. « Il y a, dit-il, des ministres, mais pas de ministère'. »

Les conclusions que l'on peut tirer de son langage sont que, puisque dans les questions de politique intérieure l'armée ne serait pas encore sûre, il faut éviter par-dessus toute chose d'élever des questions auxquelles elle pût prendre part, et que quant à ce qui peut rester encore d'agitation dans les esprits, il ne faut pas s'en étonner ni s'en affliger. Une conversion trop subite serait suspecte.

corps cependant allait au cimetière, quand une vingtaine de personnes l'ont fait rebrousser chemin. Devant Saint-Roch, une demi-douzaine de gendarmes envoyés par la police ont fait passer le convoi. Mais à la rue de l'Echelle, quatre ou cinq cents personnes se sont réunies, l'ont ramené, trouvant la grande porte fermée, sont entrées par la porte latérale. On n'a commis aucune impiété, aucun scandale; seulement l'officier de police a monté chez le curé, qui avait envoyé chez un vieux grand vicaire, M. de l'Espinasse, qui, comme le curé, avait pensé qu'il ne fallait rien accorder. L'officier de police a prouvé facilement le danger de cette résolution, et le curé a lâché un petit prêtre, quatre assistants, un serpent, et l'officier de police, ayant mis son écharpe bleue, a monté sur une chaise et a annoncé que l'on allait venir dire ou chanter (je ne sais lequel) l'absoute et le De profundis. A la vue de l'homme de police, l'église a retenti du cri de : Vive le Roi! Le prêtre a expédié l'affaire. Le convoi s'est remis en route, et tout a été fait. Mais l'on dit que M. le curé avait trouvé mademoiselle Raucourt assez catholique pour recevoir d'elle le pain bénit et, il y a un mois, une bourse de trois ou quatre cents francs pour des bonnes œuvres... » (Jaucourt à Talleyrand, 20 janvier 1815.)

1. Si nous nous hâtons, si nous finissons par entendre la situation d'un ministère dans un Gouvernement représentatif, nous pourrons gagner assez de temps pour vous donner celui d'arriver. Mais, en vérité, nous sommes assez mal, et il faut aller mieux pour ne pas aller tout à fait en perte. ▾ (Jaucourt à Talleyrand, 25 janvier 1815.)

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