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d'un ton assez indifférent : « J'en suis fàché, car il ne verra pas la fin des affaires. — Comment assembler le Congrès, dit M. de Metternich, quand rien de ce dont on aura à l'occuper n'est prêt? Eh bien, répondis-je, pour montrer que ce n'est point un esprit de difficultés qui m'anime, et que je suis disposé à tout ce qui peut s'accorder avec les principes que je ne saurais abandonner, puisque rien n'est prêt encore pour l'ouverture du Congrès, puisque vous désirez de l'ajourner, qu'il soit retardé de quinze jours, trois semaines; j'y consens, mais à deux conditions: l'une, que vous le convoquerez dès à présent pour un jour fixe; l'autre, que vous établirez dans la note de convocation la règle d'après laquelle on doit y être admis. »

J'écrivis sur un papier cette règle, telle à peu près qu'elle se trouve dans les instructions que Votre Majesté nous a données. Le papier circula de main en maiņ; on fit quelques questions, quelques objections, mais sans rien résoudre, et les ministres, qui étaient venus les uns après les autres, s'en retournant de même, la conférence s'évapora pour ainsi dire plutôt qu'elle ne finit.

Lord Castlereagh, qui était resté des derniers et avec lequel je descendais l'escalier, essaya de me ramener à leur opinion en me faisant entendre que de certaines affaires qui devaient le plus intéresser ma Cour, pourraient s'arranger à ma satisfaction. « Ce n'est point, lui dis-je, de tels ou tels objets particuliers qu'il est maintenant question, mais du droit qui doit servir à les régler tous. Si une fois le fil est rompu, comment le renouerons-nous? Nous avons à répondre au vou de l'Europe. Qu'aurons-nous fait pour

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elle si nous n'avons pas remis en honneur les maximes dont l'oubli a causé ses maux? L'époque présente est une de celles qui se rencontrent à peine une fois dans un cours de plusieurs siècles. Une plus belle occasion ne saurait nous être offerte. Pourquoi ne pas nous mettre dans une position qui y réponde? Eh! me dit-il avec une sorte d'embarras, c'est qu'il y a des difficultés que vous ne connaissez pas. Non; je ne les connais pas », lui répondis-je du ton d'un homme qui n'avait aucune curiosité de les connaître. Nous nous séparàmes; je dînai chez le prince Windischgrætz: M. de Gentz y était. Nous causâmes longtemps sur les points discutés dans les conférences auxquelles il avait assisté. Il parut regretter que je ne fusse point arrivé plus tôt à Vienne. Il se plaisait à croire que les choses, dont il se portait pour être mécontent, auraient pu prendre unc tournure différente. Il finit par m'avouer qu'au fond on sentait que j'avais raison, mais que l'amour-propre s'en mêlait, et qu'après s'être avancé, il coûtait aux mieux intentionnés de reculer.

Deux jours se passèrent sans conférence : une fête un jour, une chasse l'autre, en furent la cause '.

Dans cet intervalle, je fus présenté à Madame la duchesse d'Oldenbourg. Je lui exprimai des regrets de ce qu'elle n'était pas venue à Paris avec son frère; elle me répondit qu'elle espérait que ce voyage n'était que retardé puis

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1 Il avait été nommé une commission de la Cour chargée du soin de veiller à tout ce qui pouvait rendre aux Souverains étrangers le séjour de Vienne aussi agréable que possible.

elle passa tout à coup tout à coup à des questions, telles que l'Empereur m'en avait faites, sur Votre Majesté, sur l'esprit public, sur les finances, sur l'armée; questions qui m'auraient fort surpris de la part d'une femme de vingt-deux ans, si elles m'eussent paru contraster davantage avec sa démarche, son regard et le son de sa voix. Je répondis à tout dans un sens conforme aux choses que nous avons à faire ici et aux intérêts que nous avons à y défendre. Elle me questionna encore sur le Roi d'Espagne', sur son frère, sur son oncle, parlant d'eux en termes assez peu convenables, et je répondis du ton que je crus le plus propre à donner du poids à mon opinion sur le mérite personnel de ces princes.

M. de Gentz, qui vint chez moi au moment où je rentrais de chez la duchesse d'Oldenbourg, me dit qu'on l'avait chargé de dresser un projet de convocation du Congrès. Le jour précédent, j'en avais fait un conforme à ce que j'avais proposé dans la conférence de la veille, et je l'avais envoyé à M. de Metternich, en le priant de le communiquer aux autres ministres. M. de Gentz m'assura qu'il n'en avait point connaissance; il me dit que dans le sien il n'était point question de la règle d'admission que j'avais proposée, parce que M. de Metternich craignait qu'en la publiant on ne poussat à quelque extrémité celui qui règne à Naples, son plénipotentiaire se trouvant par là exclu; nous dis

Ferdinand VII.

2 Don Carlos.

3 L'Infant Antonio.

4 Il s'appelait Campo-Chiaro: c'était un ancien serviteur de Ferdinand Ier,

cutâmes ce point, M. de Gentz et moi, et il se montra persuadé que ce que craignait M. de Metternich n'arriverait pas.

Je m'attendais à une conférence le lendemain; mais les trois quarts de la journée s'étant écoulés sans que j'eusse entendu parler de rien, je n'y comptais plus, lorsque je reçus un billet de M. de Metternich qui m'annonçait qu'il y en aurait une à huit heures, et que si je voulais venir chez lui un peu auparavant, il trouverait le moyen de m'entretenir d'objets très-importants. (Ce sont les termes de son billet.) J'étais chez lui à sept heures: sa porte me fut ouverte surle-champ; il me parla d'abord d'un projet de déclaration qu'il avait fait rédiger, qui différait, me dit-il, un peu du mien, mais qui s'en rapprochait beaucoup et dont il espérait que je serais content. Je le lui demandai; il ne l'avait pas.

Probablement, lui dis-je, il est en communication chez les alliés.- Ne parlez done plus d'alliés, reprit-il ; il n'y en a plus. Il y a ici des gens qui devraient l'être en ce sens que, même sans se concerter, ils devraient penser de la même manière et vouloir les mêmes choses; comment ·avez-vous le courage de placer la Russie comme une ceinture tout autour de vos principales et plus importantes possessions, la Hongrie et la Bohème? Comment pouvez-vous souffrir que le patrimoine d'un ancien et bon voisin, dans la

rallié à Joseph Bonaparte, puis à Murat. Murat avait à Paris un chargé d'affaires, le marquis de Saint-Élic, qui n'était pas reconnu et n'avait aucune relation officielle avec le Gouvernement du Roi.

famille duquel une Archiduchesse est mariée, soit donné à votre ennemi naturel? Il est étrange que ce soit nous qui voulions nous y opposer, et que ce soit vous qui ne le vouliez pas. » Il me dit que je n'avais point de confiance en lui: je lui répondis qu'il ne m'avait pas donné beaucoup de motifs d'en avoir, et je lui rappelai quelques circonstances où il ne m'avait pas tenu parole. «Et puis, ajoutai-je, comment prendre confiance en un homme qui, pour ceux qui sont le plus disposés à faire leur affaire des siennes, est tout mystère? Pour moi, je n'en fais point, et je n'en ai pas besoin : c'est l'avantage de ceux qui ne négocient qu'avec des principes. Voilà, poursuivis-je, du papier et des plumes; voulez-vous écrire que la France ne demande rien, et même n'accepterait rien? je suis prêt à le signer. Mais vous avez, me dit-il, l'affaire de Naples qui est proprement la vôtre. » Je répondis: « Pas plus la mienne que celle de tout le monde. Ce n'est pour moi qu'une affaire de principe; je demande que celui qui a droit d'être à Naples soit à Naples, et rien de plus. Or, c'est ce que tout le monde doit vouloir comme moi. Qu'on suive les principes, on me trouvera facile pour tout. Je vais vous dire franchement à quoi je peux consentir et à quoi je ne consentirai jamais. Je sens que le Roi de Saxe, dans la position présente, peut être obligé à des sacrifices; je suppose qu'il sera disposé à les faire parce qu'il est sage; mais si l'on veut le dépouiller de tous ses États et donner le Royaume de Saxe à la Prusse, je n'y consentirai jamais. Je ne consentirai jamais à ce que Luxembourg et Mayence soient non plus donnés à la Prusse. Je ne consentirai pas davantage à ce que la Russie passe la

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