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fédéral à Zurich, qu'elle avait appris le matin qu'un régiment envoyé contre Buonaparte s'était joint à lui ; qu'il était entré à Grenoble le 7, à huit heures du soir, et que la ville avait été illuminée. La Régence demandait en conséquence des secours pour le cas où Genève se trouverait menacée par quelque tentative de Buonaparte. Le Roi de Wurtemberg a fait parvenir cette nouvelle par estafette à l'Empereur Alexandre; tout son monde la colportait ce matin. J'oppose des raisons au moins probables pour la combattre : mais elles ne suffisent pas pour détruire une impression qui, à ce que je crois, est donnée par la peur des Génevois.

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J'ai l'honneur d'envoyer à Votre Majesté une lettre que j'ai reçue ce matin du ministre de Murat ici; je l'envoie en original, pour n'en pas retarder l'envoi, et parce que je n'en ai pas besoin ici. Le duc de Campo-Chiaro a fait la même communication au duc de Wellington. Il l'a renou

velée à la Cour de Vienne, au ministre de laquelle elle était déjà faite à Naples. Cette démarche, jointe aux nouvelles qui sont parvenues ici aujourd'hui, et le langage actuel des plénipotentiaires des grandes puissances, me font prévoir que si l'approche de Buonaparte vers Paris a lieu, et si les puissances font réunir leurs troupes sur nos frontières, il sera à peu près impossible, non-seulement d'obtenir que le Congrès se prononce contre Murat en faveur de Ferdinand IV, mais encore d'amener l'Autriche et peut-être l'Angleterre à prendre contre lui un engagement actuel et positif. Je dois donc prier Votre Majesté de vouloir bien me donner à cet égard ses derniers ordres. Il faut penser à nous avant de penser aux autres.

Les nouvelles reçues aujourd'hui l'ont été par M. de Metternich et sont venues par la voie de Milan; elles annoncent la défection de deux régiments, l'entrée de Buonaparte à Grenoble, et son départ de Grenoble le 8 au soir pour Lyon; elles ajoutent que l'esprit des provinces qu'il a traversées est très-mauvais.

Ces nouvelles ont paru assez graves pour motiver une conférence entre les légations d'Autriche, de Russie, d'Angleterre, de Prusse et de France. On y a posé et mis en délibération les questions suivantes :

1° Quel parti politique les puissances prendront-elles dans le cas où Bonaparte parviendrait à se rétablir à Paris;

2° Quels sont les moyens militaires actuellement disponibles;

3° Quels sont les moyens à proposer.

Le parti politique est déjà décidé par la déclaration du Congrès. C'est à cela que l'on s'en tiendra.

Une commission militaire a été nommée pour examiner les deux autres questions. Elle est composée de :

Schwarzenberg,
Wellington,

Wolkonski (Russe),

Knesebeck (Prussien).

La commission se réunira ce soir. L'Empereur de Russie veut y assister. Si ce soir je sais ce qui y aura été arrêté, je n'attendrai point à demain pour expédier à Votre Majesté

un nouveau courrier.

en

Le voyage qu'a fait ici M. Anatole de Montesquiou', apparence pour voir madame sa mère, ayant été soupçonné par les Autrichiens d'avoir un motif d'une tout autre nature, et de n'avoir point été sans une intention politique, je viens de l'inviter à retourner immédiatement en France.

Je suis fondé à croire que l'Empereur d'Autriche prendra sous peu de jours auprès de lui et logera dans son palais le fils de Buonaparte, pour qu'on ne puisse l'enlever; on a été jusqu'à supposer que le voyage de M. Anatole avait cet enlèvement pour objet. Le langage de madame sa mère,

M. de Montesquiou-Fezensac fut retenu à Vienne, et le 5 juin, sa mère sollicitait encore un passe-port pour son fils, et suppliait M. de Talleyrand de lui faire obtenir avant son départ ⚫ce passe-port si désiré et déjà depuis trop longtemps attendu, et toutes les sûretés nécessaires pour arriver aux frontières de France".

recueilli par la surveillance autrichienne établie auprès d'elle, permettait de le croire.

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Le duc de Wellington fait partir aujourd'hui pour Londres un courrier qui passera par Paris, si la chose n'est pas impossible. J'en profite pour informer Votre Majesté que, dans la conférence militaire tenue avant-hier, et à laquelle a assisté l'Empereur de Russie, on a posé en fait que Buonaparte, avec lequel les puissances ne traiteraient jamais, devait être arrêté par des efforts prompts et immenses. Elles ont en conséquence arrêté de renouveler le traité de Chaumont, dont j'ai eu l'honneur d'envoyer une copie à Votre Majesté. Mais c'est uniquement contre Buonaparte qu'il doit être rédigé, et non contre la France, qui au contraire y accédera. La Sardaigne, la Bavière, le Wurtemberg, Bade, y accéderont pareillement, ainsi que la Hollande et le Hanovre.

La Porte Ottomane sera invitée, non à prendre part à la guerre, mais à ne recevoir ni les Français rebelles ni leurs bâtiments.

Il sera aussi fait une démarche vis-à-vis de la Suisse. La question actuelle est hors de la neutralité, l'homme qui force l'Europe à s'armer n'étant qu'un brigand '.

2

J'ai reçu de l'Autriche une déclaration relative à la Valteline, et à Bormio et Chiavenne, laquelle déclaration porte que ces objets doivent entrer dans les arrangements de l'Italie et y servir à des compensations.

Je suis, etc.

Vienne, 19 mars 1815.

P. S. Le courrier parti de Paris le 11, est arrivé sans aucune difficulté.

1. Ces arrangements vont donc constituer l'Europe entière en état de guerre, non plus contre la France, mais au contraire pour le salut de la France contre Buonaparte et ses adhérents. Aussi, lorsque le but pour lequel cette guerre va être entreprise sera obtenu, n'y aura-t-il point de traité à faire, parce que la nation française reste en état de paix avec toutes les autres. Le traité du 30 mai subsiste, et c'est lui qui continuera à régler nos rapports avec les puissances étrangères.

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(Talleyrand à Jaucourt, 19 mars 1815.)

M. Henri Martin raconte, t. IV, p. 150, que Bonaparte dépêcha un message à Murat, en le chargeant de prévenir l'Autriche qu'il serait bientôt à Paris et qu'il acceptait le traité de 1814. M. Henri Martin ajoute : S'il était sincère, son retour n'avait pas même l'excuse de tâcher de rendre à la France les frontières qu'il lui avait fait perdre. »

2 Voir D'ANGEBERG, p. 1933.

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