Page images
PDF
EPUB

No 43.

LXXVIII

Vienne, 23 mars 1815.

SIRE,

M. le duc de Rohan-Montbazon est arrivé l'avant-dernière nuit, et m'a remis la lettre de Votre Majesté dont il était porteur. Toutes les mesures étaient prises avant son arrivée, et il avait trouvé imprimée près du Rhin la déclaration du 13 de ce mois. Elle doit être aujourd'hui répandue dans toute la France. J'espère que son effet sera d'ôter la confiance aux malveillants, et d'en donner aux hommes fidèles.

Les forces que l'Autriche, la Russie, l'Angleterre, la Prusse, la Bavière, la Hollande, les États d'Allemagne, la Sardaigne, mettront sur pied, formeront, les garnisons comprises, un total de plus de sept cent mille hommes prêts à agir dès qu'ils seront requis. Les Prussiens ont déjà quatre-vingt mille hommes sur le Rhin; les Anglais, Hollandais, Hanovriens, un nombre semblable. Deux cent cinquante mille Russes y arriveront, à la fin d'avril, avec cinq cent quatre-vingt-dix pièces de canon. Je crois qu'au

de Rome, est celui que Napoléon avait choisi pour faire son entrée à Paris comme anniversaire de la naissance de son fils.

lieu de trois armées actives, il y en aura quatre, dont l'une sous le commandement du maréchal Blücher.

Les puissances souhaitent vivement elles-mêmes qu'aucune partie de ces forces ne soit nécessaire, et que la France puisse se passer de leur secours. Mais elles n'at tendront pour les donner qu'une demande de Votre Majesté.

Les papiers que nous avons reçus aujourd'hui de Paris, et qui vont jusqu'à la date du 14 inclusivement', me font espérer que Votre Majesté ne sera pas obligée de quitter Paris2; dans le cas contraire, ce qui paraît ici le plus désirable serait qu'Elle se retirât, si cela était absolument nécessaire, vers quelque place du Nord3 dont Elle serait entièrement sûre, et qu'Elle y fut suivie par les deux Chambres et la partie de l'armée restée fidèle, accrue d'une portion

La lecture des journaux, mon cher Jaucourt, laisse une bonne impression. Je parle de ceux du 12, du 13 et du 14, qui sont remplis d'adresses de régiments. Je vous invite à vous entendre avec les ministères étrangers pour que chaque jour il parte, ou de l'un d'eux ou de vous, un courrier pour Vienne., (Talleyrand à Jaucourt, 23 mars 1815.)

2

"

A vrai dire, le rôle du Roi cût été superbe s'il fût resté à Paris..... Le Roi avait annoncé cette résolution: elle a changé deux fois; c'est un grand malheur. Je ne croirai jamais que la ville de Paris l'eût laissé périr par la main de cet homme, ni que les troupes eussent tiré sur nous. Enfin, c'est fait. Il faut par tout moyen refaire un noyau, gagner un commandant de place et avoir le pied sur le sol sacré. Car si le Roi arrive derrière les troupes étrangères, il donnera bien beau jeu à toutes les mesures des jacobins et de Buonaparte, qui marchent d'accord aujourd'hui.▾

(De Gand. Jaucourt à Talleyrand, 4 avril 1815.)

3 Je crois vous avoir rendu compte de ce qui s'est passé le jour du départ du Roi. Premièrement, M. de Blacas n'en est convenu que d'une manière incertaine et en demandant que l'on n'en convînt pas. Je me suis trouvé sur le passage du Roi à sa sortie de son appartement. Il m'a dit à

de la garde nationale, ce qu'il importe le plus d'éviter étant que Votre Majesté ne semble isolée et que cela n'induise à regarder comme distinctes sa cause et celle de la nation, qui n'en font qu'une seule et même '.

Lord Wellington voudrait être déjà en Belgique, à la tête des troupes qu'il doit avoir sous ses ordres, afin d'être

l'oreille : « Prévenez mes ministres que je me rends à Lille, que je désire qu'ils s'y réunissent. Dites aux ambassadeurs que je serai charmé de les voir « à Lille, mais qu'ils sont bien les maîtres, s'ils le préfèrent, de se rendre à leurs Cours respectives. (Jaucourt à Talleyrand, 2 avril 1815.)

1 Le 19 avril, M. de Talleyrand écrit à M. de Jaucourt :

Nous avons de la peine à comprendre ici pourquoi on a éloigné tant de monde; il me semble qu'il eût été fort utile qu'un noyau de Français de toutes les opinions et de tous les états se trouvât autour du Roi..... »

Le désir de M. le maréchal duc de Raguse de ne pas rester dans l'inaction est sans doute aussi naturel que digne d'éloges; mais ce n'est pas, je pense, avec des étrangers qu'il convient que lui et les autres officiers généraux qui sont autour du Roi lui donnent des preuves de leur zèle et de leur dévouement.

Les Suisses, bien que depuis longtemps amis de la France et attachés d'affection à la famille de nos Rois, ne sont pourtant pas des Français. Ce qui est à désirer, c'est que le Roi puisse lever sous les ordres de ses officiers une armée de Français dont le noyau me semble pouvoir être formé dès à présent, et qui sans doute sera facilement recrutée et deviendra en peu de temps nombreuse, lorsque les armées étrangères s'étant avancées sur le territoire, les pays qu'elles auront occupés seront soustraits à l'influence de Bonaparte; le Roi revenant dans ses États à la tête d'une armée nationale exercera, aussi bien dans les provinces qui lui seront soumises que dans celles qui ne le seront pas encore, une puissance d'opinion bien différente que s'il n'y revenait qu'à la suite des armées étrangères.

Pour vous, Monsieur le comte, il est d'ailleurs nécessaire que vous restiez auprès du Roi; il faut que vous y soyez pour lui mettre sous les yeux la correspondance de ses ministres dans les Cours étrangères, pour leur transmettre ses instructions et ses ordres, pour leur donner des nouvelles. Il est bien essentiel que dans des circonstances comme celles où nous nous trouvons, il reçoive des informations fréquentes sur tout ce qui se passe. Je vous prie de leur écrire le plus souvent que vous pourrez. ▾

(Talleyrand à Jaucourt, 19 avril 1815.)

en mesure à tout événement, ce qui le rend fort disposé à presser les affaires qui restent à terminer.

On a trouvé ici des inconvénients au départ de madame de Montesquiou; et aujourd'hui on parlait de l'envoyer à Lintz.

Votre Majesté sera sans doute fàchée d'apprendre que madame de Brionne est morte hier. Elle avait quatrevingt-un ans.

Je suis, etc.

No 44.

Vienne, 23 mars 1815.

LXXIX

Vienne, 23 mars 1815.

[ocr errors]

SIRE,

Cette lettre est portée à Votre Majesté par un courrier prussien qui part aujourd'hui.

Je viens d'avoir communication d'une lettre de Buonaparte écrite tout entière de sa main à l'Archiduchesse Marie-Louise. Elle est du 11 mars, datée de Lyon, et annonçant qu'il serait à Paris vers le 21. Cette lettre, qu'il a fait remettre par le général Songeon, qui a trahi Votre Majesté, a été portée par un officier du 7° de hussards, nommé Nyon, à M. de Bubna, qui l'a fait parvenir ici.

Elle est écrite dans deux vues: la première, de faire croire à son armée et à ses partisans qu'il est en relation avec l'Autriche; la seconde, de persuader à l'Autriche qu'il a une immensité de partisans en France. A cette lettre étaient jointes une foule de proclamations, toutes horribles'. Il parle d'une lettre antérieure, mais qui n'est point parvenue.

A Lyon, ses forces étaient composées du 14° de hussards, et des 23°, 24o, 5o, 7° et 11' de ligne, chacun de ces régiments n'ayant pas plus de mille hommes. Cela, joint avec ce qu'il avait déjà, lui donne une armée au plus de neuf à dix mille hommes. (Il parle à la date du 112). On annonçait qu'il se dirigeait vers le Charolais, dont en général l'esprit ne passe pas pour être bon. Il était encore à Lyon le 13.

1 Allusion aux deux proclamations de Napoléon, l'une aux soldats, l'autre au peuple français, datées du golfe Jouan, 1er mars 1815.

2 C

Lorsque le Roi a quitté Paris, son armée effective, tout compris, était de 150,000 hommes. Bonaparte, pour l'augmenter, a annulé tous les congés donnés par le Roi. Il y en a eu 106,000 d'expédiés. Il a également rappelé tous les retraités, et l'opinion des bureaux de la guerre est que ce rappel est de 150,000 hommes; mais tout le pays compris entre Bordeaux et Marseille ne fournira rien ou peu de chose, en sorte que les meilleurs calculateurs estiment qu'il pourra tirer au plus 100,000 hommes de cette disposition, mais des soldats aguerris ce qui portera néanmoins son armée disponible pour le 20 mars prochain à 250,000 hommes, sur quoi il faut retrancher les dépôts et les hôpitaux (50,000 hommes), ce qui n'en porterait pas moins, du 20 au 25 mars, son armée disponible à 200,000 hommes.

La cavalerie de cette armée était, au départ du Roi, de 21,000 hommes; le maréchal Macdonald, qui m'a fourni ces données, estime que, malgré la pénurie des chevaux de selle, il pourra la porter à 30,000 hommes, qui entrent nécessairement dans la composition des 200,000 hommes disponibles.

‹ Le Roi avait laissé 12,000 pièces de canon de tous calibres; ainsi Buonaparte pourra réunir son artillerie aussi nombreuse qu'il voudra. Il aura assez

« PreviousContinue »