Page images
PDF
EPUB

No 49.

LXXXIV

Vienne, 5 avril 1815,

SIRE,

Les événements qui ont eu lieu en France n'ont altéré en rien la position de l'ambassade de Votre Majesté au Congrès, où les affaires qui concernent les arrangements futurs de l'Europe continuent à se discuter comme auparavant. J'ai lieu d'espérer que ce qui reste encore à régler sera terminé d'une manière conforme aux intentions que Votre Majesté m'a fait connaître.

Dans plusieurs lettres que j'ai eu l'honneur d'écrire à Votre Majesté, et qui peut-être ne lui sont point parvenues, je lui disais qu'il paraissait fort important à toutes les personnes qui sont ici, aussi bien qu'à moi-même, qu'Elle ne quittat point le territoire français, ou que, si cela lui était impossible, Elle ne s'en éloignât que le moins qu'il se pourrait. Si j'osais lui exprimer ici mon opinion, qui est celle aussi des plénipotentiaires de toutes les puissances, je lui dirais que le séjour d'une ville aussi rapprochée de la mer que l'est Ostende, ne peut que nuire beaucoup à sa cause dans l'opinion publique, parce qu'il peut faire croire que Votre Majesté est disposée à quitter le continent et à mettre la mer entre Elle et ses États. Le séjour qui, dans les circonstances actuelles, paraît, si l'état des choses le

permet, le plus convenable pour Votre Majesté, pourrait être celui de la ville de Liége; il paraît que les dispositions des armées le rendent sûr.

On s'occupe mainten ant ici d'une seconde déclaration du Congrès, qui confirme les dispositions annoncées par les puissances dans celle du 13 mars. Elle répondra à toutes les publications faites par Buonaparte' depuis qu'il est maître de Paris, et je dois croire qu'elle produira un grand effet partout où elle sera connue; c'est particulièrement pour la disposition des esprits en France qu'elle est calculée.

La seule lettre que j'ai reçue de Votre Majesté depuis qu'Elle a quitté Paris est celle dont Elle a daigné m'honorer en date du 26 mars 2. Je n'en ai reçu aucune ni de M. de Blacas ni de M. de Jaucourt, et je dois dire à Votre Majesté que ce délaissement m'est extrêmement pénible et est ici nuisible aux affaires.

Je suis, etc.

P. S.

Je joins ici une lettre partie par un courrier et qui m'est revenue, ainsi qu'une lettre que le même courrier portait pour M. de Jaucourt.

1

Vienne, 5 avril 1815.

■ Vous aurez vu une réponse de M. Bignon, dans laquelle il y a du faire de Buonaparte, à la déclaration des puissances. Il n'a pas manqué de soustraire la pièce, et ensuite, en choisissant quelques passages, il répond et publie à profusion sa réponse à une pièce que l'on ne connaît pas. C'est Lally qui réplique et qui répondra à merveille, mais la difficulté sera de faire connaître la réponse en France.

(De Gand. Jaucourt à Talleyrand, 9 avril 1815.)

2 Cette lettre manque au manuscrit du Département des affaires étrangères. Nous la donnons à la page 485.

LXXXV

No 1, de Gand.

LE ROI AU PRINCE DE TALLEYRAND

Gand, 9 avril 1815.

Mon Cousin, j'ai reçu par le prince V. de R... ' votre numéro 46. Les expressions de votre attachement me sont toujours très-agréables, un peu plus sans doute dans un moment aussi pénible; mais je n'en avais pas besoin pour y compter avec pleine confiance.

Le traité du 25 mars, suite et complément de la déclaration du 13, étant uniquement dirigé contre Buonaparte, je n'hésite pas à vous charger d'y adhérer en mon nom. S'il vous faut une instruction ad hoc, vous l'aurez à votre première demande; mais en attendant, je vous autorise ici à faire comme si vous l'aviez reçue.

Le poids que je puis mettre dans la balance, c'est les dix-neuf vingtièmes de la nation française, des sentiments de laquelle ni moi ni les puissances ne pouvons douter. Mais ce moyen puissant ne peut être mis en usage sans des secours étrangers; il faut donc que les armées alliées entrent en France, et le plus tôt possible. Chaque

1 Victor de Rohan.

instant de délai m'ôte des forces, parce qu'il est dans la nature d'un vif enthousiasme de tendre sans cesse à se ralentir; il en donne au contraire à l'ennemi, à qui il laisse la facilité de rassembler ses forces, et par les moyens qu'il ne sait que trop bien employer, de tourner en sa faveur les bras qui aujourd'hui ne demandent qu'à s'armer pour moi. Le duc de Wellington, que j'ai vu hier, et des dispositions duquel je ne saurais assez me louer, a fait partir un courrier pour demander la liberté d'agir sans attendre que toutes les forces soient réunies. Je n'ai pas besoin de vous recommander d'appuyer vivement cette demande. Si l'on attend la réunion complète, il sera impossible de rien faire avant le 1o juin; je ne doute pas du succès, mais Buonaparte ne sera écrasé que sous les ruines de la France', tandis que la célérité, en perdant plus sûrement encore l'un, sauverait l'autre. Ce peut ne pas être le but de tout le monde, mais ce doit être le nôtre.

Le duc de Wellington m'a appris que le contre-projet que je vous ai envoyé le 7 mars a été adopté; cela me fait grand plaisir. Je suis aussi fort satisfait des arrangements que vous avez pris pour la chancellerie, les courriers, etc.

1

Je parierais dix contre un que Buonaparte y succombera, et je ne voudrais pas parier que les Bourbons arriveront et surtout resteront. Rien n'est si facile que de faire abîmer, dévaster la France, et de faire opérer une révolution dans son Gouvernement; rien n'est si difficile que de la conserver, que de la remettre comme elle était le lendemain de la séance royale. Grand Dieu! quel chemin nous avons parcouru depuis ce temps

lå!

Il faut le dire en un seul mot : il conduisait à l'île d'Elbe.

(De Gand. Jaucourt à Talleyrand, 10 avril 1815.)

C'est un soulagement pour mes finances, fort mesquines en ce moment1.

J'ai emporté avec moi toutes les lettres et pièces que vous m'avez adressées depuis que vous êtes à Vienne, et j'ai ordonné à M. de Jaucourt d'en agir de même.

Votre courage, et j'en étais bien sûr, n'est pas ébranlé par ces événements; vous voyez que le mien ne l'est pas davantage. Sur quoi, etc.

No 50.

LXXXVI

Vienne, 13 avril 1815.

SIRE,

Depuis que Buonaparte s'est rendu maître de Paris, les puissances ont pensé qu'il pouvait être utile de renouveler par une seconde déclaration la manifestation des sentiments

1 Dans une lettre à Talleyrand, M. de Jaucourt lui dit, à la date du 24 avril 1815:

Je vous avoue que la confusion des ordres, la honte du voyage, l'impéritie avec laquelle nous sommes sans un sou, la tranquille niaiserie avec laquelle M. de Blacas répond: J'en suis bien fâché, je ne pouvais pas

faire crier contre le Roi ; comme si les vingt-cinq millions qu'il fallait faire sortir trois jours plus tôt n'auraient pas pu revenir huit jours après... Je remplirais dix pages sur ce sujet, je le dis, tant cela rend indispensable une mesure quelconque qui fera disparaître M. de Blacas de la ligne des hommes d'affaires. »

« PreviousContinue »