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No 3, de Gand.

LE ROI AU PRINCE DE TALLEYRAND

22 avril 1815.

Mon Cousin, j'allais répondre à votre numéro 49, renfermant le 38, lorsque j'ai reçu le 50, renfermant aussi le 44. Vous auriez sans doute influé sur la déclaration des Souverains; j'espère, s'il en est temps encore, que vous influerez aussi sur celle des généraux, qui sera une pièce bien importante. Si l'on veut qu'elle produise tout l'effet qu'on en doit désirer, il faut que, conformément à la déclaration du 13 mars et à l'article 3 du traité du 25, l'Europe s'y déclare l'alliée du Roi et de la nation française contre l'invasion de Napoléon Buonaparte', l'amie de tout ce qui se déclarera pour les premiers, et l'ennemie de tout ce qui s'armera en faveur du second, ce qui exclut à la fois toute idée de conquête et tout parti mitoyen dont on ne doit pas même supposer la possibilité.

1. Si vous parvenez à soutenir cette salutaire résolution de faire la guerre à la personne seule et non à la nation, de soutenir la cause royale et avec elle celle de la liberté contre l'usurpation, et avec l'usurpation tous les genres d'oppression, vous aurez, mon cher ami, fait, en honneur et en conscience, la plus belle chose qui puisse se faire entre nations civilisées.. (De Gand. Jaucourt à Talleyrand, 9 avril 1815.)

De mon côté, je m'occupe de la déclaration ou proclamation que j'aurai à publier en remettant le pied en France. Je vous l'enverrai dès qu'elle sera rédigée, mais je désire fort qu'elle ne vous trouve plus à Vienne. Votre numéro 50 m'annonce la fin prochaine du Congrès; il faut sans doute que vous signicz en mon nom le traité qui le terminera, mais il me tarde beaucoup, surtout dans les conjonctures présentes, de vous voir auprès de moi'.

1 Le divin Blacas, à ce que tout le monde m'assure, n'a l'usage que d'un crédit vacant. Ce crédit serait acquis à celui qui, comme vous, joindrait à l'habileté l'autorité de sa personne; mais les uns sont des bêtes, les autres, comme Marmont, des gens avec qui le cœur est mal à l'aise; les autres, comme moi, des hommes dont on n'aime pas les principes ni les habitudes, en aimant assez leur personne et même leur caractère. »

(Jaucourt à Talleyrand, 10 avril 1815.)

Il faut, je vous assure, que vous arriviez. Vous ferez en ce moment votre place comme vous voudrez. Le ministère sera composé comme vous le voudrez encore. . . . . Si ce ministère est fort, les anciennes habitudes, les prédilections, les préjugés de Monsieur lui céderont; encore un coup, il faut qu'il soit tel que sa démission épouvante. »

(Jaucourt à Talleyrand, 28 avril 1815.)

Le 28 avril, M. de Chateaubriand écrit à M. de Talleyrand :

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Depuis la dernière lettre que j'ai eu l'honneur de vous écrire de Bruxelles par M. le duc de Richelieu, les choses ont un peu changé de face pour moi; le Roi m'a appelé à son conseil, mais sans titre; il m'a chargé de lui faire ses rapports sur l'intérieur. Mais, mon prince, il faut avoir un intérieur; et nous vous attendons pour nous le rendre. Votre présence ici est absolument nécessaire. Venez; prévenez nos nouvelles sottises. Il faut que vous vous metticz à notre tête, que nous formions un ministère dont vous serez le guide et l'appui.

Vous savez, mon prince, combien je vous suis dévoué. Je serais trop heureux de contribuer un peu, auprès de vous, au rétablissement de la France, qui a bien besoin une seconde fois de votre secours.

Je vous ai dit que nous étions perdus si vous n'ôtiez pas Buonaparte de l'île d'Elbe. Eh bien, mon prince, nous sommes perdus si vous ne venez pas ôter le Roi de Gand. Venez, venez, rien au monde n'est plus nécessaire.

Vous savez la malheureuse issue de la courageuse entreprise de mon neveu ' ; vous savez que ma nièce elle-même n'a pu sauver Bordeaux; l'esprit public n'en est point altéré en France; tous les rapports sont unanimes sur ce point; l'essentiel est d'agir promptement, et c'est bien l'opinion et le vœu du duc de Wellington.

Je ne dirai qu'un mot sur votre numéro 38. C'est que la lettre du duc de Campo-Chiaro est bonne à conserver,

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Le duc d'Angoulême, qui avait été fait prisonnier, puis reconduit à la frontière d'Espagne par les partisans de Napoléon.

2 Voici cette lettre, remise à M. de Talleyrand :

MONSEIGNEUR,

« Un courrier, expédié de Rome par le chevalier Cuvilli, le 4, a apporté la nouvelle de l'évasion de Buonaparte de l'île d'Elbe le 5, à Naples, dans la matinée, disant qu'il était parti le 26, dirigé sur Fréjus, invité par un parti en France en sa faveur.

Le Roi a immédiatement rassemblé son conseil des ministres et y a fait

ya

intervenir tous les chefs d'administration, conseillers d'État, pour leur apprendre ce fait. Loin de vouloir les consulter, il leur a déclaré que quelles que puissent être les circonstances à l'avenir, son parti était pris, celui de rester fidèle aux engagements avec son allié pour le repos et la tranquillité de l'Europe; qu'il ne voyait d'autre sûreté pour ses États que celle qui était basée sur la loyauté et l'honneur. Il a répété ces sentiments personnellement au ministre d'Autriche, et m'a fait expédier un courrier à Vienne pour me faire connaître ses intentions, ce courrier étant arrivé le 15, à quatre heures après diner.

Comme je crois devoir rendre hommage aux talents éminents et au digne caractère de Votre Altesse, qui, en remplissant les devoirs de sa place avec zèle, n'aime certainement pas ni s'induire en erreur ni altérer les faits par des fausses préventions, j'ai l'honneur de lui en faire une communication confidentielle, profitant des bontés que Votre Altesse m'a toujours témoignées, indépendamment de notre position respective.

Je me permets aussi de faire observer à Votre Altesse qu'au moment où le Roi s'est vu menacé de la France, et ignorant si cette évasion était un délire ou un accord avec un parti, qu'on n'a que trop mal à propos débité, celui que le Roi a pris n'a été que pour le Gouvernement actuel en France.

comme un monument de l'insigne perfidie de son maître.

Sur quoi, etc.

N° 52.

XCI

Vienne, 23 avril 1815.

SIRE,

Il vient de se passer ici une chose que je voudrais pouvoir laisser ignorer à Votre Majesté comme propre à l'affliger, mais qu'il lui importe de connaître comme essentiellement liée à sa situation présente, et qu'Elle apprendrait infailliblement d'ailleurs peut-être, sans les circonstances qui lui servent de correctif et de contre-poids.

Depuis quelque temps j'ai eu lieu de remarquer que si· l'Empereur de Russie avait été souvent opposé à ce que désirait Votre Majesté, il n'y a pas toujours été porté seulement par le but qu'il se proposait lui-même, mais encore dans quelques circonstances, parce qu'il s'est trouvé blessé : 1o de ce que Votre Majesté ne lui a point offert le cordon

Puisse la justice de ce magnanime Souverain qui règne, et dont cette qualité n'est pas la dernière de ses vertus, faire céder à d'autres raisons de convenance celle qui achèverait de rendre la tranquillité à l'Europe, et qui ne reçoit sûrement que le fruit de son seul ouvrage.

< Vienne, le 17 mars 1815. ›

Le duc DE CAMPO-CHIARO.

bleu', l'ayant donné au Prince-Régent; 2° de l'inutilité de son intervention et de ses instances en faveur du duc de Vicence, à qui il s'intéresse vivement 2, et qui a été exclu de la Chambre des pairs 3; 3° de la fermeté avec laquelle Votre Majesté, dans la question du mariage, a refusé de condescendre à ses désirs sur le point religieux; 4o enfin de ce que la Charte constitutionnelle s'éloignait en plusieurs points des vues qu'il avait manifestées à Paris à ce

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1 Signe distinctif de l'ordre du Saint-Esprit, institué par Henri III. La croix de cet ordre était suspendue à un ruban de moire bleue.

2. A son arrivée à Pétersbourg, M. de Caulaincourt trouva d'abord d'assez grands embarras. Le crime de la mort du duc d'Enghien laissait une tache sur son front. L'Impératrice mère ne voulut point le voir.....

« Le Czar l'accueiilit bien, prit peu à peu du goût pour lui, et même, après, une véritable amitié. »

(Mémoires de madame de Rémusat, t. III, p. 273.)

3 Le duc de Vicence avait adhéré le 16 avril 1814 aux actes du Sénat et à la Constitution du 6 avril.

4 Le 1er avril 1814, l'Empereur Alexandre déclarait au nom des puissances alliées qu' il reconnaîtrait et garantirait la Constitution que la France se donnerait». Talleyrand, l'inspirateur d'Alexandre dans toute cette période, croyait poursuivre le rétablissement d'une Monarchie légitime, avec la nation, la loi et le Roi. Ancien constituant, il réclamait à ce moment une Constitution, une déclaration des droits, une charte véritable supérieure au Roi et non pas octroyée, préalablement rédigée et votée. Et de fait, c'est le 6 avril seulement, après le vote de la Constitution, que Louis-Stanislas-Xavier, frère du dernier Roi (on omet manifestement et à dessein Louis XVII), est rendu aux vœux des Français. Il sera proclamé Roi des Français aussitôt qu'il aura juré fidélité à la Constitution nouvelle. Il n'est pas encore question de la Navarre et de la grâce de Dieu. Voici ce que M. Henri Martin dit, avec grande sagesse, de cette constitu

tion:

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Le public, qui n'aimait ni a'estimait le Sénat, chose assez naturelle après la conduite de ce corps sous l'Empire, ne vit dans la constitution que l'hérédité et les dotations des sénateurs. L'esprit politique, étouffé par l'Empire, n'était pas encore bien réveillé, et l'on ne comprit pas que se railler de l'œuvre du Sénat, c'était jouer le rôle des émigrés; on ne vit point que

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