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téressée, ou l'Angleterre, si elle l'eût voulu, pouvaient prendre, et qu'elles avaient laissé échapper, ce qui a été reproché à lord Castlereagh dans le Parlement d'Angleterre.

Avec un désir moins ardent de conserver la paix, de la part de lord Castlereagh, et moins de timidité de la part de l'Autriche, le traité du 3 janvier pouvait conduire au rétablissement de la Pologne, et à la conservation complète du Royaume de Saxe.

Mais du moins la Russie a dù abandonner la moitié de ses prétentions sur le duché de Varsovie, la Saxe a été comme retirée du tombeau, non pas entière, il est vrai, mais encore égale au royaume de Hanovre et à celui de Wurtemberg, et c'est certainement à la France qu'elle le

doit.

Il était prescrit à l'ambassade française de tout faire :

1° Pour que la Prusse ne fût point mise en contact avec la France elle ne la touchera par aucun point.

:

2° Pour que la Prusse n'eût point Luxembourg et Mayence. Elle n'aura ni l'une ni l'autre. Ces deux places seront des places fédérales.

3o Pour que son influence en Allemagne ne pût devenir ni exclusive ni trop prédominante. C'est à quoi l'on avait principalement pourvu par l'organisation fédérale, que l'on n'a point eu le temps de faire.

4° Pour que l'organisation de la Suisse fùt maintenue telle qu'elle était, et elle a été maintenue.

5 Pour que son indépendance fùt assurée, et elle l'a été. 6° Pour qu'elle pût jouir d'une neutralité perpétuelle

dans les guerres futures de l'Europe, neutralité non moins utile à la France qu'à la Suisse elle-même. Cette neutralité lui a été garantie.

Il était à craindre que lors de l'extinction prochaine de la branche actuellement régnante de la Maison de Savoie, l'Autriche ne voulût profiter du mariage de l'un de ses Archiducs avec la fille aînée du Roi présentement régnant, pour faire recueillir par cet Archiduc l'héritage de cette Maison. L'ambassade française devait faire en sorte que les droits de la branche de Carignan fussent reconnus et consacrés, et ils l'ont été.

C'étaient là sans doute les points qui importaient le plus à la France, dans la situation où se trouvait l'Europe et où elle se trouvait elle-même. C'était ce qu'elle devait désirer le plus d'obtenir, et dans le principe, elle ne pouvait guère l'espérer. L'ambassade française les avait tous obtenus, lors de l'événement qui a amené la guerre présente.

Il était incontestablement de l'intérêt de la France que l'Autriche, qui, par elle-même ou par des princes de sa Maison, devait posséder presque toute la haute et une partie de la moyenne Italie, ne pût pas dominer immédiatement ou médiatement sur l'Italie entière. L'ambassade française devait donc, pour l'intérêt de la France, et toute acception de personnes à part, travailler à rétablir en Italie une influence qui, dans la situation de l'Europe telle qu'elle était alors, pût avoir et eût des points d'appui au dehors, et pût balancer l'influence de l'Autriche. Mais la conduite du Roi de Naples a plus fait pour cela que les vœux de la Maison de Bourbon, et il avait pour se conserver des

chances que, par son agression intempestive, il a luimême détruites. L'approche des hostilités et l'obligation où elle met les Souverains de quitter Vienne, ne permettant pas d'élever l'édifice de l'organisation politique de l'Allemagne, on se bornera à en poser les bases, et l'ouvrage sera ensuite achevé dans une diète.

20 juin 1815.

C

RAPPORT FAIT AU ROI PENDANT SON VOYAGE
DE GAND A PARIS1

Juin 1815.

SIRE,

La France, en avril 1814, était occupée par trois cent mille hommes de troupes étrangères, que cinq cent mille autres étaient prêts à suivre. Il ne lui restait au dedans

1

◄ A Roye, on tint conseil : M. de Talleyrand fit attacher deux hari'delles à sa voiture et se rendit chez Sa Majesté. Son équipage occupait la largeur de la place, à partir de l'auberge du ministre jusqu'à la porte du Roi. Il descendit de son char avec un mémoire qu'il nous lut: il examinait le parti qu'on aurait à suivre en arrivant..

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(CHATEAUBRIAND, Mémoires d'outre-tombe, t. VI, p. 388.)

qu'une poignée de soldats qui avaient fait des prodiges de valeur, mais qui étaient épuisés. Elle avait au dehors de grandes forces, mais qui, disséminées et sans communications, ne pouvaient plus être d'aucune utilité pour elle, ni même se porter mutuellement secours. Une partie de ces forces était enfermée dans des places lointaines qu'elles pouvaient tenir plus ou moins de temps, mais qu'un simple blocus devait de toute nécessité faire tomber. Deux cent mille Français étaient prisonniers de guerre. Dans un tel état de choses, il fallait à tout prix faire cesser les hostilités par la conclusion d'un armistice; il eut lieu le 22 avril.

Cet armistice n'était pas seulement nécessaire; il fut un acte très-politique. Il fallait avant tout qu'à la force les alliés pussent faire succéder la confiance, et pour cela il fallait leur en inspirer. Cet armistice, d'ailleurs, n'òtait rien à la France qui pùt être pour elle un secours présent ou même éloigné; il ne lui ôtait rien qu'elle pût avoir la plus légère espérance de conserver. Ceux qui ont cru qu'en différant jusqu'à la conclusion de la paix la reddition des places, on aurait rendu meilleures les conditions du traité, ignorent ou oublient que, outre l'impossibilité d'obtenir un armistice en France sans rendre les places, si l'on eût cherché à en prolonger l'occupation, on aurait excité la défiance des alliés, et par conséquent changé leurs dispositions.

Ces dispositions étaient telles que la France pouvait le désirer. Elles étaient de beaucoup meilleures que l'on n'était en droit de s'y attendre. Les alliés avaient été accueillis comme des libérateurs; les éloges prodigués à leur géné

rosité les excitaient à en montrer; il fallait profiter de ce sentiment quand il était dans sa ferveur, et ne pas lui donner le temps de se refroidir. Ce n'était pas assez de faire cesser les hostilités, il fallait faire évacuer le territoire français; il fallait que les intérêts de la France fussent en entier réglés, et qu'il ne restàt pas d'incertitude sur son sort, afin que Votre Majesté pùt prendre sur-le-champ la position qui lui convenait. Pour faire la paix aux meilleures conditions possibles, et pour en retirer tous les avantages qu'elle devait procurer, il était donc nécessaire de se hater de la signer.

Le traité du 30 mai ne fit perdre à la France que ce qu'elle avait conquis, et pas même tout ce qu'elle avait conquis dans le cours de la lutte qu'il terminait. Il ne lui òta rien qui fùt essentiel à sa sûreté ; elle perdit des moyens de domination qui n'étaient point pour elle des moyens de prospérité et de bonheur, et qu'elle ne pouvait conserver avec les avantages d'une paix durable '.

1 Dans son célèbre Mémoire du 25 novembre 1792, M. de Talleyrand, retraçant la politique extérieure qu'il convenait de suivre sous la République, disait :

Il ne s'agit plus aujourd'hui, comme nous le conseillaient il y a quelques années des hommes célèbres dans la carrière politique, il ne s'agit plus d'adopter un système qui puisse rendre à la France le rang que son énorme consistance lui assigne dans l'ordre politique et la primatie qui lui est due, sous tous les rapports, parmi les puissances du conti

nent, etc.

On sait bien maintenant à quoi se réduisent toutes les grandes idées de rang, de primatie, de prépondérance. On sait ce qu'il faut penser de tout cet échafaudage politique sous lequel la turbulence et la nullité des Cabinets de l'Europe se sont débattues si longtemps et avec tant d'appareil aux dépens des intérêts des peuples. On a appris enfin que la véritable primatie,

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