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dans les premiers temps de son arrivée à Vienne. On y met moins d'appareil, et plus de simplicité. On lui a ôté le grand cordon de la Légion d'honneur, et on y a substitué celui de Saint-Étienne.

L'Empereur Alexandre ne parle, suivant son usage, que des idées libérales. Je ne sais si ce sont elles qui lui ont persuadé que pour faire sa cour à ses hôtes, il devait aller à Wagram contempler le théâtre de leur défaite. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il a fait chercher par M. de Czernicheff des officiers qui, ayant assisté à cette bataille, pussent lui faire connaître les positions et les mouvements des deux armées qu'il se plaît à étudier sur le terrain'. On a répondu avant-hier à l'Archiduc Jean qui demandait où était l'Empereur : Monseigneur, il est à Wagram. » Il parait qu'il doit aller d'ici à peu de jours à Pesth; il y a demandé un bal pour le 19. Son projet est d'y paraître en habit hongrois. Avant ou après le bal, il doit aller pleurer sur le tombeau de sa sœur2. A cette cérémonie doivent se

d'ailleurs. Il se lève plusieurs fois la nuit, il écrit des dépêches, et il paraît fort occupé, quoiqu'il parle avec affectation de sa tranquillité et de son oubli des affaires. Il est véritablement important que le consentement des puissances l'éloigne de l'Italie. Il n'y aura pas sans doute de guerre; mais si elle revenait, il est indubitable que Napoléon pourrait réunir des déserteurs italiens, et même français, et agiter quelques points du continent. »

1 Ce n'est pas à Wagram, mais à Aspern (Essling), qu'Alexandre s'était rendu. Le Moniteur du 23 octobre insère ce fait divers de Vienne, à la date du 11 octobre : L'Empereur de Russie et le Roi de Prusse se sont rendus hier matin dans les environs d'Aspern, où Son Altesse Impériale l'Archiduc Charles a eu l'honneur de lui montrer le champ de la bataille qui s'y est livrée le 21 et le 22 mai 1809. »

2 La grande-duchesse Paulowna.

trouver une foule de Grecs qu'il a fait prévenir d'avance, et qui s'empresseront sûrement de venir voir le seul Monarque qui soit de leur rite '. Je ne sais jusqu'à quel point tout cela plait à cette Cour-ci, mais je doute que cela lui plaise beaucoup.

Lord Stewart, frère de lord Castlereagh, ambassadeur près de la Cour de Vienne, est arrivé depuis quelques jours; il a été présenté à l'Empereur Alexandre, qui lui a dit, à ce qu'il m'a raconté : « Nous allons faire une belle et grande chose. Nous allons relever la Pologne en lui donnant pour Roi l'un de mes frères2 ou le mari de ma sœur3 (la duchesse d'Oldenbourg). Lord Stewart lui a dit franchement : « Je ne vois point là d'indépendance pour la Pologne, et je ne crois pas que l'Angleterre, quoique moins intéressée que les autres puissances, puisse s'accommoder de cet arrangement. »

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Ou je me trompe beaucoup, ou l'union entre les quatre Cours est plus apparente que réelle, et tient uniquement à

1 « Il (l'Empereur Alexandre) est revenu avant-hier soir de la course qu'il a faite en Hongrie avec l'Empereur d'Autriche et le Roi de Prusse. Ce voyage, qu'il a provoqué, était encore marqué par l'intrigue. Il a voulu cajoler la nation hongroise et s'entourer des chefs du clergé grec très-nombreux en Hongrie. Nous tenons de lord Castlereagh lui-même que déjà les Grecs fomentent la guerre avec la Turquie. Les Serviens viennent de reprendre les armes. 7 (Lettre de Talleyrand au Département, 31 octobre 1814.) 2 Le grand-duc Constantin ou le grand-duc Nicolas, l'un mort en 1831, après avoir été vice-roi de Pologne, l'autre, Empereur de Russie en 1830. 3 Ici Talleyrand doit se tromper. Le prince Pierre-Frédéric-Georges, marié à la sœur de l'Empereur Alexandre, était mort le 27 décembre 1812 ; mais il laissait un fils, Constant-Frédéric-Pierre, né le 26 août 1812 et encore actuellement existant; il a reçu en Russie le titre d'Altesse.

4. Il ne peut nous échapper que le véritable embarras des puissances

cette circonstance, que les unes ne veulent pas nous supposer les moyens d'agir, et que les autres ne croient pas que nous en ayons la volonté.

Ceux qui nous savent contraires à leurs prétentions pensent que nous n'avons que des raisonnements à leur opposer; l'Empereur Alexandre disait, il y a peu de jours:

Talleyrand fait ici le ministre de Louis XIV. » M. de Humboldt, cherchant à séduire en même temps qu'à intimider M. de Schulembourg, ministre de Saxe, lui disait : « Le ministre de France se présente ici avec des paroles assez nobles; mais ou elles cachent une arrière-pensée, ou il n'y a rien derrière pour les soutenir; malheur donc à ceux qui voudraient y croire. » Le moyen de faire tomber tous ces propos et de faire cesser toutes les irrésolutions serait que Votre Majesté, dans une déclaration qu'Elle adresserait à ses peuples après leur avoir fait connaître les principes qu'Elle nous a ordonné de suivre, et sa ferme résolution de ne s'en écarter jamais, laissât seulement entrevoir que la cause juste ne resterait point sans appui. Une telle déclaration, comme je la conçois, et comme j'en soumettrai le projet à Votre Majesté, ne mènerait pas à la guerre, que personne ne veut, mais elle porterait ceux qui ont des prétentions à les modérer, et donnerait aux autres le courage de défendre leurs intérêts et ceux de l'Europe.

alliées au Congrès part de l'illusion dans laquelle elles se soutenaient en croyant pouvoir régler les affaires de l'Europe sur des bases qu'elles nous avaient annoncées arrêtées, et qui ne le sont pas. »

(Talleyrand à Jaucourt, 23 novembre 1814.)

Mais comme cette déclaration serait en ce moment prématurée, je demande à Votre Majesté la permission de lui en reparler plus tard, si les circonstances ultérieures me paraissent l'exiger. Notre langage commence à faire impression; je regrette fort qu'un accident ' qu'a éprouvé M. de Münster l'ait empêché de se trouver près de lord Castlereagh, qui a bien besoin de soutien; il sera, à ce que l'on nous fait espérer, d'ici à deux jours en état de prendre part aux affaires.

Je suis, etc.

Vienne, 13 octobre 1814.

1

La voiture de M. le comte de Münster, ministre de Hanovre, a été versée en se rendant ici, et il a deux côtes brisées. Cet accident empêche ce ministre de prendre part aux opérations du Congrès. »

(Moniteur universel du 21 octobre 1814.)

No 2.

VII

LE ROI AU PRINCE DE TALLEYRAND

14 octobre 1814.

Mon Cousin, j'ai reçu vos dépêches du 29 septembre et du 4 octobre. (Il sera bon, à l'avenir, de les numéroter, comme je fais pour celle-ci. Par conséquent, celles dont j'accuse ici la réception devront porter les numéros 2 et 3).

Je commence par vous dire, avec une véritable satisfaction, que je suis parfaitement content de l'attitude que vous avez prise, du langage que vous avez tenu, tant vis-à-vis des plénipotentiaires que dans votre pénible conférence avec l'Empereur de Russie. Vous savez sans doute qu'il a mandé le général Pozzo di Borgo'. Dieu veuille que cet esprit sage ramène son Souverain à des vues plus sensées! Mais c'est dans l'hypothèse contraire qu'il faut

raisonner.

1 Le ministre de la guerre écrit le 8 octobre à M. de Talleyrand : Je suis charmé que le général Pozzo di Borgo ait été appelé à Vienne ; il nous connaît bien, et il ne nous veut pas de mal.

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