Page images
PDF
EPUB

autant il est mal dans celle de la Saxe'. Il ne parle que de trahison, de la nécessité d'un exemple; les principes n'apparaissent pas être son côté fort. Le comte de Münster, dont la santé est meilleure, a essayé de le convaincre que de la conservation de la Saxe dépendait l'équilibre et même peut-être l'existence de l'Allemagne, et il a tout au plus réussi à lui donner des doutes; cependant il m'a promis, non pas de se prononcer comme nous dans cette question (il paraît avoir à cet égard avec les Prussiens des engagements qui le lient), mais de faire, dans notre sens, des représentations amicales.

Sa démarche vis-à-vis de l'Empereur Alexandre a été non-seulement faite de l'aveu, mais même à la prière de M. de Metternich. Je n'en saurais douter, quoique ni l'un ni l'autre ne me l'aient dit: l'Autriche sent toutes les conséquences des projets russes2; mais n'osant se mettre en avant, elle y a fait mettre l'Angleterre.

1 Le système des puissances vient de l'effroi où elles sont encore. Le système anglais se présente ici surtout avec évidence.

......Alarmés encore de l'effet qu'a produit sur l'Angleterre le système continental, les ministres anglais veulent que dans le Nord et sur la Baltique il y ait des puissances assez fortes pour que la France ne puisse à aucune époque entraver le commerce de l'Angleterre avec l'intérieur du continent. Ils se prêtent, par cette raison, à tout ce que la Prusse exige......

(Lettre des plénipotentiaires français au Département, 20 octobre 1814.) Le 3 janvier 1815, M. de Talleyrand écrira à Jaucourt :

L'ambassade anglaise au Congrès, qui dans l'origine avait embrassé un système dont nous n'avions pas à nous louer, en a changé entièrement et marche aujourd'hui dans le même sens que nous. »

2 ...Le prince de Metternich, quoiqu'en général guidé par une politique timide et incertaine, juge cependant assez l'opinion de son pays et les

Si l'Empereur Alexandre persiste, l'Autriche, trop intéressée à ne pas céder, ne cédera pas, je le crois; mais sa timidité la portera à traîner les choses en longueur. Cependant, ce parti a des dangers, qui chaque jour deviennent plus grands, qui pourraient devenir extrêmes, et sur lesquels je dois d'autant plus appeler l'attention de Votre Majesté, que leur cause pourrait se prolonger fort au delà du temps présent, de manière à devoir exciter toute sa sollicitude pendant toute la durée de son règne.

Des ferments révolutionnaires sont partout répandus en Allemagne; le jacobinisme y domine, non point comme en France il y a vingt-cinq ans dans les classes moyennes et inférieures, mais parmi la plus haute et la plus riche noblesse ; différence qui fait que la marche d'une révolution qui viendrait à y éclater ne pourrait pas être calculée d'après la marche de la nôtre. Ceux que la dissolution de l'Empire germanique et l'acte de Confédération du Rhin' ont fait descendre du rang de dynastes à la condition de sujets, supportent impatiemment d'avoir pour maîtres ceux dont ils étaient ou croyaient être les égaux, aspirent à renverser un ordre de choses dont leur orgueil s'indigne et à remplacer tous les gouvernements de ce pays par un seul. Avec eux conspirent les hommes des universités et la jeunesse imbue de leurs théories, et ceux qui attribuent à la

intérêts de sa Monarchie pour sentir que les États d'Autriche cernés par la Prusse, la Russie et une Pologne toute dans les mains de la dernière, seraient constamment menacés, que la France peut seule les aider dans cet embarras. » (Lettre au Département, 16 octobre 1814.)

1 En 1806.

division de l'Allemagne en petits États les calamités versées sur elle par tant de guerres dont elle est le continuel théâtre; l'unité de la patrie allemande est leur cri, leur dogme, leur religion exaltée jusqu'au fanatisme; et ce fanatisme a gagné même des princes actuellement régnants'. Or cette unité dont la Frane pouvait n'avoir rien à craindre quand elle possédait la rive gauche du Rhin et la Belgique, serait maintenant pour elle d'une trèsgrande conséquence. Qui peut d'ailleurs prévoir les suites de l'ébranlement d'une masse telle que l'Allemagne, lorsque ses éléments divisés viendraient à s'agiter et à se confondre? Qui sait où s'arrêterait l'impulsion une fois donnée? La situation de l'Allemagne, dont une grande partie ne sait pas qui elle doit avoir pour maître, les occupations militaires, les vexations qui en sont le cortége ordinaire, de nouveaux sacrifices, demandés après tant de sacrifices, le mal-être présent, l'incertitude de l'avenir, tout favorise les projets de bouleversement; il est trop évident que si le Congrès s'ajourne, s'il diffère, s'il ne décide rien, il aggravera cet état de choses; et il est trop à craindre qu'en l'ag

Il y a une autre considération qui nous détermine à engager le Roi à refuser sa sanction et à faire offrir des secours efficaces pour empêcher l'anéantissement de la Maison de Saxe et la réunion de ce pays à la Prusse; cette considération est puisée dans l'esprit révolutionnaire que nous observons en Allemagne et qui porte un caractère tout particulier. Ici, ce n'est pas la lutte du tiers état avec les castes privilégiées qui fait naître la fermentation, ce sont les prétentions et l'amour-propre d'une noblesse militaire et autrefois très-indépendante qui préparent le foyer et les éléments d'une révolution. Cette noblesse préférerait obtenir une existence dans un grand État et ne pas appartenir à des pays morcelés et à des Souverains qu'elle regarde comme ses égaux. A la tête de ce parti se trouvent tous les

gravant il n'amène une explosion. L'intérêt le plus pressant serait donc qu'il accélérât ses travaux et qu'il finît; mais comment finir? En cédant à ce que veulent les Russes et les Prussiens? Ni la sûreté de l'Europe ni l'honneur ne le permettent. En opposant la force à la force? Il faudrait pour cela que l'Autriche, qui, je crois, en a le désir, en eût la volonté. Elle a sur pied des forces immenses; mais elle craint des soulèvements en Italie et n'ose se commettre seule avec la Russie et la Prusse. Elle peut compter sur la Bavière', qui s'est prononcée très-franchement et lui a offert cinquante mille hommes pour défendre la Saxe; le Wurtemberg lui en fournirait dix mille. D'autres États allemands se joindraient à elle, mais cela ne la rassure point assez; elle voudrait pouvoir compter sur notre concours, et ne croit pas pouvoir y compter. Les Prussiens ont répandu le bruit que les mi

princes et nobles médiatisés. Ils cherchent à fondre l'Allemagne en une scule Monarchie pour y entrer dans le rôle d'une grande représentation aristocratique. La Prusse ayant fort habilement flatté tout ce parti, elle l'a rattaché à son char en lui promettant une partie des anciens priviléges dont il jouissait. On peut donc être persuadé que si la Prusse parvenait à réunir la Saxe et à s'approprier çà et là des territoires épars, elle formerait en peu d'années une Monarchie militaire fort dangereuse pour ses voisins, et rien dans cette supposition ne la servirait mieux que ce grand nombre de têtes exaltées qui, sous prétexte de chercher une patrie, la créeraient au milieu des plus grands bouleversements. »

(Lettre des plénipotentiaires français au Département, 16 octobre 1814.) í Le comte Alexis de Noailles recueillait, le 9 novembre suivant, dans une audience du Roi de Bavière, les paroles suivantes :

« J'ai appris qu'on avait cherché en toutes matières à suivre les traces des envoyés de France, à étudier leurs démarches, et qu'on avait été frappé de découvrir qu'ils s'étaient éloignés de toute manœuvre secrète; qu'ils n'avaient pas répandu la moindre somme d'argent, et que leur conduite était sans intrigue et sans tache. J'ai fait une protestation sur les affaires de la

nistres de Votre Majesté avaient reçu de doubles instructions qui leur prescrivaient, les unes le langage qu'ils devaient tenir, et les autres de ne rien promettre. M. de Metternich a fait dire au maréchal de Wrède qu'il le croyait ainsi. Une personne de sa plus intime confiance disait il y a peu de jours à M. de Dalberg': « Votre légation parle très-habilement, mais vous ne voulez point agir; et nous, nous ne voulons point agir seuls. » Votre Majesté croira sans peine que je n'aime pas plus la guerre et que je ne la désire pas plus qu'Elle : mais dans mon opinion il suffirait de la montrer, et l'on n'aurait point besoin de la faire; dans mon opinion encore, la crainte de la guerre ne doit pas l'emporter sur celle d'un mal plus grand, que la guerre seule peut prévenir.

Je ne puis croire que la Russie et la Prusse voulussent courir les chances d'une guerre contre l'Autriche, la France, la Sardaigne, la Bavière et une bonne partie de l'Allemagne; ou si elles voulaient courir cette chance, à plus forte raison ne reculeraient-elles point devant l'Autriche seule, en supposant, ce qui n'est pas, qu'elle voulût engager seule la lutte.

Saxe. Je suis avec vous. - Je ne me séparerai pas de votre politique. Voulez-vous connaître les propos secrets? On compte sur sa loyauté et ses principes; mais on croit qu'il ne sera pas maître de l'armée, et qu'après les négociations il sera forcé à la guerre par les clameurs des généraux avides de conquêtes.

1

« Et cela nous a été confirmé par le propos d'un homme attaché au prince de Metternich, qui, s'expliquant avec le duc de Dalberg, lui dit : « Vous nous

<< paraissez des chiens qui aboient fort habilement, mais qui ne mordront pas, et nous ne voulons pas mordre seuls.»

(Lettre des plénipotentiaires français au Département, 16 octobre 1814.)

« PreviousContinue »