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forte qu'il est possible, et les opposer toutes deux comme rivales à la France. C'est par suite de ce plan que lord Stewart a été nommé ambassadeur à Vienne : il est tout Prussien; c'est là ce qui l'a fait choisir. On tàchera de placer de même à Berlin un homme qui soit lié d'inclination à l'Autriche. Rien ne convient mieux au dessein de rendre la Prusse forte que de lui donner la Saxe. L'Angleterre veut donc que l'on sacrifie ce pays et qu'on le donne à la Prusse. Lord Castlereagh et M. Cook sont si déterminés dans cette question, qu'ils osent dire que le sacrifice de la Saxe, sans aucune abdication, sans aucune cession du Roi, ne blesse aucun principe. Naturellement l'Autriche devrait repousser cette doctrine la justice, la bienséance, la sûreté même, tout l'en presse; qu'a-t-on fait pour vaincre sa résistance? Rien que de très-simple: on l'a placée vis-à-vis de deux difficultés, en l'aidant à surmonter l'une à condition qu'elle céderait sur l'autre; l'Empereur de Russie est là fort à propos avec le désir d'avoir le duché de Varsovie entier et de servir un simulacre de Royaume de Pologne; lord Castlereagh s'y oppose'; il dresse un mémoire qu'il montrera à son Parlement pour faire croire qu'il a eu tant de

1 Dans sa lettre sur la Pologne, lord Castlereagh rappelait à l'Empereur de Russie l'assistance qu'il avait reçue de l'Angleterre, et lui disait : « Je n'hésite pas à exprimer à Votre Majesté ma conviction intime que c'est exclusivement l'esprit dans lequel Elle traitera la question directement liée à son propre Empire qui décidera si ce présent Congrès doit faire le bonheur du monde ou présenter seulement une scène de discordes et d'intrigues, et une lutte ignoble pour acquérir du pouvoir aux dépens des principes. La place que Votre Majesté occupe en Europe lui donne les moyens de tout faire pour le bonheur général, si son intervention est fondée sur des principes de justice auxquels l'Europe puisse rendre hommage; mais si

peine à arranger les affaires de Pologne qu'on ne saurait lui imputer à blàme de n'avoir pas sauvé la Saxe, et pour prix de ses efforts, il presse l'Autriche de consentir à la disparition de ce Royaume; qui sait si le désir de former un simulacre de Pologne n'a pas été suggéré à l'Empereur Alexandre par ceux mêmes qui le combattent, ou si ce désir est sincère, si l'Empereur, pour se rendre agréable aux Polonais, ne leur a pas fait des promesses qu'il serait trèsfàché de tenir, si la résistance qu'on lui oppose n'est pas ce qu'il souhaite le plus, et si on ne le mettrait point dans le plus grand embarras en consentant à ce qu'il paraît vouloir? Cependant, M. de Metternich, qui se pique de donner à tout l'impulsion, la reçoit lui-même sans s'en douter, et, jouet des intrigues qu'il croit mener, il se laisse tromper comme un enfant.

Sans assurer que toutes ces informations soient parfai

je

Votre Majesté cessait de faire cas de l'opinion publique. désespérerais de la possibilité d'un ordre de choses juste et stable en Europe, et j'aurais la mortification de voir Votre Majesté pour la première fois considérée par ceux mêmes qu'Elle a délivrés, comme l'objet de leurs alarmes après avoir été celui de leur confiance et de leur espoir.

L'Empereur Alexandre lui répond le 30 octobre 1814:

...

Je passe donc à l'article où vous me rappelez des événements dont je ne perdrai jamais le souvenir, c'est-à-dire l'assistance franche et cordiale que j'ai reçue de l'Angleterre lorsque je luttai seul contre tout le continent conduit par Napoléon. On se met toujours dans son tort quand on veut porter en compte à quelqu'un des services rendus. Si j'avais cru trouver dans vos remarques cette intention ou bien le soupçon injuste de ne plus suffisamment apprécier le caractère élevé de la nation et la politique amicale et éclairée du Cabinet britannique pendant le cours de la guerre, je n'y eusse pas répondu.»

tement exactes, je dois dire qu'elles me paraissent extrèmement vraisemblables.

Il y a peu de jours que M. de Metternich réunit près de lui un certain nombre de personnes qu'il est dans l'habitude de consulter; toutes furent d'avis que la Saxe ne devait point être abandonnée. Rien ne fut conclu; et avant-hier au soir j'appris par une voie sùre que M. de Metternich personnellement abandonnait la Saxe, mais que l'Empereur d'Autriche luttait encore.

L'un des commissaires pour le projet de constitution fédérale a dit que les propositions qui leur étaient faites supposaient que la Saxe ne devait plus exister.

La journée d'hier fut consacrée tout entière à deux fêtes : l'une militaire et commémorative de la bataille de Leipzig; la légation de Votre Majesté n'y pouvait pas être; j'assistai à l'autre, donnée par le prince de Metternich en l'honneur de la paix; je désirais pouvoir y trouver l'occasion de dire un mot à l'Empereur d'Autriche. Je ne fus point assez heureux; je l'avais été davantage au bal précédent, où j'avais pu placer vis-à-vis de lui quelques mots sur les circonstances, et de nature à produire quelque effet sur son esprit; il parut alors me très-bien comprendre. Lord Castlereagh lui parla près de vingt minutes, et il m'est revenu que la Saxe avait été le sujet de cette conversation.

La disposition qui donnerait ce pays à la Prusse serait regardée en Autriche', même par les hommes du Cabinet,

1. C'est avec un singulier aveuglement que M. le prince de Metternich continue à seconder les projets des trois puissances; qu'il facilite à la Russie

comme un malheur pour la Monarchie autrichienne, et en Allemagne comme une calamité'; on l'y regarderait comme destinant infailliblement l'Allemagne même à être partagée plus tôt ou plus tard comme l'a été la Pologne.

Le Roi de Bavière ordonnait encore hier à son ministre de faire de nouvelles démarches pour la Saxe, et il disait : « Ce projet est de toute injustice, et m'ôte tout repos. >>

Si l'Autriche veut conserver la Saxe, il est probable qu'elle voudra à tout événement s'assurer de notre coopération, et c'est pour être prêt à répondre à toute demande de cette nature que j'ai supplié Votre Majesté de m'honorer de ses ordres. Toutefois, comme j'ai eu l'honneur de le lui dire, je tiens pour certain que la Russie et la Prusse n'engageraient pas

la lutte.

Si l'Autriche cédait sans avoir demandé notre concours, c'est qu'elle serait décidée à n'en pas vouloir. Elle ôterait

les moyens de s'emparer du duché de Varsovie, à la Prusse d'occuper la Saxe, et à l'Angleterre d'exercer l'influence la plus absolue sur ce qu'on appelait et ce qu'on peut encore appeler la Coalition. Cet état de choses produit un effet très-étrange : tout ce qui tient à la Monarchie autrichienne s'approche de nous, tout ce qui tient au ministère s'en éloigne. ›

(Talleyrand au Département, 20 octobre 1814.)

1 Le duc régnant de Saxe-Cobourg-Saalfeld écrivait à lord Castlereagh : « Vous m'avez dit qu'en point de droit l'affaire du Roi de Saxe était décidée, et qu'il ne devait plus rien espérer que de la clémence. Je l'avoue à Votre Excellence, je ne saurais comprendre comment, en droit, l'affaire du Roi de Saxe pourrait être décidée contre lui. Comment, en effet, aurait-il pu perdre ses États? Par la conquête? Par cession? Par jugement? Par la conquête? Vous ne le pensez pas, mylord! En Angleterre, on n'a jamais cru que le Roi eût perdu la souveraineté du Hanovre parce que Bonaparte l'avait conquis. Bonaparte lui-même, qui avait voulu transformer la conquête en souveraineté, avait bien su réclamer contre un tel abus, lorsque, par représailles, vous avez cédé la Guadeloupe à la Suède. Par cession? Le Roi n'a point

par là à Votre Majesté toute espérance de sauver la Saxe, mais elle ne saurait lui ôter la gloire de défendre les principes qui font la sûreté de tous les trônes.

Au surplus, tant que l'Autriche n'aura pas définitivement cédé, je ne désespérerai point, et je crois même avoir trouvé un moyen sinon d'empêcher que la Saxe ne soit sacrifiée, du moins d'embarrasser ceux qui la veulent sacrifier: c'est de faire connaître à l'Empereur de Russie que nous ne nous opposons point à ce qu'il possède, sous quelque domination que ce soit, la partie de la Pologne qui lui serait dévolue et qui n'étendrait point ses frontières de manière à inquiéter ses voisins, et pourvu en même temps que la Saxe fùt conservée.

Si l'Empereur n'a réellement point envie de faire un Royaume de Pologne, et qu'il ne cherche qu'une excuse à donner aux Polonais, cette déclaration le gênera; il ne pourra pas dire aux Polonais, et ceux-ci ne pourront pas croire, que c'est la France qui s'oppose à l'accomplissement de leur voru le plus cher. De son côté, lord Castlereagh sera embarrassé d'expliquer au Parlement

cédé et ne cédera jamais ses droits. Par jugement enfin? Mais jugera-t-on le Roi sans l'entendre? Et qui le jugera? Ses oppresseurs? Ceux qui veulent s'enrichir de ses dépouilles?.....

Sera-ce la nation? Elle le réclame.

‹ Sera-ce l'Allemagne? Tous les États qui la composent, un seul exceptė, regardent l'Allemagne comme perdue si la Saxe est détruite.

Veut-on consulter les intérêts de l'Allemagne? Sans doute on ne supposera pas que tous les États qui la composent soient assez ignorants et assez aveugles sur leurs propres intérêts pour se méprendre sur ce qui peut la perdre ou la sauver, et, je vous l'ai déjà dit, mylord, tous regarderaient la perte de la Saxe comme l'arrêt de leur propre perte.

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