Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

possède peut-être encore un moyen de sauver la « France. Et si je rappelais moi-même les Bourbons ! Il << faudrait bien que les alliés s'arrêtassent devant eux, « sous peine de honte et de duplicité avouée, sous peine « d'attester qu'ils en veulent encore plus à notre terri«<toire qu'à ma personne. Je sacrifierais tout à la Patrie; je deviendrais le médiateur entre le peuple français «et eux; je les contraindrais d'accéder aux lois natio« nales; je leur ferais jurer le pacte existant; ma gloire «<et mon nom serviraient de garantie aux Français. Quant à moi, j'ai assez régné, ma carrière regorge « de hauts faits et de lustre, et ce dernier ne serait pas «<le moindre; ce serait m'élever encore que de des« cendre de la sorte. » Et, après quelques moments. d'un silence profond, il reprit douloureusement: «Mais « une dynastie déjà expulsée pardonne-t-elle jamais?... « Au retour, peut-elle rien oublier?..... S'en fierait-on à « eux... et Fox aurait-il donc eu raison dans sa fameuse maxime sur les restaurations?... >>

[ocr errors]

Déjà en 1810 il disait à M. de Metternich: «Savezvous pourquoi Louis XVIII n'est point assis ici en face de vous? Ce n'est que parce que j'y suis assis, moi. Tout autre n'aurait pas pu s'y soutenir, et si jamais je devais disparaître par suite d'une catastrophe, nul autre qu'un Bourbon ne pourrait s'asseoir à cette place.

[ocr errors]

L'idée de la légitimité ne devait pas seulement, dans la pensée de M. de Talleyrand, servir d'égide à la France, elle devait être aussi le palladium d'un équilibre européen assez durable pour assurer à notre pays, excédé de tant de luttes, de longues années de repos et de prospérité.

M. de Talleyrand avait toujours eu un secret penchant pour l'alliance anglaise, et bien avant la Révolution de 1789 il faisait partie de ce petit groupe d'esprits qui, depuis la publication des Lettres anglaises de Voltaire et l'hommage rendu par Montesquieu à la grande nation libre et commerçante, se demandaient s'il ne serait pas possible de s'affranchir des préjugés et des jalousies séculaires pour inaugurer entre la France et l'Angleterre, réconciliées, une alliance réclamée à la fois par les intérêts des deux peuples, et par la cause supérieure de la civilisation elle-même.

Mirabeau avait les mêmes tendances, et voici le conseil qu'il donnait en 1786, et que nous détachons de deux lettres inédites de la correspondance échangée entre lui et son ami l'abbé de Périgord, au cours de sa mission secrète à Berlin : « J'ai discuté avec le duc de Brunswick cette idée, prétendue chimérique, d'une alliance entre la France et l'Angleterre; il la regarde comme le sauveur du monde, et comme n'ayant d'autre

difficulté que les préjugés de la fausse science et la tiédeur de la pusillanimité.

J'en ai parlé... philosophiquement avec la légation anglaise, et j'ai trouvé milord Dalrymple, et même son très-britannique secrétaire de légation, infiniment plus près de ces idées que je n'aurais osé l'espérer. Le lord m'a dit qu'aussitôt la nouvelle de la Confédération germanique, il l'avait dit au marquis de Carmarthen et à M. Pitt, qu'il n'y avait plus qu'un système pour l'Angleterre, celui d'une coalition avec la France, fondée sur la liberté illimitée du commerce.

« Ils auront beau faire, les politiques routiniers, ils auront beau s'évertuer dans leurs agitations subalternes, il n'y a qu'un grand plan, qu'une idée lumineuse, qu'un projet assez vaste pour tout embrasser, pour tout concilier, pour tout terminer ; c'est le vôtre, qui, faisant disparaître, non pas les rivalités de commerce, mais les inimitiés absurdes et sanglantes qu'elles font naître, confierait aux soins paternels et vigilants de la France et de l'Angleterre la paix et la liberté des deux mondes...

<< Sans doute elle paraît romanesque, cette idée; mais est-ce notre faute à nous si tout ce qui est simple est devenu romanesque? Sans doute elle paraît un chapitre de Gulliver aux vues courtes; mais n'est-ce donc pas la

distance plus ou moins reculée du possible qui distingue les hommes?... »

« Je ne veux que vous encourager à montrer la possibilité, presque la facilité, d'asseoir sur l'éternelle et inébranlable base de l'intérêt commun, l'alliance de deux pays qui doivent et peuvent commander la paix au monde, et qui ne cesseront jamais de l'ensanglanter en se déchirant. » - Paroles prophétiques, que l'ancien ami de Mirabeau n'avait pas oubliées, car dès 1792, envoyé en mission à Londres, il avait tenté cet accord,

et qu'il devait se redire durant les luttes fatales de l'Empire, dont la liquidation désastreuse devait le ramener à la nécessité de cette alliance.

C'est l'impérieuse obligation d'assurer le repos de la France et de garantir l'équilibre européen, qui le déterminait à se rapprocher de la légation anglaise.

La Russie ne pouvait s'accorder avec la France que dans un but de domination; on l'avait bien vu à Tilsitt. L'alliance de la France et de la Russie était en définitive avantageuse surtout pour la Russie, qui avait en perspective des agrandissements illimités en Asie et même en Europe. La France, au contraire, dans les conditions même les plus favorables, ne pouvait rien prétendre au delà du Rhin. M. de Talleyrand faisait donc œuvre d'homme d'État en proclamant que la force

réelle de la France, surtout après sa défaite, était toute dans sa volonté, nettement exprimée, du rétablissement et du maintien de la paix. C'est à ce moment que, revenant aux idées de Voltaire et de sa « République européenne », il disait, suivant l'expression recueillie de sa bouche par le baron de Gagern, « qu'il fallait être bon Européen, modéré, que la France ne devait demander et ne demandait rien, absolument rien, sauf une juste répartition entre les puissances, c'està-dire l'équilibre ».

Cet équilibre était défini : « Une combinaison des droits, des intérêts et des rapports des puissances << entre elles, par lesquels l'Europe cherche à obtenir : 10 que les droits et possessions d'une puissance ne puissent être atteints par une ou plusieurs autres ; « 2o que jamais une ou plusieurs autres ne puissent parvenir à dominer l'Europe; 3° que la combinaison adoptée rende impossible ou difficile la rupture de « l'ordre établi et du repos de l'Europe.

[ocr errors]
[ocr errors]

כג

C'est pour l'obtenir qu'il signa le traité du 3 janvier 1815.

Il voyait en Europe: d'une part, l'Autriche, puis

[ocr errors]

1 L'Europe compte aujourd'hui quatre grandes puissances; car dans le rang je ne mets point la Prusse. Elle est grande dans l'opinion parce que

« PreviousContinue »