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DES RAPPORTS DU MARIAGE AVEC LA NATURALISATION.

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le jus soli faisait sa réapparition dans notre législation au sujet de la détermination de la nationalité elle-même depuis cinquante années d'ailleurs ce sont toujours ces mêmes raisons qui ont amené des modifications parallèles, à la fois dans les dispositions légales concernant la définition de la qualité de Français et dans celles relatives aux conditions de la naturalisation en France.

Toutes ces considérations dominèrent tellement la réforme accomplie en 1889, que les effets mêmes de la naturalisation du chef de famille étranger furent consacrés d'après une idée d'une nature toute nouvelle, basée sur le désir de maintenir l'unité de nationalité dans la famille « Il faut que l'unité : << de nationalité scelle l'union entre les époux, que des époux <«< elle rayonne sur les enfants et qu'elle confonde parents et « enfants dans une même communauté de sentiments »> (1).

Que vaut ce principe présenté ainsi sous une apparence aussi séduisante à première vue au fond, que brillante et éloquente en la forme? A-t-il ensuite été appliqué jusque dans ses dernières conséquences par la loi de 1889? Ce sont là deux questions qu'il convient d'examiner en ce qui concerne la naturalisation en France d'un père de famille étranger; mais auparavant, un résumé de la législation française avant 1889 nous paraît utile et nécessaire.

Dans notre ancien droit, l'institution qu'on peut considérer comme équivalente aujourd'hui à la naturalisation, résultait d'une faveur que le souverain accordait ou refusait suivant son bon plaisir l'acquisition de la condition de sujet du roi revêtait alors la forme de lettres de naturalité (2) enregistrées,

(1) Discours de M. Camille Sée, Conseiller d'État, Commissaire du gouvernement, à la séance du Sénat du 13 novembre 1886 (Journal officiel du 14, Déb. parl., Sénat, p. 1183 et suiv.).

(2) M. Viollet, Histoire du droit civil français, 2o édit., p. 370, note 2.

après leur délivrance, par la Chambre des comptes et par la Chambre des domaines reconnaître, en effet, un aubain comme admis au nombre de ses sujets, c'était pour le souverain porter atteinte aux finances royales, car l'abandon du droit d'aubaine en était la conséquence; il y avait aussi des lettres de déclaration de naturalité accordées également à titre purement gracieux, mais seulement à des individus natifs de certains pays sur lesquels le roi considérait que la couronne avait conservé certains droits de souveraineté (1). Nos vieux auteurs considéraient les lettres de naturalité comme absolument personnelles à celui qui en était l'objet (2).

La Révolution bouleversa brusquement l'ancien caractère de cette institution; la naturalisation cesse d'être une faveur : elle devient un droit pour l'individu; l'intervention du gouvernement n'est même plus nécessaire. La loi du 2 mai 1890 dispose en effet : « Tous ceux qui, nés hors du royaume << de parents étrangers; sont établis en France, sont réputés <«< Français et admis, en prêtant le serment civique, à l'exer«< cice des droits du citoyen actif, après cinq ans de domicile << continu dans le royaume, s'ils ont en outre ou acquis des <«< immeubles, ou épousé un Français ou formé un établisse<< ment de commerce, ou reçu dans quelque ville des lettres <<< de bourgeoisie ». - Une objection peut être faite s'agitil vraiment ici d'une naturalisation; n'y a-t-il pas là au contraire, une définition nouvelle de la qualité de Français? N'impose-t-on pas en effet à un individu et contre son gré, la

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(1) Pothier, Traité des personnes, tit. II, S. I, § 45, et note 3.

(2) Bacquet, Droit d'aubaine, IIIe part., ch. XXV, no 6: « Les parents des estrangers, s'ils ne sont naiz en France et demeurans en France, ne succéde«<ront aucunement à l'estranger naturalisé ès-biens estans en France, fussent« ils les propres enfants de l'estranger naturalisé. » Les lettres de déclaration s'étendaient, au contraire, aux enfants du naturalisé. V. M. Weiss, op. cit., t. I, p. 301.

nationalité française? Evidemment, aujourd'hui avec la conception moderne de la naturalisation qui doit être demandée et dont le bénéfice peut être accordé ou refusé en vertu du pouvoir discrétionnaire du gouvernement, il semble que cette loi ait plus trait à la détermination de la qualité de Français, qu'à une naturalisation proprement dite. Il convient cependant de juger un texte d'après l'époque où il a été édicté : or il est certain qu'il s'agissait bien là d'une naturalisation; le fait volontaire du domicile pendant cinq ans, de l'acquisition d'immeubles, de la création d'un établissement de commerce, du mariage avec une Française, de la prestation du serment civique suffit à laisser la liberté individuelle intacte: or le propre d'une loi statuant sur la détermination de la qualité de national est de fixer a priori la condition de l'individu, surtout à cette époque où l'on ne connaissait pas encore les Français sous condition suspensive ou résolutoire. Evidemment la naturalisation s'opérait de plein droit si l'individu remplissait les conditions exigées par la loi c'était en effet la différence fondamentale qui sépare la naturalisation actuelle de l'ancienne; il n'en est pas moins vrai, à notre avis, qu'il s'agissait bien là d'une véritable naturalisation, telle du moins qu'on la concevait au moment de la Révolution.

La Constitution du 14 septembre 1791, tout en maintenant les conditions déterminées par la loi du 2 mai 1790, accorda au pouvoir législatif « pour des considérations importantes », le droit de naturaliser un étranger « sans autres conditions << que de fixer son domicile en France et d'y prêter le serment civique ». (Titre II, article 4).

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Remarquons d'ailleurs que dans la loi de 1790 comme dans la Constitution de 1791, une antithèse est faite entre la qualité de Français et celle de citoyen celle-ci est subordonnée à la prestation du serment civique, celle-là à la réunion des con

ditions déterminées par les textes, l'une supposant une manifestation expresse de volonté, l'autre, une simple acceptation tacite.

Il paraît, au contraire, difficile de voir une naturalisation, au sens où on l'entendait alors, même avec acceptation tacite, dans l'article 4 de la constitution du 24 juin 1793 qui disposait : «Tout étranger âgé de vingt et un ans accomplis, qui, « domicilié en France depuis une année, y vit de son travail, <«<ou acquiert une propriété, ou épouse une Française, ou << adopte un enfant, on nourrit un vieillard, tout étranger <«<< enfin qui sera jugé par le corps législatif avoir bien mérité <«< de l'humanité, est admis à l'exercice des droits de citoyen «< français. » Ici en effet, la condition de citoyen français, avec ses charges et ses devoirs, résultait de conditions nouvelles dans lesquelles il serait téméraire de rechercher la volonté de devenir Français; il y avait là une exagération manifeste tenant à la confusion faite entre deux ordres d'idées distincts, qui ne furent nettement délimités que plus tard la naissance et l'effet de la loi d'une part, la naturalisation d'autre part.

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La Constitution du 5 fructidor an III édicte une disposition beaucoup plus nette, et revenant à ce principe de la naturalisation de plein droit, combiné avec le respect dû à la liberté individuelle, son article 10 est ainsi conçu : « L'étranger devient citoyen Français, lorsqu'après avoir atteint l'âge de vingt et <«< un ans accomplis, et avoir déclaré l'intention de se fixer « en France, il y a résidé pendant sept années consécutives, «< pourvu qu'il paye une contribution directe et qu'en outre, <«< il y possède une propriété foncière ou un établissement d'agriculture ou de commerce, ou qu'il ait épousé une Fran«çaise ». Une manifestation de volonté expresse, consistant dans le fait de déclarer vouloir fixer sa résidence en France est donc maintenant nécessaire : elle est de plus suffisante; il en sera ainsi en principe jusqu'en 1809.

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La Constitution du 22 frimaire an VIII dans son article 3 supprimant toute condition de fait autre que celle de la résidence maintint la déclaration, mais porta la durée de la résidence à dix années (1).

On voit, par l'examen de ces textes, que pendant toute la durée de l'époque révolutionnaire, l'acquisition de la nationalité française du chef de famille par voie de naturalisation, n'a pas été prévue comme pouvant influer dans un sens ou dans un autre, sur la nationalité de sa femme ou de ses enfants même mineurs. Aussi les vieilles règles toutes de tradition, relatives à l'effet personnel de la naturalisation semblent-elles bien avoir été suivies dans le droit intermédiaire. La règle posée par d'Aguessau au xvi° siècle : « beneficium principis non egreditur » subsista donc entière

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Le Code civil de 1804 ne contenait aucune disposition relative à la naturalisation des étrangers en France aussi devenaient Français tous les individus qui remplissaient les conditions de l'article 3 de la constitution du 22 frimaire an VIII, et d'autre part, suivant la tradition, la naturalisation d'un chef de famille étranger devait restreindre ses effels à lui seul.

Les modifications apportées dans la suite aux principes consacrés par la Constitution de l'an VIII ont-elles porté sur l'effet personnel de la naturalisation ou sur son extension à la famille du naturalisé ? Il apparaît d'abord que toutes les réformes survenues depuis la promulgation du Code ont eu

(1) Constitution du 22 frimaire an VIII, art. 3. « Un étranger devient citoyen français lorsqu'après avoir atteint l'âge de vingt et un ans accomplis « et avoir déclaré l'intention de se fixer en France, il y a résidé pendant dix « années consécutives ».

(2) D'Aguesseau, 3e plaidoyer, t. III, édition des œuvres complètes.

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