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rement au sommet de l'ordre judiciaire un tribunal supérieur à tous les autres, et qui échappe lui-même à toute juridiction.

760. « Art. 510. Néanmoins aucun juge ne pourra être pris à partie sans permission préalable du tribunal devant lequel la prise à partie sera portée. »

La nécessité de cette autorisation a été introduite, dans l'ancienne jurisprudence, par des arrêts de règlement, notamment par l'arrêt du conseil du 4 juin 1699, corroboré par un autre arrêt du 18 août 1702, qui renvoie expressément à l'arrêt de 1699. Déjà auparavant, un arrêt de règlement du 4 mai 1693 avait défendu aux procureurs d'insérer la clause de prise à partie dans les lettres de chancellerie qu'ils se faisaient délivrer. Rien ne pouvait suppléer l'autorisation du parlement appelé à statuer sur la prise à partie. La nécessité de cette autorisation se trouve reproduite dans notre art. 510.

« Art. 511. Il sera présenté, à cet effet, une requête signée de la partie, ou de son fondé de procuration authentique et spéciale, laquelle procuration sera annexée à la requête, ainsi que les pièces justificatives, s'il y en a, à peine de nullité.»

« Art. 512. Il ne pourra être employé aucun terme injurieux contre les juges, à peine contre la partie, de telle amende, et contre son avoué, de telle injonction ou suspension qu'il appartiendra. »

Sur cette requête, il intervient un jugement qui accorde ou refuse l'autorisation de poursuivre la prise à partie. On admet généralement que ce jugement doit être rendu en la chambre du conseil. Dans tous les cas, il est certain que le magistrat contre lequel la partie veut se pourvoir ne doit être ni entendu ni appelé et la partie qui veut se pourvoir ne peut développer oralement ses moyens (1).

« Art. 513. Si la requête est rejetée, la partie sera condamnée à une amende qui ne pourra être moindre de trois cents francs, sans préjudice des dommages et intérêts envers les parties, s'il y a lieu.

Cette amende est une peine infligée à celui qui élève à tort, contre un juge ou un tribunal, des imputations de nature à faire soupçonner leur justice et leur impartialité.

Quant aux dommages et intérêts envers les parties, ils ne sont dus que si la requête cause un préjudice à l'adversaire de l'affaire principale.

« Art. 514. Si la requête est admise, elle sera signifiée dans trois jours au juge pris à partie, qui sera tenu de fournir ses défenses dans la huitaine.

Il s'abstiendra de la connaissance du différend; il s'abstiendra même, jusqu'au jugement définitif de la prise à partie, de toutes les causes que la partie, ou ses parents en ligne directe, ou son conjoint, pourront avoir dans son tribunal, à peine de nullité des jugements.

Si la requête est admise, elle sera signifiée... L'admission de la requête, c'està-dire l'autorisation accordée par jugement de poursuivre la prise à partie, suppose qu'il s'élève au moins quelques présomptions contre le juge. Il n'a plus droit aux mêmes ménagements qu'auparavant; aussi ce n'est plus par l'intermé

(1) C. de Paris, 30 janvier 1836 (Dall., Rép., vo Prise à partie, no 55).

diaire du greffier que le demandeur correspond avec lui; il devient un adversaire ordinaire, à qui les significations d'actes sont faites à personne ou à domicile. Je crois même que la partie ne ferait pas au greffe une signification valable.

Le juge fournit ses défenses dans la huitaine; mais ce délai n'est pas de rigueur, pas plus que ceux des art. 77 et 78 pour les significations d'écritures dans les affaires ordinaires. Le demandeur peut également signifier une réponse aux défenses du juge sur la prise à partie (art. 75, § 17 du tarif).

Le juge et le plaideur qui le prend à partie sont placés en état d'hostilité directe comme les deux parties d'un procès ordinaire, contrairement à ce que nous avons vu en matière de récusation. Cette différence tient, comme je l'ai montré, à ce que, dans la récusation, le plaideur n'élève qu'une crainte, qu'un soupçon sur la partialité du juge, tandis que la prise à partie, surtout après l'admission de la requête, suppose que le plaideur a imputé au juge des faits de la nature la plus grave.

Le deuxième alinéa de notre article frappe le juge pris à partie, après l'admission de la requête, d'une incapacité de juger certaines affaires. Cette disposition ne fait pas double emploi avec celle de l'art. 378, 6o, même en ce qui concerne l'adversaire du juge. En effet, quand il y a tout autre procès civil entre le juge et l'une des parties, le juge peut être récusé, mais la récusation n'est que facultative. Le juge non récusé a très-valablement jugé, quoiqu'il y eût cause de récusation en sa personne. Mais le juge ne peut, pendant l'instance de prise à partie dirigée contre lui, participer au jugement d'un procès qui intéresse le demandeur en prise à partie, ses parents en ligne directe ou son conjoint, à peine de nullité du jugement.

Art. 515. La prise à partie sera portée à l'audience sur un simple acte, et sera jugée par une autre section que celle qui l'aura admise: si la cour impériale n'est composée que d'une section, le jugement de la prise à partie sera renvoyé à la cour impériale la plus voisine par la cour de cassation. »

La loi semble attacher ici une grande importance à ce que les juges qui ont autorisé la demande de prise à partie ne statuent pas eux-mêmes sur la prise à partie. Elle a voulu proportionner les garanties d'une bonne justice à l'importance du débat. Mais le décret du 30 mars 1808, art. 22, paraît avoir modifié notre art. 515. Cet art. 22 ordonne de porter les prises à partie aux audiences solennelles des cours, c'est-à-dire à une audience où siégent deux chambres réunies. Cette garantie nouvelle paraît remplacer celle de l'art. 515; les mêmes juges seront compétents pour autoriser et pour juger la prise à partie.

Est portée à l'audience. L'affaire est plaidée comme toute autre affaire. Le juge, je l'ai déjà dit, est assimilé, après l'admission de la requête, à un adversaire ordinaire. L'avocat de la partie plaide contre le juge, qui peut lui-même charger un avocat de présenter sa défense (1).

Si la cour impériale n'est composée que d'une section... Cette disposition n'est plus applicable; toutes les cours se composent de plusieurs sections (V. décret du 6 juillet 1810, art. 1 et 2).

(1) A la cour de cassation, l'affaire s'instruit devant la chambre des requêtes dans la forme ordinaire. C. de cass., 6 juillet 1858 (Dall., 1858, 1,279).

761. § 3. Des effets du jugement (art. 516.).

« Art. 516. Si le demandeur est débouté, il sera condamné à une amende qui ne pourra être moindre de trois cents francs, sans préjudice des dommages et intérêts envers les parties, s'il y a lieu. »

On suppose que la prise à partie a été repoussée; la loi punit celui qui l'avait formée, pour avoir injustement attaqué le juge ou le tribunal.

Mais la loi ne s'explique pas sur le cas où la prise à partie est accueillie par le tribunal appelé à statuer sur cette demande. C'est précisément dans cette hypothèse que les difficultés peuvent se présenter. On ne saurait donner une décision uniforme pour tous les cas de prise à partie. S'agit-il d'un acte fait par le juge en dehors d'une instance, par exemple d'une arrestation illégale (art. 112, Inst. cr.)? L'acte sera annulé et le juge pourra être condamné à des dommages-intérêts envers la partie lésée. Le juge est-il convaincu d'un déni de justice? Il sera encore condamné à toute la réparation du préjudice qu'il a causé au demandeur qui triomphe dans la prise à partie.

La difficulté s'accroît quand la prise à partie est intentée à l'occasion d'un jugement qui aurait été rendu par dol, fraude ou concussion. Quel est l'effet de la prise à partie accueillie par le tribunal, à l'égard du jugement injustement rendu? Que le juge prévaricateur doive être condamné à réparer tout le préjudice causé par le jugement inique, c'est une décision qui ne trouve pas de contradicteurs. Mais comment procéder? Qui aura droit aux dommages-intérêts? J'ai été condamné à payer à Paul 20,000 francs par un jugement que je prétends rendu par dol, fraude ou concussion imputable au juge. Je le prends à partie et j'obtiens gain de cause. Annulera-t-on le jugement qui m'a condamné à tort, sauf à condamner le juge à une réparation à l'égard de Paul que le jugement attaqué avait déclaré créancier? ou bien maintiendra-t-on le jugement rendu au profit de Paul, en condamnant le juge à m'indemniser de toutes les condamnations injustement prononcées contre moi? Cette question offre un grand intérêt si l'on suppose le juge insolvable.

Si la partie qui a obtenu gain de cause a été complice du dol du juge, on décide sans hésitation que le jugement inique ne sera pas maintenu. S'il est en premier ressort, le demandeur en prise à partie en poursuivra la réformation par la voie de l'appel. Il pourra agir par la voie de la requête civile, pour dol personnel (art. 480, 1o), si le jugement est en dernier ressort.

Mais les auteurs cessent d'être d'accord dans l'hypothèse où la partie qui a obtenu le jugement attaqué n'est pas complice du dol du juge. Dans une première opinion, on soutient que le jugement inique conserve son autorité entre les parties, lorsque toutes deux sont de bonne foi, sauf la condamnation du juge à des dommages-intérêts envers la partie indûment condamnée. Mais alors cette partie supporterait seule les conséquences de l'insolvabilité du juge. Je ne puis approuver cette solution. La chose jugée ne saurait avoir autorité, quand elle a pour base le dol, la fraude, la concussion du juge. Respecter une pareille décision, ce serait amoindrir le respect dû aux décisions justes des tribunaux.

Aussi la plupart des auteurs décident-ils que le jugement fondé sur le dol du juge, même sans la complicité de la partie, ne sera pas maintenu; mais ils diffèrent sur les moyens de faire tomber le jugement. Suivant les uns, celui qui a

triomphé dans la prise à partie attaquera ensuite le jugement inique par la voie de l'appel, s'il est en premier ressort; par la requête civile, s'il est en dernier ressort. D'autres considèrent le dol du juge comme une forfaiture, et les actes de forfaiture doivent être annulés par la cour de cassation. Je préfère me ranger à l'opinion de ceux qui, s'attachant à l'idée que la prise à partie est une voie extraordinaire pour attaquer les jugements, accordent au tribunal, qui statue sur la prise à partie, le droit de prononcer directement la nullité du jugement fondé sur le dol du juge, que la partie soit ou non complice de ce dol. *

TRENTE-QUATRIÈME LEÇON

DU POURVOI EN CASSATION.

762. Le pourvoi en cassation est la dernière des voies extraordinaires que la loi française ait ouvertes pour attaquer les jugements; il a lieu, en certains cas, contre les jugements non susceptibles de rétractation ou de réformation.

Sauf la disposition de l'art. 504, disposition tout à fait spéciale, le Code de procédure est muet, non pas précisément sur les attributions de la cour de cassation, mais au moins sur la plus fréquente, sur la plus importante de toutes ses attributions, celle qui consiste à casser les jugements ou arrêts dans les cas déterminés par la loi. Le silence du Code de procédure s'explique sur ces questions de compétence, comme sur celles de procédure et de forme, par l'existence de lois antérieures et de règlements spéciaux qui régissaient et qui régissent encore l'institution et les attributions de la cour de cassation.

A cet égard nous avons trois points à examiner, non pas sans doute dans tous les détails que pourrait comporter et mériter cette matière, mais au moins sommairement, et dans l'ensemble, pour que vous ne soyez pas tout à fait étrangers à une procédure d'une application si usuelle et si importante. Ces trois points portent :

1° Sur l'organisation de la cour de cassation (je n'ai guère ici à répéter que ce que j'en ai dit dans les leçons préliminaires);

2o Sur sa compétence; en d'autres terines, sur la nature des jugements qui peuvent être attaqués devant cette cour, et des ouvertures ou moyens de cassation autorisés par la loi;

3o Enfin, sur les formes à suivre, autrement sur la procédure tracée par les règlements et les lois qui régissent ces formes pour arriver à la cassation des arrêts.

→ 763. La cour de cassation, comme vous pouvez vous le rappeler, représente à peu près, dans l'organisation moderne, mais avec infiniment plus de perfection et d'utilité, l'ancien conseil du roi ou la section de ce conseil appelée conseil des parties (V. no 56). La cour de cassation a été instituée, sous le nom de tribunal de cassation, par le décret du 27 novembre-1er décembre 1790; c'est là la loi organique, la loi fondamentale du tribunal de cassation. Ce tribunal,

comme les tribunaux supérieurs, a reçu le nom de Cour par le sénatus-consulte du 28 floréal an XII, art 136.

A cette loi organique doivent s'ajouter un assez grand nombre de décrets et règlements relatifs tant à l'organisation qu'aux fonctions et à la procédure de la cour de cassation. Je citerai, entre autres, le décret du 2 brumaire an IV; la constitution du 22 frimaire an VIII, art. 65 et 66; la loi sur l'ordre judiciaire du 27 ventôse an VIII, titre VI, intitulé du TRIBUnal de cassation, qui reproduit et complète les dispositions de la loi de 1790.

Quant à la procédure, elle est réglée par une ordonnance assez étendue du 15 janvier 1826, à laquelle il faut joindre un texte beaucoup plus ancien qui forme encore maintenant la base de la procédure de cette cour, savoir le règlement rendu, pour les affaires portées au conseil des parties, le 28 juin 1738, règlement qui est l'ouvrage du chancelier d'Aguesseau; ce règlement a été maintenu, comme principe, et sauf les dérogations résultant des lois spéciales, par le décret du 27 novembre-1er décembre 1790, art. 28, et par la loi du 27 ventôse an VIII, art. 90. Ce règlement très-étendu forme encore maintenant, d'après les lois en vigueur, la base de la procédure devant la cour de cassation.

La cour de cassation, par le but même de son institution, est un tribunal essentiellement unique. Il a été décidé en 1790, et après quelques débats, que ce tribunal serait sédentaire, car on avait proposé d'abord d'instituer une cour de cassation ambulante, comme des espèces de cours d'assises; il a été décidé que ce tribunal serait sédentaire, et établi à Paris (V. no 57).

Sa division en trois sections (v. no 58) est assez importante pour comprendre la marche des affaires portées devant la cour de cassation. Ces sections sont : la section des requêtes, la section civile et la section criminelle. Nous n'aurons pas à parler de cette dernière parce qu'elle est uniquement chargée, coinme l'indique son nom, de connaître des pourvois formés en matière criminelle, correctionnelle et de police. Nous ne traitons ici que de la procédure civile, que des pourvois en matière civile proprement dite. Or, ces pourvois sont soumis ou peuvent être soumis successivement à l'examen, 1o de la section des requêtes; 2o de la section civile. Nous déterminerons plus tard le 1ôle spécial de chacune de ces sections dans l'examen et le jugement du pourvoi.

Au personnel de la cour de cassation de quarante-neuf membres (un premier président, 3 présidents de chambre et 45 conseillers), il faut ajouter le procureur général devant la cour de cassation, plus six avocats généraux; un greffier en chef, plus quatre commis greffiers; enfin huit huissiers spéciaux à la cour de cassation. Telle est l'organisation matérielle de la cour de cassation.

64. A l'égard de ses attributions, elles sont de diverses natures; mais la seule dont nous ayons à nous occuper ici est celle qui se rattache à la matière du livre que nous examinons maintenant. Ainsi nous traitons des voies extraordinaires pour attaquer les jugements, et la cour de cassation est en effet instituée comme un tribunal suprême auquel on recourt en dernier espoir de cause, et pour trouver devant elle un moyen extraordinaire de faire tomber les jugements. Cette attribution est la plus grave, la plus importante de celles que la loi lui a conférées, mais ce n'est pas la seule ; aussi mentionnerai-je ici, mais seulement pour mémoire, les autres attributions que la loi lui a conférées.

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